Fraîchement nommé président-directeur général de l’Entreprise de gestion touristique de Tipaza (Egtt), relevant du groupe public HTT, Boubekeur Abid, croit dur qu’il est toujours possible de se surpasser et de redonner vie à cette entreprise longtemps en hibernation. Les complexes touristiques CET et la Corne d’Or, ainsi que les hôtels Materes et El Beldj, qui constituent le patrimoine de l’EGTT, reprennent en effet des couleurs depuis le début de la saison estivale en cours, et le défi est enfin relevé, affirme M. Abid, et ce en dépit des énormes difficultés rencontrées, vu que ces infrastructures, fermées depuis au moins le début de la crise sanitaire, sans compter les effets d’une mauvaise gestion précédente. Depuis déjà quelques semaines, ces lieux hautement touristiques ne manquent pas de recevoir des familles venues de partout, en quête de tranquillité, de détente et de convivialité. Dans cet entretien que le Pdg de l’Egtt a bien voulu nous accorder, il revient sur plusieurs questions, mais particulièrement sur sa démarche pour redorer le blason du tourisme au niveau de Tipaza.
Entretien réalisé par
Naima Allouche
Eco Times : Après une privation de vacances de plus de deux années à cause de la crise sanitaire due au Coronavirus, quelle appréciation faites-vous de la présente saison estivale dans la wilaya de Tipaza?
Abid Boubekeur : Après deux années de fermeture à cause de la Covid 19, et avec l’ouverture de la saison estivale, les complexes touristiques de Tipaza ont connu un rush important, et ce notamment en ce mois d’aout. Notre capacité a été suffisante pour satisfaire tout le monde en dépit de la forte demande et nous sommes contents du retour de ce beau monde sur nos sites touristiques. De même, en suivant ce qui se passe sur le territoire national, notamment le littoral, on sent le besoin des algériens à passer de bonnes vacances, ce qui constitue une bouffée d’oxygène après un confinement qui n’a que trop duré.
Je pense aussi que cette année, surtout après la fermeture des frontières, les gens préfèrent rester chez eux. Même avec l’ouverture des frontières avec la Tunisie, les algériens, pour la plupart, ont pris le pari de passer leurs vacances dans le pays, souvent pour des raisons objectives inhérentes à la qualité des sites à visiter qu’à celui des coûts. La reprise a donc été très bonne, et je pense que nous allons faire un très bon chiffre d’affaires pour l’année 2022.
Vous êtes fraîchement installé à la tête de l’Entreprise de gestion touristique de Tipaza et vous avez hérité d’un état des lieux qui laisse à désirer. Quelle est votre stratégie pour parer à une telle situation et attirer les estivants?
En tant que manager, j’ai choisi en premier lieu, mon équipe. J’ai fait appel à des cadres qui ont accepté de travailler avec moi dans la gestion de la ressource humaine, en équipement, moyens, en audit pour bien encadrer notre tâche avant le début de la saison estivale.
Et comme je connais très bien cette entreprise, et que j’ai une idée sur les problèmes qu’elle a vécus et subit pendant des années, j’estime qu’il ne m’avait pas fallu beaucoup de temps pour identifier tant les priorités que les solutions. Avec mon équipe, nous travaillons sans arrêt, parfois jusqu’à minuit et même les weekends, pour mettre tout en ordre, soit sur le plan administratif ou sur le terrain. Nous sommes sur place jour et nuit pour intervenir tout de suite dès qu’il y ait un problème. Concernant l’assainissement de l’administration de l’entreprise, mon équipe et moi sommes sur tous les dossiers, soit techniques et/ou financiers, pour trouver des solutions à toutes les carences.
Nous avons trouvé l’entreprise en difficultés et avec beaucoup de dettes, surtout avec la réhabilitation du CET après 4 ou 5 années de fermeture.
Heureusement qu’aujourd’hui, avec son ouverture, le CET fait 60 à 70% du chiffre d’affaires de l’entreprise. Quant aux 30% restant, ils sont réalisés par la Corne d’Or et Matares qui vient en dernier.
Au niveau du complexe de Matares, nous avons baissé le taux d’hébergement avec la fermeture des villas et de trois étages de l’hôtel, ce qui fait que ce complexe tourne avec une capacité de 90 chambres au niveau de l’hôtel «la Baie» et une centaine de chambres au niveau de la «Résidence». Nous avons mis sur place une pizzeria parce que la cuisine ne fonctionne pas, outre la dégradation de l’état des lieux de ce complexe que nous devons prendre en charge, également, pour sa réhabilitation.
Concernant l’autre complexe touristique qui dépend de notre entreprise, à savoir «El Beldj», appartenant à la wilaya de Tipaza, il est en location jusqu’au 31 août, et il est occupé par les œuvres sociales de l’entreprise des travaux pétroliers MTP.
