Par Amar Nait Messaoud
(2ème partie et fin)
LES FLANCS DÉCHARNÉS DE GRATEN EN ATTENTE DE VERDISSEMENT
Une jeune plantation de pin d’Alep et de cyprès casse, par sa verdure, la monotonie ocre de la dorsale du mont Graten, à cheval entre les wilayas de Bouira et Médéa. Elle casse aussi, par la géométrie des cuvettes des plants, cette uniformité du sol partout tassé par une activité pastorale permanente sur des flancs revêches dont les fourrages sont épuisés depuis longtemps.
Nous sommes à Ridane, à l’extrême sud-ouest de la wilaya de Bouira. La tête de cette commune de 77,5 kilomètres carrés se trouve sur la croupe orientale du Titteri, et ses basques sont dans la steppe de Oued Maâmora, à la limite avec la wilaya de Médéa.
La calotte de Djebel Bouseddar est couverte de maquis et de taillis de chêne vert sur environ 1000 ha, dont 350 ha sont des bois domaniaux faisant partie d’une grande forêt appelée forêt domaniale de Sour Djouab dont près de 80 % relèvent de la wilaya limitrophe, Médéa. La ville et les ruines antiques de Djouab (ancienne Rapidi romaine) sont à un jet de pierre d’ici.
Dans les maquis et taillis de chêne vert, les agents forestiers ont fort à faire avec les populations riveraines qui exploitent illicitement du bois pour la fabrication de charbon. Ce phénomène, qui prend une large partie du temps et de l’énergie des agents forestiers, qui sont aussi agents de police judiciaire, s’étend également à la commune voisine de Dechmia, comme il est signalé sur l’ensemble du massif du Titteri de la wilaya de Médéa.
Le charbon de bois alimente les restaurants et gargotes des Hauts Plateaux de Sidi Aïssa-Aïn Lahdjel et de la région de Berroughia-Ksar El Bokhari. Ce sont des réseaux bien organisés auxquels font face, sans grands moyens, les agents forestiers. Mais, le travail se fait, malgré tout, avec le concours de la gendarmerie et la coordination du parquet.
Cette commune de moins de quatre mille habitants vit essentiellement de l’élevage ovin, avec près de 6000 têtes, en mode extensif, et la céréaliculture sur plus de 1300 ha. Par ces deux facteurs – élevage ovin extensif et pratique de la céréaliculture de subsistance -, dans un étage bioclimatique semi-aride, avec moins de 200 mm de précipitations annuelles, le processus de désertification a pris des proportions alarmantes.
Près de 80 % du territoire de la commune est constitué de terrains dénudés, érodés, dont la fertilité s’amenuise de jour en jour. En dehors de la dépression de S’hari et de quelques arpents de terre à Lechbour, sur Oued El Meida, le reste des terrains, même cultivés en céréales, ont montré leurs limites dans leur capacité à faire pousser une culture ou à faire régénérer les fourrages.
Ridane, tout en se détachant de sa commune-mère, Sour El Ghozlane, en 1984, reste intimement liée à cette dernière ville, chef-lieu de Daïra, en matière de services, et ce, malgré la distance qui les sépare, à savoir plus de 30 km.
Le projet de relance du Barrage vert a suscité beaucoup d’espoir dans cette région où la verdure se réduit à quelques maquis au nord du territoire. Le recul des fourrages- dû au surpâturage en extensif et une sécheresse qui dure depuis plus de quatre ans- et le tarissement de la retenue collinaire de Merdjet Lakouass, qui alimentait quelques maigres carrés de cultures maraîchères et des pans mesurés d’arbres fruitiers, ont crée une situation critique de chômage et de chute de pouvoir d’achat.
Les ménages mettent beaucoup d’espoir dans le projet du Barrage vert pour le désenclavement des parcelles agricoles par la densification des voies de desserte, la diversification de l’arboriculture fruitière et la mobilisation de l’eau par le moyen d’ouvrages de la petite hydraulique (mares, puits, forages, canaux de dérivation, bassins de stockage, aménagement de sources). La première intervention du nouveau projet de Barrage vert a consisté dans l’action prioritaire de fixation de la zone montagneuse de Graten (sur le lieu-dit Bir Ayad) par des reboisements forestiers. U
ne première tranche de 30 hectares a été déjà réalisée au cours de la dernière campagne (2023/2024). Une autre tranche, d’un même volume, a été achevée fin février dernier, en même temps que des plantations d’oliviers destinées aux agriculteurs de la région.
LE RÉVEIL DE ZEBOUDJA: LA CEINTURE OLÉICOLE
Nous nous déplaçons vers la localité de Touta-Zeboudja, commune de Dirah. Région d’élevage ovin en extensif, la pâture est réduite à sa plus simple expression depuis quatre ans, période de sécheresse extrême.
La politique publique de reconversion des systèmes de culture, en faisant passer, ne serait-ce que partiellement, un éleveur en arboriculteur, s’est matérialisée ici par un verger oléicole assez important. Les premiers vergers remontent au milieu des années 1990, avec le fonds FNRDA, géré par la DSA et la Conservation des forêts.
