Les tracasseries pour les ménages algériens ne font que commencer. Apres un été difficile, marqué par un confinement mal vécu, les ménages algériens, qui ont dû faire face aux factures salées de l’électricité, de l’AEP, du téléphone et les pseudos vacances qui ont coûté les yeux de la tête, doivent encore subir les effets dévastateurs d’une rentrée sociale, qui ne les rassure pas en dépit du discours apaisant des pouvoirs publics.
Par Réda Hadi
Pratiquement, la majorité des syndicats, quel que soit le corps de métiers, annonce des préavis de grève. Les parents se retrouvent entre le marteau et l’enclume. Avec leur pouvoir d’achat qui n’en finit pas de chuter, et la satisfaction des besoins de leurs enfants pour la rentrée scolaire, il leur sera très mal aisé, de subir les contraintes des effets de la pandémie dus à la Covid-19.
En cette rentée sociale, les parents ont la boule au ventre devant les annonces de grèves de syndicats d’enseignants.
«Je peine déjà à régler mes factures, et mon inquiétude grandit encore plus, quand mes enfants après 6 mois de vacances forcées, devront une énième fois subir les aléas de la grève de leurs enseignants, alors que le trimestre n’est même pas entamé. Avec une situation politique qui n’est pas des meilleures, je crains le pire», nous dit Amar, agent de sécurité à la Sonelgaz.
L’inquiétude est grandissante au sein de la population frappée par une terrible crise. Des dizaines de milliers de ménages algériens ont sombré dans la précarité, suite aux mesures gouvernementales de confinement. L’emploi a disparu ou s’est raréfié, le pouvoir d’achat a drastiquement baissé, des entreprises par centaines ont sombré dans la faillite ou perdu leurs parts de marché.
L’économie du pays a plongé, et la survie de l’Algérie n’a pu être assurée que grâce aux réserves de changes disponibles à l’extérieur du pays, et qui ont pu permettre la disponibilité de produits de base.
Des nuages à l’horizon
Le Fonds monétaire international (FMI) n’est pas optimiste et prévoit une chute de 5,2% du produit intérieur brut algérien en 2020, soit un peu plus que les prévisions pour la région Afrique du Nord et Moyen-Orient.
Ainsi, le FMI prévoit un important déclin de l’activité économique en Algérie, frappée de plein fouet, à la fois, par la crise sanitaire et par la chute des cours du brut qui, nonobstant l’accord à l’arraché obtenu par l’Opep+, peine à sortir de la zone rouge.
La Bad (Banque africaine de développement dit dans son dernier rapport, que le produit intérieur brut (PIB) réel de l’Algérie, devra se contracter à 5,4%, si la pandémie se poursuit jusqu’en décembre.
Des analystes affirment aussi que la pandémie de Covid-19 est venue détériorer les perspectives économiques de l’Algérie pour 2020. La production d’hydrocarbures devrait reculer de 17,7%, alors que la croissance hors hydrocarbures – restée positive depuis 2014 – devrait enregistrer un repli de 2,3%. Les déficits budgétaires et courants pourraient respectivement atteindre -20% et -18% du PIB. La dette publique s’établirait à 61% du PIB et les réserves de changes à 36 Mds USD fin 2020 (soit 8 mois d’importations).
Sur le terrain, cela se traduit, par une précarité plus accrue, d’où une plus forte demande d’aides sociales, et un grand nombre de wilayas connaissent des protestations pour réclamer des avantages ou améliorations sur le plan socio-économique.
Avis d’experts
Hamidouche M’hamed, docteur en analyse économique : «La rentrée sociale est une notion de sémantique»
Questionné au sujet de la rentrée sociale, Hamidouche M’hamed, docteur en analyse économique, affirme que la rentrée sociale en tant que telle n’est qu’une question de sémantique, élaborée dans les années 1980 par l’ex-président Chadli Bendjedid.
Pour lui, ce n’est juste qu’une période que les ménages doivent gérer en fonction de leurs revenus.
