Le malheur des uns fait le bonheur des autres. C’est le cas de l’industrie céramique algérienne qui vient de consolider sa position sur le marché local, suite notamment à la suspension des importations depuis l’Espagne par l’Algérie en réaction à la décision du gouvernement de Pedro Sánchez de soutenir le plan marocain d’autonomie au Sahara.
Par Akrem R.
Les conséquences sont déjà là. Le royaume Ibérique vient de perdre, en seulement deux mois, quelques 25 millions d’euros. C’est une aubaine pour les 65 entreprises algériennes activant dans ce domaine porteur et prometteur à la fois.
La filière de la céramique est en pleine expansion en Algérie. Les producteurs nationaux de la céramique, ayant atteint un niveau d’intégration appréciable avoisinant les 95%, ambitionnent d’aller conquérir des parts de marché à l’international. La conjoncture est, d’ailleurs, favorable pour les producteurs algériens, en particulier avec la guerre en Ukraine.
La flambée des prix du gaz sur les marchés mondiaux a impacté lourdement les producteurs européens de la céramique. Ils n’arrivent pas à suivre l’évolution des coûts de production. Plusieurs unités de production ont mis la clé sous le paillasson. Une situation qui ne peut être que profitable à l’industrie locale qui pourra augmenter sa production et se positionner sur le marché du vieux continent.
Une production avantagée…
Les avantages comparatifs sont nombreux: un prix du gaz bas, un taux d’intégration de 95% et une technologie maitrisée. Il suffit juste de remédier à certains obstacles d’ordres administratifs, bancaires et logistiques. En clair, les céramistes algériens ne demandent qu’un accompagnement adéquat de la part des pouvoirs publics, à travers le renforcement de la coopération économique avec les pays ciblés et la mise en place d’un cadre réglementaire stable et même incitatif.
En effet, avec une production variant entre 200 à 250 millions m2 annuellement, le marché local est bien approvisionné et les céramistes locaux sont déterminés à aller vers l’exportation et participer à la promotion de notre commerce extérieur et la diversification de l’économie nationale surtout.
Un objectif qui a été fixé par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, dans le plan de relance économique, dont son Exécutif s’attèle à son exécution. Pour l’année en cours, il a été décidé de réaliser 7 milliards de dollars d’exportation hors hydrocarbures. Un but en voie de concrétisation, du fait que 3,507 milliards de dollars ont été déjà réalisés au courant de ce premier semestre.
Nécessaire accompagnement des pouvoirs publics
Dans ce cadre, les céramistes algériens ne demandent qu’un accompagnement adéquat de la part des pouvoirs publics, à travers le renforcement de la coopération économique avec les pays ciblés et la mise en place d’un cadre réglementaire stable et même incitatif. «Nos produits de qualité et avec un taux d’intégration de 95% sont compétitifs et peuvent facilement conquérir des parts importantes sur le marché international notamment en Afrique et au Moyen Orient (Debaï, la Jordanie, le Qatar et l’Arabie saoudite). Il y a beaucoup de potentiel et d’opportunités à saisir là-bas. Toutefois, et comme nous le savons tous, il y a la contrainte de la logistique au niveau du fret et transport maritime. Il y a des carences qu’il faut relever.
Ces secteurs très porteurs et c’est à l’Algérie de s’engager très rapidement dans ce créneau afin de le développer, en renforçant nos lignes maritimes. Le gouvernement algérien devra saisir l’occasion pour nous donner la possibilité de concurrencer les chinois et les turcs et bien sur les européens dans les marchés traditionnels comme en Afrique», a souligné Moncef Bouderba, président de l’association des céramistes algériens (ACA). Pour l’année en cours, les producteurs nationaux tablent sur la réalisation d’un chiffre d’affaires global de 3 milliards de dollars et l’exportation entre 15 à 20% de montant.
A. R.
Moncef Bouderba, président de l’Association des céramistes algériens : «Nous sommes à la recherche de nouveaux partenaires»
Eco Times : L’Espagne continue de subir les conséquences de la politique «irréfléchie» de son chef du gouvernement Pedro Sánchez, suite notamment au revirement de la position traditionnelle de Madrid envers la question du Sahara occidental. Des secteurs industriels espagnols, en particulier la céramique, sont impactés fortement. Des pertes de 25 millions d’euros ont été enregistrées. Votre commentaire sur cette question?
