Considérée comme l’un des piliers de la sécurité alimentaire du pays, la filière des productions animales enregistre des progrès relatifs en dépit des multiples contraintes auxquelles sont confrontés les éleveurs, notamment en matière d’accès aux aliments. Toutefois, les bilans faisant ressortir des taux de croissance positifs, que ce soit pour les viandes rouges ou blanches, sont remis en question sur le terrain.
Par Mohamed Naïli
Du côté de l’administration sectorielle, la sous-directrice de l’organisation et développement des filières agricoles au ministère de l’Agriculture et du développement rural, Samah Lahlouh, vient de présenter hier un bilan détaillé sur la filière animale à travers l’évolution des différentes catégories de cheptels et la production des viandes rouges et blanches. Ainsi, selon ces statistiques, au terme de l’année 2021, le cheptel ovin est passé de 24 millions de têtes à plus 31,5 millions têtes, le caprin est parti de 4 millions de têtes pour atteindre plus de 5,3 millions têtes et le cheptel camelin est passé de plus de 318 000 têtes (318 755) à près de 439 000 têtes (438 752). Cependant, le cheptel bovin, quant à lui, s’est stabilisé à un niveau de 1,7 million de têtes recensées, a fait savoir la responsable en question, sans pour autant donner davantage de précisions sur les bovins laitiers et ceux destinés à la production de viande.
En volumes de viandes mis sur le marché durant la même année 2021, Mme Lahlouh a fait état d’une disponibilité moyenne de 12,34 kg/habitant/an et, en valeur, un résultat estimé à 483 milliards de dinars, soit 17% de la production agricole globale, pour les viandes rouges, et une valeur productive estimée à 128 milliards de dinars avec une disponibilité moyenne de 12 kg/an/habitant pour ce qui est des viandes blanches.
Pour la même responsable, sur la base de ces bilans, la filière des productions animales est parvenue à assurer la stabilité en matière d’approvisionnement du marché local, ce qui a amené en conséquence à réduire le recours aux importations par rapport aux années précédentes. En effet, affirme-t-elle, « l’importation des viandes rouges a connu un net recul entre 2016 et 2021, passant de 133 millions de dollars à 10 millions de dollars seulement, à la faveur de divers investissements visant la promotion de cette filière et la réduction de la facture d’importation. »
D’autres bilans de l’année 2021, émanant du gouvernement cette fois-ci, relèvent que, concernant les filières animales, la production des viandes blanches au cours de l’année 2021 est de 5,4 millions de quintaux, elle passe à 5,7 millions de quintaux en 2022, pour une valeur de 167,7 milliards de dinars, soit une croissance de 31%, est-il souligné dans le document de Politique générale du gouvernement présenté cette semaine à l’APN pour débat et adoption.
La feuille de route d’Aïmene Benabderrahmane met le cap sur un « objectif de production des viandes blanches à l’horizon 2025 de l’ordre de 6,8 millions de quintaux ». Pour ce faire, le gouvernement entend poursuivre la « promotion de la production locale en poussins repro-chair par les opérateurs nationaux producteurs de Grands Parentaux, avec un accroissement de 56% de la production locale. »
Fraude sur les subventions dénoncée à l’APN
Au volet relatif à la production de viandes rouges, le même bilan fait état d’une production réalisée durant l’année 2021 et celle attendue à la fin de l’année en cours (2022) de même niveau que celle des viandes blanches, à savoir 5,4 millions de quintaux durant l’année passée et 5,7 millions de quintaux attendues à la fin 2022, pour une valeur de 629,2 milliards de dinars, soit une croissance de 8%, ce qui ne concorde pas toutefois avec la valeur de 483 milliards de dinars qui ressort du bilan présenté par le ministère de l’Agriculture et du développement rural.
Au plan des perspectives de la filière des viandes rouges, la stratégie tracée par le gouvernement se fixe « un objectif de production des viandes rouges à l’horizon 2025 de 6,5 millions de quintaux ». Pour ce faire, le secteur mise sur le renforcement de la disponibilité des aliments de bétail à travers le développement des cultures fourragères, notamment le maïs fourrage, la luzerne, le triticale, etc.
Au-delà des bilans statistiques établis par les autorités sectorielles, force est de reconnaitre que les filières d’élevage, que ce soit pour les viandes rouges ou blanches, évoluent dans un climat marqué par des turbulences à divers niveaux. D’une part, la prédominance de l’informel, notamment dans l’élevage avicole, n’est pas faite pour faciliter tout effort de structurer et d’organiser la filière et, d’autre part, le recours aux fraudes, sous diverses formes, dans l’unique but d’accéder aux subventions de l’Etat et la spéculation sur l’aliment de bétail et de volailles sont tout autant des facteurs qui plombent tout essor des filières animales.
La sortie d’un député à l’Assemblée nationale cette semaine lors des débats sur la déclaration de Politique générale du gouvernement est révélatrice à ce propos. En réponse à la vision du Premier ministre, cet élu estime qu’ « en ce qui concerne l’élevage, comment se fait-il que nous avons des terres de parcours par excellence et nous sommes incapables d’offrir au citoyen un produit à des prix abordables et que le prix d’un ovin dépasse 4 fois le salaire minimum garanti ? Aucun pays au monde n’est dans une pareille situation. Si on prend l’exemple du Tchad, le cheptel destiné à la production de viandes comprend un nombre de têtes en double de la population du pays, pourtant nous en avons plus de moyens. Le problème se pose où ? Nous n’avons même pas de statistiques exactes sur la filière élevage. En langage simple, pour bénéficier des aides de l’Etat dédiées à la filière et avoir le maximum d’aliments de bétails subventionnés, les éleveurs se prêtent entre eux les troupeaux pour aller d’une wilaya à une autre, ils les prennent en photos et constituent des dossiers en gonflant le nombre de têtes déclarées. Alors, au niveau du ministère de l’Agriculture, les chiffres avancés font état de millions de têtes ovines, mais en réalité il n’y en a pas. Pour éviter ces cas de fraude, pourquoi ne pas doter les cheptels de puces électroniques pour faciliter leur identification et leur contrôle, comme le font l’ensemble des pays développés ? ».
Il faut noter en effet que l’Etat mobilise des enveloppes financières en plusieurs milliards de dinars en subventions aux filières animales, pour ne citer que l’approvisionnement des éleveurs d’ovins en orge subventionné qui coûte à l’Etat 6 milliards de dinars/mois, soit 72 milliards DA/an, a révélé le ministre de l’Agriculture.
M. N.