«Je tiens avant tout préciser qu’en soi, il n’y a pas de rentrée sociale. C’est un terme utilisé du temps de l’ex-président Chadli Bendjedid, et qui a fini par se perpétuer. C’est une période comme toutes les autres. C’est aux ménages de savoir gérer ce quotidien en fonction de leurs revenus». «Effectivement, ces moments sont difficiles, et ce, d’autant plus que les aides octroyées ont été jugées insuffisantes. L’Etat, en ce sens, devrait prendre modèle sur ce qui se fait ailleurs, et surtout, ne pas perdre de temps. L’Etat devrait avoir plus de réactivité et de lisibilité dans ce qu’il entreprend. Les aides octroyées devraient être plus conséquentes et adaptées à chaque secteur d’activité. Car chacun ayant sa propre spécificité.
Les aides devraient être plus concentrées vers les allégements fiscaux et les charges patronales.
L’Etat devrait prendre en charge les premiers besoins, dans une concertation par région. Ce qui manque à Tamanrasset, ne peut l’être obligatoirement à Batna, par exemple. L’État s’est pris trop tard pour venir en aide aux entreprises.
De plus, il est difficile d’avoir des statistiques fiables sur la fermeture d’entreprises pour le moment, et ce, d’autant plus que beaucoup de professions libérales ont changé d’activités».
Lalmas Smaïl, expert économique, formateur en métiers d’export : «La rentrée sera explosive»
Smaïl Lalmas, quant à lui, s’est montré très pessimiste sur la rentrée sociale qui s’annonce difficile à ses yeux. Jugeant la situation «explosive», il déplore que les leviers à même de faire tourner les moteurs de l’économie n’aient pas été actionnés suffisamment.
«Nous allons traverser une période difficile. Le pouvoir d’achat des citoyens ne cesse de dégringoler depuis 2014. Et la Covid-19 n’arrange guère les choses. L’Algérie est avant toute chose en crise de modèle économique. Pour gérer cette mauvaise passe, on s’est contenté de discours creux, et l’arrêt des grands chantiers de l’Etat va impacter durablement les secteurs comme le BTP, par exemple.
Faute de mesures d’accompagnement durables, il sera difficile aux entreprises [et je pense aux PME/PMI], de sortir la tête de l’eau. Les seules [et elles ne sont pas nombreuses] à pouvoir le faire, seront les grandes entreprises, mais au prix de restructuration et de réduction de personnels. Ce qui enflera encore la grogne sociale qui va s’amplifier.
Les pouvoirs publics ont trop tardé à réagir, et en l’absence de programmes efficients pour booster l’économie, le chômage va exploser.
Il sera difficile de contenir la grogne à venir, avec un pouvoir d’achat en baisse.
L’Etat doit, donc, intervenir. Dans les pays les plus protectionnistes, l’Etat est intervenu à grands renforts de milliards de dollars pour sauver les secteurs en difficultés. On devrait en prendre exemple.
On ne peut relancer notre économie que par la hausse du pouvoir d’achat, exempter les entreprises des charges qui leur incombent nt durant cette période.
L’Etat doit investir massivement dans les secteurs clés, et alléger les charges des petits commerces, par exemple.
De plus, il n’y a pas que l’économie formelle qui va pâtir de cette situation. Bien qu’il soit difficile de connaître la part de l’économie informelle, celle-ci aussi sera touchée par la crise. Bien que non reconnue, l’économie informelle participe pour une bonne part à l’activité nationale.
Avec un pouvoir d’achat en baisse des deux côtés, il sera difficile aux ménages de relancer la consommation.
Octobre sera difficile à affronter, et l’explosion sociale n’est pas loin.
Juste un denier mot. Nous devons rendre des mesures claires et surtout faire ce que d’autres ont fait. Il n’y a aucune honte à imiter ce qui marche ailleurs.
Nous devons avoir une politique de relance adaptée, et savoir anticiper. Il faut ramener les compétences et les utilisera à bon escient et actionner les moteurs de l’économie.»
Propos recueillis par Réda Hadi