Grâce aux efforts des travailleurs avec qui j’ai déjà travaillé, en 2003, et que je remercie beaucoup, l’entreprise reprend ses services dans les meilleures conditions. Tout en continuant à travailler, sur le même rythme, nous pouvons atteindre nos objectifs tracés par le groupe HTT et le nouveau Conseil d’administration composé de cadres de haut niveau. D’après mes prévisions, d’ici la fin de l’année, la situation s’améliorera de mieux en mieux et l’EGTT reprendra sa véritable image d’antan dans la région.
Avec l’ouverture des frontières tunisiennes, y a-t-il un risque de perdre sa clientèle en raison des prestations offertes par nos voisins et qui tiennent compte du rapport qualité/prix?
Au contraire ce n’ai pas ce que j’ai eu comme écho. Un nombre important de clients qui sont partis en Tunisie, sont revenus chez nous, justement à cause des prix très élevés. Certains clients m’ont révélé qu’il y a beaucoup de changements et ce n’est plus la Tunisie d’avant la Covid.
Néanmoins, les Tunisiens nous dépassent en matière de prestation de service parce qu’ils ont cette culture touristique de longue date et ils sont en avance par rapport à nous.
Par contre, nous pouvons nous aussi mettre la main dans la pâte pour développer le tourisme, surtout avec le secteur privé qui se développe en raison des avantages accordés à ce secteur par l’Etat, et qui s’améliore en matière d’offres et services pour enfin se rattraper et s’aligner sur les mêmes prix pratiqués ailleurs.
Vous êtes professionnel du secteur depuis des années. Notre pays regorge des sites touristiques extraordinaires et une importante infrastructure touristique, mais la qualité de service reste à améliorer. Comment faut-il faire, d’après-vous, pour assurer une bonne prestation de service?
J’ai dit à maintes reprises et je l’ai écrit dans mes documents publiés dans la presse et adressés aux différents responsables du secteur, que la culture touristique doit être développée et promue dans notre pays.
Si on revient aux années du feu Boumediene, la stratégie touristique était basée sur la création des écoles de tourisme, la construction des grands complexes touristiques, outre les cadres et managers de haut niveau qui sont bien formés. A cette époque-là, les tunisiens et marocains venaient se former chez nous. Et on recevait beaucoup d’étrangers en assurant une bonne prestation de service. Par la suite, la politique du développement du secteur s’est basée sur le tourisme de masse, et je crois que c’est là où nous avons raté le virage, sans pour autant développer une culture touristique. Les enfants formés dans le tourisme sont des futurs touristes, ce qui veut dire que la formation est primordiale pour développer cette culture.
La formation se base sur les traditions, us et coutumes de chaque région pour ne pas trouver des difficultés à promouvoir le tourisme local. Si je prends l’exemple de la ville de Tipaza, on ne peut pas développer le tourisme si on ne connait pas la mentalité de ses habitants ; et là c’est aux sociologues et psychologues de développer une panoplie d’informations pour former de vrais guides et managers. Certes, il y a maintenant l’Aurassi et l’Eshra qui font la formation mais nous n’avons pas besoin de former pour former. Cette formation n’est pas comme dans les autres secteurs, elle est un peu délicate. Le tourisme c’est l’être humain, comment l’accueillir, lui parler… Je vais citer un exemple de comparaison entre le secteur public et privé. Si on va dans un hôtel privé de la chaîne Accor ou AZ par exemple, on trouve des algériens qui y travaillent et ce sont les mêmes algériens qui travaillent à l’Aurassi ou à El Djazaïr. Toutefois nous allons constater de visu que déjà le contact est différent au niveau de l’accueil, après c’est au niveau du service.
Le privé est en train de développer une technique de formation pour son personnel et même pour les managers qui doivent être sur le terrain et non dans les bureaux. Avec l’extension des structures hôtelières privées par rapport au secteur public qui représente une infime partie avec ses 7 filiales et ses 70 unités, je pense que le secteur privé va booster le développement du tourisme dans notre pays. Pour ce faire, le privé doit intégrer la formation à son niveau parce qu’il y a certains privés qui gèrent des hôtels avec un esprit de famille et en famille sans avoir la formation nécessaire et l’expérience du tourisme.
Par contre, il y a d’autres qui mettent le paquet sur les ressources humaines et j’ai eu l’occasion de visiter certains hôtels privés et j’ai vu leur excellente méthode de travail et je prévois dans les cinq années à venir que le tourisme en Algérie va reprendre sa place comme il était durant la période post-indépendance et à l’époque de Boumediene.
Pour reprendre une activité aussi importante et stratégique pour l’économie nationale, qu’est-ce que vous avez prévu pour les années à venir?
