À l’heure où les enjeux de souveraineté alimentaire et de sécurité des territoires prennent une importance croissante, l’agriculture périurbaine en Algérie revient au cœur des débats. Mais au-delà des politiques volontaristes affichées, la réalité du terrain révèle une situation paradoxale : un mouvement d’intensification agricole bien réel, mais freiné par de fortes vulnérabilités, notamment foncières. C’est ce que met en lumière une étude réalisée par deux chercheurs, Bouziane Semmoud et Abdelhamid Ladhem, intitulée « L’agriculture périurbaine face aux vulnérabilités foncières en Algérie », menée dans deux régions emblématiques du pays : la Mitidja centrale et l’Oranais.
Synthèse Akrem R.
Les auteurs s’inscrivent dans une approche qui considère l’agriculture périurbaine comme un «espace hybride de l’entre-deux» entre rural et urbain. En Algérie, ce «tiers espace» subit de plein fouet les effets de la transition économique, combinant ouverture libérale, redistribution de la rente pétrolière et expansion urbaine.
«Le déploiement agricole par intensification paraît ainsi hétérogène, fragile et toujours peu soucieux de l’environnement. Il est à la fois suscité et contraint par l’expansion urbaine, porté par l’aide de l’État mais structuré par des acteurs urbains privés», lit-on dans le document.
L’étude repose sur une méthodologie qualitative fondée sur des entretiens non directifs avec des exploitants agricoles anciens et nouveaux, dans deux aires contrastées : Blida et Oran. Ces entretiens révèlent une grande diversité de profils et de trajectoires, entre exploitants enracinés, néo-agriculteurs urbains et petits rentiers en quête de capitalisation.
Mitidja et Oranais : deux dynamiques agricoles contrastées
Dans la Mitidja, plaine au sud d’Alger, l’agriculture conserve un poids économique national important, notamment en arboriculture et maraîchage. La wilaya de Blida assurait en 2010 «40 à 50 % de la production nationale d’agrumes» et possède des taux d’irrigation parmi les plus élevés du pays. En revanche, l’Oranais souffre d’un contexte agroclimatique plus défavorable : climat semi-aride, qualité médiocre de l’eau, sols encroûtés.
«À partir des années 2000, une dynamique agricole est attestée. Très dispersée dans le périurbain proche, elle est vigoureuse sur la zone des Hassi à l’est […], au risque de l’épuisement inéluctable de la nappe phréatique oranaise.»
Le foncier : talon d’Achille de l’agriculture périurbaine
Les auteurs montrent que la vulnérabilité foncière est le principal facteur d’instabilité. Issue de la restructuration des domaines agricoles de l’État après la loi 87-19, cette fragmentation s’est accentuée avec la mise en œuvre de la loi de 2010 sur la concession.
«Les petites exploitations individuelles illégales […] sont encore plus inégalement dotées en ressources naturelles et en moyens de production et par conséquent plus vulnérables», affirment les deux chercheurs.
En effet, les procédures de régularisation sont longues, complexes, et inaccessibles à de nombreux petits exploitants ou nouveaux acquéreurs. Cela freine les investissements, nourrit l’attentisme ou la résignation à l’abandon.
Des stratégies d’adaptation différenciées
Face aux contraintes, les exploitants développent des stratégies variées : résistance, innovation, attentisme ou retrait. Certains élargissent leurs surfaces par location ou achat, investissent dans l’arboriculture intensive ou diversifient leurs revenus par la pluriactivité.
«Toute une agriculture familiale se recrée autour d’anciens ouvriers de l’autogestion […], voire autour de néoagriculteurs […], contribuant à amortir la précarité professionnelle des jeunes ruraux», ajoute l’étude.
Le redéploiement technique est réel : recours à l’irrigation localisée, plantations de clémentiniers, nectariniers, pêchers, voire élevage laitier ou apiculture. Mais les plus fragiles se heurtent à l’envolée des coûts, à la rareté de la main-d’œuvre, ou à la vétusté des équipements.
Recomposition des rapports ville-campagne
L’un des constats majeurs de l’étude est le retour massif d’acteurs urbains dans la propriété foncière agricole. La pression foncière périurbaine favorise la spéculation et la concentration des terres au profit de cadres, commerçants ou investisseurs, souvent absents mais bien dotés en capital.
«Le contrôle citadin sur les terres se reconstitue […]. Le processus s’accompagne d’une relative concentration foncière par l’appropriation et par le faire-valoir indirect.»
Si certains néoagriculteurs s’investissent réellement dans la production, la majorité voit dans la terre un placement à haute rentabilité. Cette tendance renforce l’urbanisation rampante, fragilise les petits exploitants, et relègue les enjeux environnementaux au second plan.
Vers une agriculture intensifiée mais non durable ?
Malgré une dynamique certaine, l’agriculture périurbaine algérienne reste fragile. L’intensification repose sur l’aide publique (FNRDA, PNDA), mais les effets sont inégalement répartis. Le recours massif aux intrants chimiques, l’épuisement des ressources hydriques et l’absence de régulation des marchés interrogent la durabilité du modèle.
«L’agriculture périurbaine vit ici une sorte d’âge néoproductiviste […] mais la transition menée dans le secteur agricole […] risque d’en hypothéquer le dynamisme inégal et précaire, d’en compromettre la durabilité», affirment-ils.
En somme, l’agriculture périurbaine en Algérie oscille entre dynamisme entrepreneurial et précarité structurelle. Si certaines exploitations innovent et résistent, d’autres s’effacent, cédant la place à une reconfiguration foncière au profit des villes.
Sans sécurisation foncière, encadrement technique fort et réforme des circuits de commercialisation, les efforts actuels risquent de consacrer une agriculture utilitaire, instrumentalisée par la rente foncière urbaine, plutôt qu’un levier durable de souveraineté alimentaire.
A.R.