Après la promulgation d’une loi sur la spéculation illicite, le ministère du Commerce et de la promotion des exportations poursuit ses efforts pour l’organisation du marché, notamment, la question des prix.
Akrem R
Actuellement, les commerçants appliquent des taux de marges bénéficiaires trop «élevés», et ce, face à l’absence d’un cadre réglementaire ainsi que d’une organisation adéquate de nos marchés, rendant difficile la maitrise de la chaîne de distribution et la stabilisation des prix. C’est dans ce cadre que s’inscrit la démarche du gouvernement, visant la mise en place d’un mécanisme de plafonnement des marges bénéficiaires.
Le ministre du Commerce et de la Promotion des exportations, Kamel Rezig, a annoncé, en effet, qu’un projet de loi visant à plafonner les marges bénéficiaires des produits de large consommation a été mis sur la table du gouvernement pour débat. Ainsi, une fois ce projet de loi adopté, le ministère du Commerce, avec la contribution d’autres départements ministériels, notamment, celui de l’Agriculture et de l’Industrie, pour le plafonnement des marges bénéficiaires des produits de base. L’élaboration d’une telle loi est une louable initiative, toutefois, son application sur le terrain est très difficile voire, «impossible», selon des experts, du fait que des secteurs de production, à l’instar de l’agriculture et des activités commerciales, échappent, tout simplement, à tout contrôle, étant versés dans l’économie informelle. Par ailleurs, autre facteur à même de contrarier l’ambition gouvernemental, le fait qu’il est très difficile de connaitre avec exactitude, les coûts de production permettant de fixer la marge bénéficiaire des producteurs, des commerçants de gros, et des détaillants.
Dans ce cadre, l’expert agricole, Laala Boukhalfa, a recommandé d’effectuer d’abord, un recensement agricole pour l’identification des intervenants avant de penser à l’organisation de la chaine de production et de commercialisation. Actuellement, indique-t-il, entre 70 à 80% des fellahs activent dans l’informel, et seulement, moins de 20% des acteurs sont identifiés. C’est un véritable casse-tête pour les pouvoirs publics, dont un grand travail doit être consenti en amont (identification et sensibilisation), afin de les convaincre d’adopter le système de facturation.
Il est à rappeler que le ministre de l’Agriculture, Mohamed Abdelhafid Henni, avait annoncé la décision, prise conjointement avec le ministère du Commerce, de fixer la marge bénéficiaire des commerçants à 20 % en Algérie. Une décision qui n’a pas fait d’unanimité parmi ces derniers, dans la mesure où il est précisé que la marge bénéficiaire est fixée selon plusieurs paramètres, dépendant principalement des activités commerciales et de la région dans laquelle exerce le commerçant. Pour sa part, l’expert en économie, Ishak Kherchi, a indiqué que les pouvoirs publics affronteront un sérieux problème dans le plafonnement des marges bénéficiaires des produits subventionnés, laissant entendre que les prix d’autres produits seront régulés par le marché (l’offre et la demande). «L’élaboration d’une loi pour le plafonnement des marges bénéficiaires est beaucoup trop important pour les producteurs, les industriels et les commerçants de gros et de détail», affirme-t-il, soulignant que la récente perturbation sur le marché qu’a connue l’huile de table, est due à la marge bénéficiaire. « La hausse des prix des intrants sur le marché international et, également, la hausse des coûts de production, sont à l’origine de la perturbation. Le net recul de la marge bénéficiaire chez le producteur a conduit ce dernier à l’augmentation des prix de ses produits. Une décision que les grossistes n’ont pas apprécié, refusant de distribuer leurs produits, notamment, avec l’imposition du système de facturation aux détaillants», explique-t-il.
A.R.
Pour notre interlocuteur, le plafonnement de la marge bénéficiaire de ce genre de produits, nécessite la révision à la hausse, des compensations accordées aux producteurs. Concernant la problématique du marché informel, Kherchi a préconisé de mettre en place des systèmes du numérisation permettant de connaitre l’itinéraire de la marchandise.
Hamza Boughadi, expert en économie : « Le problème réside dans la gestion »
L’expert en économie, Hamza Boughadi estime que le problème n’a jamais été une question de loi ou de réglementation, mais plutôt un problème de gestion. L’Algérie, depuis le début des années 90, a pris le chemin vers le changement de son modèle économique, d’un modèle socialiste dirigiste à une économique mixte qui était caractérisée par l’ouverture sur le marché et la libération de certains produits et industries d’une part. D’autre part, les pressions des institutions internationales qui exigeaient des réformes structurelles profondes parmi la libération des prix, rappelle-t-il.
Ce projet de loi, pour qu’il soit juste et correcte, doit répondre à ces problématiques, dira d’emblée Boughadi. En premier lieu, notre interlocuteur recommande l’adaptation de l’impôt pour certaines activités, objet de ce plafonnement. «On ne peut pas exiger, par exemple, des TAP, IBS et IRG à 26% de bénéfice au marchand ou producteur qui est soumis à un plafonnement de 10% de marge seulement», précise-t-il.
Ainsi, il a plaidé pour l’application de cette loi, uniquement sur les produits de large consommation, notamment les produits subventionnés, tout en mettant des mécanismes équitables.
«On a vu, dernièrement, que l’Etat avait révisé le prix d’achat de blé à la hausse, ce qui va préserver et booster les agriculteurs, quant à se développer. Si on applique un plafonnement à des produits non subventionnés, ça sera désastreux vu que ce serait dissuader toute volonté d’investir tuer toute concurrence, ce qui contredit le principe de l’économie libre et de l’économie de marché», détaille-t-il.
Propos recueillis Akrem R.