Zones de montagne : Nouveaux repères pour un développement intégré

Les zones de montagne constituent, au vu des impératifs du développement socioéconomique et de l’aménagement du territoire, un enjeu majeur dans la conduite des politiques publiques. Comment en serait-il autrement pour ces régions qui abritent plus de sept millions d’habitants (répartis sur 453 communes) et qui s’étalent sur une superficie de 4,1 millions d’hectares. 61% de cet espace, soit 2,53 millions d’hectares, sont considérés comme terres agricoles de montagne. Les forêts et maquis occupent 1,6 millions d’hectares de ces zones. Le reste, soit 519 988 ha, est constitué de terrains de parcours (libre pâturage). 

Par Amar Naït Messaoud

Ces terrains de montagne, qui se constituent en deux longues chaînes allant de l’Est à l’Ouest du pays- l’Atlas Saharien et l’Atlas tellien-abritent également un cheptel important composé d’ovins (2,7 millions de têts), de bovins (640 000 têtes) et de caprins (725 000 têtes), outre le petit élevage (apiculture, cuniculture,…) et l’activité avicole dont le volume fluctue au gré des années. 

À cela s’ajoutent les activités artisanales et de produits du terroir propres à cet espace géographique. La prise en charge de ce territoire topographiquement, écologiquement et socialement spécifique pose des problématiques qu’il y a lieu d’approcher de manière scientifique.

Si, dans ces régions, en matière de développement des infrastructures et équipements, des avancées notables, par le truchement des plans quinquennaux du début des années 2000, ont été enregistrées, beaucoup reste à faire pour stabiliser les populations, inciter celles qui ont subi l’exode à y revenir et y créer des conditions de vie qui font honneur à ces zones qui ont largement contribué, de façon déterminante, à libérer le pays du colonialisme.

Ne dit-on pas « aller ou monter à la montagne » pour exprimer l’action d’aller au maquis? Ce sont des contrées qui ont subi les bombardements au napalm, qui ont puissamment organisé la logistique des moudjahidine et qui, au lendemain de l’Indépendance ont subi un dommageable dépeuplement au profit des villes où commençait à s’installer l’industrie et l’économie des services.

Des Daïas aux Babors, et des Beni Chougrane au Hodna, en passant par l’Ouarsenis, le Djurdjura, les Bibans et les Aurès, les populations de montagne qui sont restées dans leurs douars d’origine se sentaient de plus en plus abandonnées, d’autant plus que l’économie locale, qui avait coexisté avec le système colonial régnant dans la plaine, commençait à se réduire en peau de chagrin pour diverses raisons, dont la montée en flèche du travail salarié dans les villes n’est pas la moindre.

Ce phénomène s’accompagna rapidement de la déstructuration de la cellule familiale- faisant tendre l’ancienne famille élargie vers la cellule nucléaire- et de la sensation d’une forme de « complexe » pour ceux que le sort n’a pas aidé à sortir de la condition de montagnard. 

DOMMAGEABLE DÉSÉQUILIBRE VILLE- CAMPAGNE  

Montagnard. Voici un adjectif- qui est aussi un substantif- qui est affublé d’une acception souvent péjorative. Cela signifiait un manque d’éducation, de culture et d’urbanité ; lot de complexes hérités de la colonisation qui a poussé les populations « indigènes » dans les retranchements des pitons montagneux.

La fierté d’avoir porté à bout de bras la révolution armée sur ces pitons a été quelque peu ébréchée par l’attractivité factice des villes pendant les années 60’ et 70’ du siècle dernier.

Les résultats- sur les plans économique, écologique et social de tels bouleversements- ne se sont pas fait attendre. Outre l’exode rural, dicté par la recherche du travail et du logement, l’espace montagneux avait pâti, pendant plusieurs années, du manque d’intérêt des pouvoirs publics.

Santé, éducation, infrastructures de desserte, électrification, politique de développement culturel et de loisirs, n’ont pas eu droit de cité dans les villages enclavés dans l’Ouarsenis, le Hodna, les Bibans, les Babors, le Titteri, le Djurdjura, etc. 

Avec la disparition de l’économie familiale- autrefois faite d’agriculture de subsistance, d’artisanat, de produits du terroir-, la source de revenus était devenue problématique.

Il ne restait que le départ vers d’autres horizons plus « cléments », à savoir les villes, même si, par la suite, cela s’avérera catastrophique pour la politique urbaine (aménagement, architecture, urbanisme). Le pays tout entier subira les bouleversements induits par cette mobilité sociale exceptionnelle. 

