À moins de quatre kilomètres de la ville de Sour El Ghozlane, dans la direction du Sud, un tapis vert, forestier, ramène l’horizon à notre portée, impose un franc contraste, aussi bien avec le milieu urbain qu’on vient de quitter qu’avec les champs plats de céréales, à peine sauvés et revigorés par les pluies de la mi-avril. Ce tapis vert prend sa pleine expression au niveau du col de Dirah (1100 m d’altitude), situé sur la R8 (Alger Boussaâda). Les travaux de dédoublement de cette route, entamés l’année dernière ont été obligés d’empiéter sur la forêt de pin d’Alep et de cyprès pour créer un deuxième couloir de la route (2×2 voies).
Par Amar Nait Messaoud
Il est vrai que l’on ne peut pas faire d’omelette sans casser les œufs, mais cette « saignée » sur quelques centaines de mètres a quelque peu « dépité » ceux qui avaient assisté à l’érection de ce tissu forestier au prix de considérables efforts des agents et cadres de l’ex-Office national des travaux forestiers (ONTF) de la fin des années 70’ et début 80’du siècle dernier.
On ne dispose pas malheureusement des photos de ces lieux avant l’installation de la forêt, mais les terrains voisins, dans la direction de la commune de Dirah, nous renseignent sur le caractère désertique de la zone.
Hormis une vaine pâture, un maigre fourrage steppique, la couleur ocre et les griffes de l’érosion sont les marqueurs du sol et des bassins versants de la région. Nous sommes à l’orée du périmètre du Barrage vert qui touche la wilaya de Bouira, dans son flanc sud, sur 95 000 hectares.
Un vieux conducteur de travaux de l’ex-ONTF, Mr Remli Mohamed, nous raconte comment, avant l’intervention des éléments de l’Anp au début des années 1980, cet Office avait déjà lancé les grands travaux de reboisement, parmi lesquels ceux devant nous, formant un rideau végétal à partir du col de Dirah jusqu’en profondeur de des collines de Chebika, Traka, Chouf Beidha, Boukadroun, Lalouah,… etc.
Ces bosquets et bois plantés il y a plus de quarante ans sont aujourd’hui un creuset d’une nouvelle biodiversité et source d’un microclimat dans une zone grevée, initialement, par le phénomène de l’aridité et de désertification.
CÈDRE ET CYPRÈS : UN DESTIN PARADOXAL
En empruntant la piste de montagne qui traverse, de bout en bout sur 12 km, Djebel Dirah (point culminant à 1810 m à Hadjrat El Hadiane), l’on s’aperçoit, d’une part, de l’intensité des efforts accomplis par les agents et cadre de terrain pour installer cette barrière végétale qui porte le nom de Barrage vert, et, d’autre part, de la majesté des lieux où la beauté de la nature de haute montagne a été rehaussée et mise en valeur par un travail de l’homme sur la nature.
Ici, le cèdre (cedrus atlantica) et le cyprès (cupressus sempervirens et cupressus communis) trô- nent à 1700 m d’altitude. Ces plantations, arrivées aujourd’hui à maturité, sont issus du reboisement de 1981/82. C’était le premier projet de Barrage vert.
Nous sommes, à cette latitude, dans la limite nord du projet. Face à l’activité pastorale intense, ces plantations ne devaient leur survie qu’à des circonstances exceptionnelles.
En effet, la pression pastorale, exercée par des milliers de têtes d’ovins et de bovins, avait fait, au début, que ces plantations étaient restées rabougries, avec une croissance fasciculée, du fait de l’amputation de leur bourgeon apical par les troupeaux.
Paradoxalement, c’est la période d’insécurité des années 1990 qui leur était favorable, du fait que l’estivage des troupeaux en montagne avait cessé. Les troupeaux étaient réduits à l’aliment industriel de synthèse ou à…bradage.
En quelques années, pendant lesquelles l’agression extérieure anthropique s’était arrêtée, les plantations prirent de la vigueur, s’élancèrent dans le ciel et échappent aux dents des troupeaux, lesquels, entretemps, avaient « repris leurs quartiers » sur les lieux, situation d’ailleurs qui prévaut actuellement.
Les cônes du cèdre 43 ans après, ont atteint déjà la maturité. Le site et les arbres qui le colonisent nous rappellent, par plusieurs de leurs aspects le paysage de Tikjda et de Tala Bwudi (Aïn Zebda) qui font partie du Parc national du Djurdjura (PND), versant sud relevant de la wilaya de Bouira, alors que la distance, à vol d’oiseau, entre les deux sites est d’environ 45 km.
Le premier, sur le Djurdjura, appartient à la partie septentrionale de la chaîne de l’Atlas tellien, proche de la mer, alors que le second site constitue, en revanche, la partie méridionale de cette même chaîne, autrement dit, les derniers contreforts qui ouvrent, vers le sud, l’espace vers les plaines steppiques du Hodna.