C’était dans le petit hameau de Touta, propriété de la grande famille des Boubekeur. Le patriarche de la famille, Si Cherif, Llah irahmou, avait montré un vif intérêt pour la plantation de l’olivier. L’administration lui aavit planté les parcelles longeant l’Oued Zeboudja, qui prolonge Oued Ben Ayed, cours d’eau qui commence son parcours sur le versant sud de Djebel Dirah. La propriété de Si Cherif a été visitée par plusieurs ministres de l’Agriculture.
Ces derniers avaient encouragé les autres habitants (éleveurs d’ovins et cultivateurs de céréales de médiocre rendement) à imiter le pionnier de la région et à s’investir dans l’arboriculture. Vinrent alors d’autres programmes, à l’image du Projet d’emploi rural (PER 2), en cofinancement avec la Banque mondiale, les PPDRI et le projet de la Ceinture oléicole. En tout, dans cette petite localité, pas moins de 200 ha d’oliviers sont là, productifs.
Le pressage des olives se fait dans des zones lointaines. Les exploitants sont contraints de se déplacer jusqu’au nord de la wilaya (huileries de Oued El Berdi, Bouira, El Esnam,…).
Néanmoins, il se pose un problème de l’entretien du verger, principalement la taille des arbres et l’enrichissement du sol en matière organique. Ce sont des volets qui ne sont pas encore bien pris en charge. Ces agriculteurs, supposés être arboriculteurs avec le capital végétal mis en place dans le cadre des soutiens de l’État, demeurent toujours attachés, du moins en partie, à l’élevage ovin.
Pourtant, un investissement important comme celui de l’olivier requiert la formation des exploitants dans les domaines de la taille, du greffage, de l’amendement et de la fertilisation des sols ainsi que dans la prophylaxie et les traitements phytosanitaires.
Sur le plan de l’évolution culturelle, il est à constater qu’avec la sédentarisation induite par l’arboriculture, de nouveaux comportements sont apparus dans la région. En effet, il n’est pas rare de surprendre, à la période de la cueillette des olives, des membres féminins de la famille se mettre à aider le chef de famille dans l’opération.
Les membres de la famille s’assoient sur un tapis à même le sol, et tirent les branches et les ramures des jeunes oliviers vers eux pour les dégarnir de leurs fruits. C’est assurément là un geste qui mérite d’être pris en photo n’était-ce le caractère un peu conservateur de la région.
Mais, cette pratique familiale, observable naguère uniquement dans les oliveraies de Kabylie, au nord de la wilaya, mérite d’être au centre d’un thème de sociologie rurale pour étudier l’évolution du comportement de la famille suite à l’installation des vergers arboricoles qui les fixent sur leurs terres.
C’est le processus de sédentarisation qui s’enclenche, avec ses conséquences sur le mode de vie, les besoins de la famille, la scolarisation des enfants et l’accompagnement des pouvoirs publics en matière de cadre de vie et de développement local.
Ces vergers oléicoles sont situés dans le périmètre du Barrage vert. Avec la verdure ainsi créée, la fixation du sol (naguère terrain dénudé, sans aucune trace de végétal) et le microclimat qui commence à s’établir (avec une strate herbacée luxuriante sous les houppiers des arbres), ces vergers s’intègrent parfaitement dans la logique et la stratégie du Barrage vert.
D’où ces oliviers tirent-ils leur alimentation en eau ? Avant les quatre dernières années caractérisées par une sécheresse sévère, ces arbres ont besoin d’une irrigation d’appoint en été. Les exploitants ont investi leur argent dans le creusage de puits, pour certains, de forages, pour d’autres, et de tracteurs-citernes pour d’autres encore.
Cela semble difficile, éreintant, mais les nouveaux arboriculteurs ont persévéré dans une situation où il n’y avait même pas d’électricité pour faire fonctionner un forage. Qu’à cela ne tienne.
Pendant des années, ils réclamaient l’énergie électrique aux différents walis qui se sont succédé à la tête de la wilaya et aux différents ministres qui ont visité la localité. Ils réclamaient, mais, en même temps, ils développent leurs activités, en maintenant les vergers en bon état.
Pendant tout ce temps-là, la conservation des forêts les a accompagnés par la construction de bassins de stockage d’eau. Rien que dans cette localité, on en a construit une dizaine, d’une capacité de 50 mètres cubes chacun.
À l’échelle de toute la région pré-steppique et steppique de la wilaya, ce sont plus d’une cinquantaine d’ouvrages de ce genre qui ont été construits depuis le début des années 2000.
Les bassins étaient alimentés soit par des citernes à partir d’autres régions, soit par des puits et forages fonctionnant au groupe électrogène. Ce n’est qu’en 2021 que, grâce au programme des Zones d’ombre, la région a été raccordée à l’électricité et au gaz naturel. La plupart des bassins sont situés sur des buttes, sur les hauteurs des oliveraies.
Les exploitants ont installé un système de goutte-à-goutte « artisanal » mais efficace. L’eau circule par gravité. Un bassin rempli (50 mètres cubes), utilisé pendant les trois mois de l’été pour une exploitation de 4 à 5 ha, se videra approximativement au bout de deux mois.
A.N.M.