Moncef Bouderba: Ce qui nous intéresse en tant que Association des céramistes algériens (ACA) c’est le contrôle du marché local. Notre production en la matière est de bonne qualité et en mesure de concurrencer les productions d’autres pays, à l’instar de l’Espagne. Nos entreprises, au nombre de 65, ont atteint un niveau mondial dotées de matériels et équipements de technologie de dernière génération.
Le seul problème dans cette affaire c’est la matière première nécessaire pour l’industrie céramique, qui nous parvient d’Espagne. Nous sommes à la recherche de nouveaux partenaires à l’image des Italiens, français et portugais, en attendant que les relations avec l’Espagne se normalisent, en revenant à la neutralité sur la question du Sahara occidental.
D’ailleurs, la détérioration des relations entre les deux pays incombe aux décisions du chef du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez. Ce dernier se trouve dans une situation difficile et il est la cible des critiques des partis politiques et chefs d’entreprises espagnols.
Nous attendons à ce que Sánchez quitte le pouvoir en 2023 afin que l’Espagne revienne à sa position de neutralité sur la question du Sahara Occidental. Notre pays est souverain et ses positions sur les questions justes sahraouies et palestiniennes ne datent pas d’aujourd’hui. Notre association appui et soutien les décisions de notre gouvernement et le grand perdant dans tout cela, c’est l’Espagne avec un manque à gagner de 2 milliards d’euros.
Quel est l’impact de la suspension des échanges commerciaux avec l’Espagne sur l’industrie céramique en Algérie?
Il est à rappeler dans ce cadre que l’Algérie avant 2020 importait pour 300 millions de dollars de céramique (produits finis) depuis l’Espagne. Mais grâce à la décision courageuse du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, cette facture a été réduite et que 5% de la matière première est importée de ce pays, vue que le fret maritime est moins cher que les autres fournisseurs comme l’Italie. Cette facture d’importations d’intrants globale ne représente qu’entre 80 à 100 millions d’euros.
L’autre problème qui doit trouver une solution en urgence, c’est le transfert de technologie. Pour l’instant, nous n’avons pas de problèmes, mais demain je ne sais pas. On va remédier à cette problématique avec d’autres partenaires comme l’Italie. Il y aura peut-être un problème de qualité au début de cette période de transition (changement de partenaires), mais on y arrivera. Je réitère encore une fois que les intérêts et la position de notre pays sont une ligne rouge et nous seront toujours aux côtés de nos dirigeants.
Actuellement le monde connait des changements profonds notamment avec la guerre en Ukraine. L’Algérie pourrait se positionner sur le bassin méditerranéen, en occupant une place de choix dans le domaine industriel, en particulier la céramique. Avons-nous les moyens à cet effet?
Nous avons trois industries qui peuvent conquérir des parts sur les marchés mondiaux. Il s’agit des filières de l’acier, du ciment et de la céramique, ayant un taux d’intégration de plus 90%. Avec la guerre en Ukraine, une opportunité en or se présente pour notre pays et industrie. La flambée des prix du gaz en Europe, un intrant essentiel de toute industrie, nous donnera une opportunité à nos entreprises d’accéder au marché européen. Notre gouvernement est conscient de cela. Il doit tout simplement nous accompagner afin d’y aller. Les céramistes du vieux continent sont hors compétition. En tant que Association, nous demandons un accompagnement de la part de notre gouvernement et surtout de nos banques afin de nous faciliter la tâche dans les opérations d’exportation. Outre la problématique bancaire, les opérateurs algériens sont confrontés à des insuffisances en matière de transport et logistique.
On a pris beaucoup de retard dans ce domaine, mais des décisions salutaires ont été prises récemment par le gouvernement pour remédier à cette situation, en citant à titre d’exemple l’ouverture de nouvelles lignes maritimes vers l’Afrique, l’ouverture de l’investissement dans le domaine du fret maritime et aérien pour le privé et le renforcement des compagnies publiques avec de nouveaux navires et avions. Tous cela contribuera certainement à la promotion des exportations hors hydrocarbures, dont nous les producteurs et industriels sommes prêts à relever le défi.
Entretien réalisé par Akrem R.