LE CHAOS DE LA ‘’DÉCENNIE NOIRE’’ 

La décennie noire, faite d’insécurité, d’assassinats et de chaos social,  avec ses exodes, ses déplacements, la rupture des chaines de ce qui restait comme métiers ruraux, les incendies de forêts et l’érosion des sols- a porté à son sommet le recul de la vitalité des territoires de montagne.

Cette dévitalisation a puissamment impacté, dans le sens de la dégradation, l’économie locale, les solidarités familiales, le niveau de vie, le cadre de vie général, les équilibres territoriaux, les écosystèmes et la biodiversité.

Vers la fin des années 1990, la région de montagne était devenue synonyme de misère, d’insécurité, de chômage, d’écoles brûlées ou fermées, de bureaux d’administration ayant mis la clef sous le paillasson dans des villages isolés.

Les massifs forestiers, décharnés par les incendies, donnaient une image apocalyptique des sommets et des versants de montagne, où l’érosion des sols a connu une avancée terrifiante.

Tous les éléments environnementaux et toutes les données économiques et sociales ont fait, depuis un quart de siècle, de nos montagnes des espaces rebutants, où même le tourisme est difficilement envisageable. 

DES PPDRI AUX « ZONES D’OMBRE » 

Les pouvoir publics, ayant pris conscience que la stabilité et la revivification du monde rural, particulièrement dans sa variante montagneuse, sont des conditions sine qua non de la stabilité de tout le pays et de la redistribution des nouveaux équilibres territoriaux, ont développé un intérêt particulier à cet espace dès la fin des années 1990.

Le premier projet d’emploi rural (PER1) a été initié dans les wilayas de l’Ouest à partir de 1997. Il a été suivi, à partir de 2002, par le PER2 dans les wilayas du Centre.

L’Algérie étant alors sous le régime du Plan d’ajustement structurel (Pas), dicté par le FMI, ce qui avait conduit notre pays à solliciter un cofinancement du projet auprès de la BIRD (Banque mondiale).

Le projet était axé sur des actions au bénéfice des foyers ruraux à même de générer des revenus (petit élevage, arboriculture fruitière) et de désenclaver les populations concernées.

Il s’agissait aussi de mobiliser les ressources hydriques par les travaux de la petite hydraulique, et d’améliorer les rendements en céréaliculture par des travaux de défoncement. En outre, des travaux de désenclavement des bourgades rurales et des exploitations agricoles ont été réalisés.

À partir de 2003, des projets de proximité de développement rural intégré (PPDRI), dont le nombre dépasse 4000 projets, ont été initiés en direction des zones rurales, et principalement celles de montagne. 

Ces projets, par le moyen des soutiens publics qui ont été consentis, ont permis des progrès notables qui, dans l’une des meilleures et significatives démonstration est le retour d’un nombre considérable de ménages, ayant subi l’exode, vers les bourgades et les hameaux de la montagne.

À l’intention de ces populations, des programmes consistants en habitat rural ont été mobilisés, donnant ainsi plus de niveau d’intégration aux premiers projets. 

Dès le début de l’année 2020, un programme spécial « zones d’ombre » a été conçu et mis en œuvre dans les zones rurales, consistant, pour un total de près de 12 000 projets, à compléter et consolider les anciens programmes de développement rural.

Cette fois-ci, l’attention est surtout dirigée vers l’amélioration du cadre de vie des habitants par les réseaux d’assainissement, la réhabilitation et l’extension des centres de soins, le renforcement des structures éducatives, l’AEP, le raccordement en énergie (électricité, gaz de ville), l’éclairage public, le renforcement du réseau de desserte (pistes et routes) et de télécommunication (téléphonie mobile, fibre optique et 4G pour internet). 

Dans l’état actuel des choses, il serait souhaitable de procéder à une véritable évaluation socioéconomique et environnementale de tous ces programmes mobilisés en direction des zones rurales, et plus spécifiquement, aux zones de montagne (emploi crées, niveau de retour des populations ayant subi l’exode, métiers ruraux réhabilités, attractivité des territoires en matière de tourisme de montagne,…).

C’est sur cette base, d’où seront tirées les leçons sur les réussites et les contraintes de cet axe de développement, que de nouveaux programmes devront être conçus en direction de zone de montagne. 

A. N. M.

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