Pour les prévisions, nous sommes déjà en train de travailler sur l’après saison estivale. C’est tout un programme pour permettre aux clients de venir les week-ends. Nous avons installé par exemple, au niveau du CET, une grande Kheima qui va travailler toute l’année avec des repas et un peu d’animation. Aussi, nous allons créer une école équestre pour inviter les gens à venir les weekends pour faire du cheval. Nous avons deux bases nautiques une au niveau du CET et l’autre à la Corne d’Or pour faire la plongée sous-marine. Nous sommes en train de négocier avec une entreprise de loisirs pour la création d’un petit Parc au CET, surtout que nous avons de l’espace pour permettre aux familles de ramener leurs enfants pour jouer au manège et ainsi faire profiter l’entreprise des autres services comme l’hébergement et les entrées.
Aussi, pour la formation nous disposons de salles bien aménagés et de restaurants pour assurer un service complet, que nous allons mettre à la disposition des écoles de formation et des entreprises. Donc, il y a toute une activité pour assurer un chiffre d’affaires régulier durant toute l’année et de ne pas se contenter seulement de la saison estivale. Certes le chiffre d’affaires durant la saison estivale représente 70 à 80%, mais il faut travailler toute l’année pour assurer la masse salariale au moins et redresser l’entreprise qui souffre depuis quelques années avec une dette importante.
Nous sommes en train de chercher un partenaire pour la réhabilitation de l’hôtel Matares avec l’accord du groupe HTT et notre ministère. Il y a tout un programme à arrêter et nous sommes en train de travailler sur un programme étalé sur les trois années à venir et faire progresser notre chiffre d’affaires en mettant en place une politique de promotion. Nous ne pouvons pas donner des statistiques maintenant vu que la saison estivale n’est pas encore finie. L’essentiel qu’on a fait un bon chiffre au cours du mois de juillet dernier, et on compte le faire ce mois d’aout tout en veillant à maintenir cette cadence d’évolution.
Tipaza recèle de sites magnifiques à visiter et elle a besoin de communiquer mieux pour vendre sa destination. Est-ce qu’il y a aussi un engagement dans ce sens, de la part des autorités locales?
Je suis entièrement d’accord avec vous, sur le fait que l’entreprise fait partie de l’environnement de la wilaya de Tipaza. En effet, toutes les directions de la wilaya nous soutiennent dans notre démarche de promotion du tourisme dans la wilaya. Les autorités locales fournissent tous les efforts pour nous faciliter le travail et contribuent à l’embellissement de la ville. L’Egtt est l’image de Tipaza depuis sa création en 1969-1970, ce qui veut dire que tous les responsables locaux et sans exception mettent à notre disposition les moyens nécessaires pour que Tipaza et ses villes limitrophes, à savoir, Cherchell, Hadjout, Sidi Rached, Bousmail…etc. reprennent leur place dans le tourisme local et pourquoi pas à l’international.
Pour ce faire, le wali m’a ouvert sa porte, autant que le le P/APW, le directeur du tourisme, Sonelgaz, Seaal, ainsi que les différents services de sécurité…etc., que je remercie infiniment. Ces responsables connaissent mieux que moi la ville de Tipaza, et c’est en travaillant en étroite collaboration avec eux que nous pouvons relever le défi.
En tant qu’expert, la réussite du tourisme en Algérie est du côté Nord ou Sud, et pourquoi ?
Personnellement j’estime que le sud offre plus d’opportunités. L’exemple vivant nous vient du Qatar, Abu Dhabi et Dubaï qui de désert sont devenus des pôles touristiques d’excellence.
Il ne faut pas avoir honte de copier les bonnes choses et si on veut réussir le tourisme en particulier et l’économie algérienne en général, c’est le sud, de Ghardaïa jusqu’à Tamanrasset, qui peut nous le permettre. Nous avons de très bons endroits que nous pouvons exploiter avec le tourisme sur tous ses aspects, y compris le thermalisme, parce qu’il est très important chez nous. En développant le tourisme dans le sud, nous pouvons occuper l’espace et tous les autres secteurs vont suivre, à savoir l’industrie, le bâtiment…etc. Il faut aller maintenant vers le sud et les hauts plateaux. Ce dernier, surtout du côté Est, dispose d’énormes ressources pour le tourisme thermal et c’est l’occasion de développer de nouvelles villes d’eau. Nous pouvons aussi ramener des gens de l’étranger pour encourager le travail dans ce secteur et faire appel à des spécialistes pour les soins spécifiques. Jusqu’à ce jour nous sommes concentrés sur le tourisme balnéaire qui a une durée de vie de trois mois seulement. Par contre au sud nous pouvons travailler de 9 à 10 mois, c’est-à-dire le reste de l’année. Un autre avantage que possède la région du sud est que ses habitants sont accueillants et ils ont une culture touristique. Je vous parle en connaissance de cause et par expérience, puisque je connais bien mon pays depuis que j’ai commencé à travailler dans le secteur du tourisme.
Donc, à mon avis, le développement du tourisme doit se faire au sud pour un premier temps, et après les hauts plateaux qui possèdent une capacité de sources thermales et des sites climatiques de haute valeur. Ainsi, nous pouvons aussi développer le tourisme climatique.
N. A.