C’est à partir de cette ligne de démarcation que commence le périmètre du Barrage vert, s’étendant sur un territoire, vaste de 95 000 ha, d’une semi-aridité sévère. Au cours de ces dernières années, un glissement des étages bioclimatiques y a installé une quasi-aridité, avec une pluviométrie moyenne annuelle de 100 à 150 mm.
D’où l’intérêt des pouvoirs publics et des techniciens algériens à exhumer l’ancien projet du Barrage vert de l’ère Boumediène, le réhabiliter et en faire l’extension, avec une méthodologie d’intervention plus rigoureuse, basée, en premier lieu, sur la diversification des espèces, de façon à installer des plantations plus résilientes aux changements climatiques (espèces forestières, pastorales et fruitières), mais basé aussi sur l’intégration des populations rurales de façon à créer des espaces économiques, créateurs de richesses et d’emploi.
ET L’EAU JAILLIT DES MONTAGNES !
Sur les pelouses d’estive et les versants de replat du mont Dirah, nous trouvons, à côté de la plantation du cèdre, réalisée dans le cadre du premier projet (1982), un reboisement de la même espèce, réalisé en deux campagnes, 2023 et 2024, sur une étendue de 30 hectares, dans le cadre du nouveau projet intitulé «réhabilitation et extension du Barrage vert».
Les troupeaux de bovins, qui paissent sur les pelouses vertes des des dépressions ou des basfonds des ruisseaux, sont tenus « en respect » par le gardien des plantations de cèdre recruté dans un hameau proche dès le début du chantier de plantation. Mieux encore, pour la première fois dans la région, une jeune plantation est clôturée en fil babelé.
Le gardien est toujours là pour éloigner les bovins qui risquent d’être blessés par les fils. La clôture sera enlevée dès que les plants auront la hauteur qui les mettra hors du risque de broutage.
À côté des plantations, l’administration des forêts a construit, au printemps 2024, trois bassins de stockage d’eau d’une capacité de 40 mètres cubes chacun. Ils sont alimentés par des sources captées en amont, aménagées et reliées par des conduites de plusieurs centaines de mètres aux bassins.
Le rôle des bassins d’eau est multiple: servir à l’arrosage des jeunes plants forestiers en été, servir de source d’abreuvement pour le cheptel, principalement bovin, étancher la soif des animaux sauvages et du gibier, et, enfin, contribuer au ravitaillement des véhicules-citernes pour la lutte contre les incendies des forêts et des récoltes agricoles.
Une des sources captées et aménagées, à très fort débit, jaillissant de la terre, se jette par-dessus une très haute falaise et rejoint, avec une dénivelée de 400 m et une longueur de 1000 m, le bassin construit au bord de la piste dominant le hameau de Ouled Tadjine.
LES RANDONNEURS DE DAR EDHLAM
La falaise, encastrée dans un vallon recouvert par l’ombrage d’un maquis de chêne vert et des plantations de cyprès, s’appelle Dar Edhlam (La Maison de l’obscurité), un nom qui tire son origine de la configuration géomorphologique tourmentée des lieux et de la dense couverture forestière formant une « mini-canopée » où la lumière est fortement tamisée, voire parfois absente.
Ce sont la masse végétale du vallon du Guergour et les parois raides de la falaise qui donnent cet aspect d’obscurité et installent une humidité permanente en ces lieux. Depuis que l’administration des forêts a aménagé la piste centrale de 12 km, l’afflux de visiteurs vers le site de Dar Edhlam se fait de plus en plus dense.
Les jeunes randonneurs passent même la nuit sur le site, avec des équipements adaptés au séjour en plein nature. Ces jeunes se mettent, lorsque l’occasion se présente, à la disposition des pouvoirs publics et autorités locales pour des opérations de reboisement et des campagnes de nettoyage.
Le bassin qui reçoit les eaux de la source de Dar Edhlam est implanté sur un site stratégique: le bord de la piste dominant le hameau de Ouled Tadjine. Il est à la lisière d’une belle forêt de pin pignon plantée en 1982/83 dans la cadre du premier projet de Barrage vert.
Un peu plus loin, sur la même piste, un investisseur a érigé un gite touristique dans un milieu forestier fait de verdure et de chants d’oiseaux.
Les deux structures se complètent de façon parfaite, offrant aux randonneurs et touristes des services adaptés dans un environnement idéal, fait de verdure, d’eau fraiche, de doux gazouillis et de proximité humaine, sachant que les hameaux de Ouled Gacem, Ouled Tadjine et Djaâfra, situés au pied de la montagne et à la lisière du périmètre du Barrage vert, sont à quelques lieues d’ici.
En raison de cet environnement féérique et de cette ambiance de verdure qui ne connaît pas encore de tourisme de masse, mais dont les flux de visiteurs augmentent de jour en jour, la direction du Tourisme de la wilaya de Bouira entrevoit ici l’érection d’une zone d’expansion et de site touristique (ZEST). En tous cas, l’idée est en train de mûrir au sein des services de cette administration.
A.N.M.
La suite dans notre édition de demain