Par Salem Ait Youcef, Doctorant en Droit à l’université Panthéon-Assas Paris II
La corruption est devenue l’une des menaces à la stabilité politique et sociale et à la prospérité. Wolfowitz, ancien président de la Banque Mondiale, a dit à ce sujet, que «la corruption était la cause principale derrière l’échec des gouvernements, et devenue l’une des plus grandes menaces pour le développement dans de nombreux pays du monde, affaiblit les systèmes fondamentaux, fausse les marchés et encourage les gens à utiliser leurs compétences et leurs énergies de manière non productive».
En Algérie, face aux mutations économiques qu’a connues le pays durant les années 1990, associées aux conditions de sécurité qui guettaient la stabilité politique et sociale du pays, la corruption prit de l’ampleur et de graves dimensions avec une extension régionale et internationale, constituant ainsi un danger réel non seulement sur l’économie et le développement, mais elle sera classée parmi les nouvelles menaces à la sécurité nationale.
Pourtant, depuis la promulgation du code pénal en 1966, l’Algérie a accordé une attention particulière aux outils coercitifs qui servent à répondre aux délits de corruption dans ses diverses formes, telle que la corruption, le détournement et la concussion. Ainsi, le législateur algérien a prévu la pénalisation du détournement et de la concussion dans les articles 119, 119 bis et de 121 à 125, et de la corruption dans les articles de 126 à 130, dispositions abrogées et reprises dans la loi 06-01 du 20 février 2006, modifiée et complétée, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption. Mieux encore, cette lutte contre la corruption a pris une dimension constitutionnelle par le biais de l’article 21 de la Constitution algérienne de 1996, modifiée par la loi n° 08-19 du 15 novembre 2008 portant révision constitutionnelle qui dispose que «les fonctions au service des institutions de l’Etat ne peuvent constituer une source d’enrichissement ni un moyen de servir des intérêts privés».
Avec l’ouverture de la réglementation algérienne des marchés publics aux standards internationaux, et sous l’influence limpide de ces derniers, le législateur algérien a transposé le sacro-saint principe de transparence des procédures dans la réglementation algérienne des marchés publics, et ce, en suspendant l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des fonds publics au respect du principe de la transparence des procédures. Il va sans dire que ce principe (la transparence des procédures de la passation des marchés publics) est liée à la concrétisation d’un autre, et pas des moindres, objectif des standards internationaux, principalement la loi type de la CNUDCI sur la passation des marchés publics, qui n’est autre que «la promotion de l’intégrité et l’équité du processus de passation des marchés».
Soucieux de concrétiser cet objectif, le législateur a introduit au sein de la structure même des marchés publics une section intitulée «De la lutte contre la corruption», dont la vocation principale est d’assurer l’intégrité et l’équité du processus de passation des marchés. Dans le cadre de ce chapitre, le législateur annonce d’emblée la mise en place d’un code d’éthique et de déontologie des agents publics intervenant dans le contrôle, la passation et l’exécution des marchés publics et des délégations de service public. Afin de donner une valeur tangible à ce code, il y est fait obligation à ces agents publics de prendre acte de son contenu et de s’engager à respecter par une déclaration écrite. Ces derniers doivent, également, signer une déclaration d’absence de conflit d’intérêt.
La tâche d’élaborer ce code d’éthique et de déontologie avait été confiée, dans le code des marchés publics de 2010, au pouvoir exécutif qui devrait l’adopter par la voie décrétale. Cependant, ce code, annoncé tambour battant, notamment par la presse et les pouvoirs publics, n’a jamais vu le jour malgré que, faudrait-il le signaler, l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption a préparé, sur la demande du ministère des Finances, un projet de code d’éthique et de déontologie concernant les agents publics chargés de la passation des marchés publics, dont l’importance est liée à la spécificité et à la multiplicité des risques qui entourent tant les phases prévues par les procédures de passation que la qualité des intervenants qui en ont la responsabilité. Après la publication du décret présidentiel n° 15-247, portant réglementation des marchés publics, cette tâche est dévolue à l’autorité de régulation des marchés publics et des délégations de service public, sauf que celle-ci ne semble pas en faire une priorité dans la mesure où ledit code d’éthique et de déontologie n’est pas encore élaboré jusqu’ici.
Au-delà du code d’éthique et de déontologie, la réglementation des marchés publics pense pouvoir endiguer le phénomène de la corruption en prévoyant des mesures coercitives à tous ceux qui s’adonnent à des actes ou à des manœuvres tendant à promettre d’offrir ou d’accorder à un agent public, directement ou indirectement, soit pour lui-même ou pour une autre entité, une rémunération ou un avantage de quelque nature que ce soit, à l’occasion de la préparation, de la passation, du contrôle, de la négociation ou de l’exécution d’un marché public ou d’un avenant.
Au demeurant, quand bien même le législateur algérien a copieusement transposé les principes et les valeurs véhiculés par les standards internationaux inhérents à l’éthique et à la transparence dans le cadre de la passation des marchés (garantir le traitement juste, égal et équitable de tous les fournisseurs et entrepreneurs, promouvoir l’intégrité et l’équité du processus de passation des marchés et la confiance du public dans ce processus et assurer la transparence des procédures de passation des marchés), il n’en demeure pas moins que ces principes se sont avérés inopérants face à l’ampleur du phénomène de la corruption qui, au fil des années, est devenu systémique.
A quoi sert de se targuer d’une législation qui sacralise l’intégrité et l’équité du processus de passation des marchés, si, en pratique, la corruption est devenue un mal incurable ?
Si le législateur algérien s’est empressé à consacrer tous les principes fondamentaux de la commande publique véhiculés par les standards internationaux, la loi type de la CNUDCI, entre autres, il n’en demeure pas moins que, sous l’influence d’un pouvoir exécutif prédateur dont les velléités subversives ne sont plus à prouver, il a sciemment laissé des brèches qui alimentent le paradoxe de faire cohabiter dans la même réglementation les principes consacrant la transparence des procédures, d’un côté, et l’aisance dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’un autre côté. La procédure du gré à gré est sans doute la clé de voûte qui aboutit, très souvent, à un exercice à mauvais escient du pouvoir discrétionnaire.
«La corruption en Algérie n’est ni accidentelle ni sectorielle mais procède bel et bien d’un système de gouvernement., comme le souligne à juste titre le Dr Mohammed Hachmaoui, Si l’on veut chercher un facteur commun à toutes les causes potentielles de la corruption, on trouvera qu’elle se vulgarise souvent à travers les pratiques visant à estomper la transparence des procédures à travers, tantôt un accès discrétionnaire aux biens publics et, tantôt des marchés administrés encouragés par le néopatrimonialisme».