Débattu lors de la réunion du gouvernement d’avant-hier, le lancement prochain du 6ème RGPH (recensement général de la population et de l’habitat) remet sur la table la question des statistiques et les banques de données, pour différents secteurs d’activité, qui constituent un élément incontournable pour toute prise de décision.
Par Mohamed Naïli
Dans le domaine statistique, les insuffisances sont en effet criantes, tous domaines confondus, et les acteurs sont nombreux à soulever cette question d’une manière récurrente. Que ce soient les responsables sectoriels et locaux, les opérateurs économiques ou les chercheurs universitaires, ils ont souvent avoué leur incapacité à cerner une problématique donnée ou évaluer un programme ou action quelconque en l’absence de données statistiques fiables et actualisées.
Dans le cas du recensement de la population et sa répartition sur le territoire national, lorsque l’on sait que le dernier RGPH remonte à 2008, le 5ème depuis l’Indépendance, il est facile de saisir l’ampleur des difficultés qui se posent pour concevoir des projets structurants, évaluer les besoins en infrastructures publiques au niveau des régions, ou mettre en place des politiques d’aménagement du territoire cohérentes. Et ce, sachant qu’en 14 ans, à savoir depuis 2008, toutes les données démographiques ont changé alors que des villes et centres urbains ont subi des transformations et extensions importantes.
Bilans contradictoires
Le déficit en matière de statistiques fiables ne se pose pas uniquement au niveau de la démographie et de l’Habitat, qui empêche, notamment, de mettre en œuvre des politiques d’aménagement urbain efficaces. Bien au contraire, ce sont tous les secteurs d’activité qui manquent de bases de données exhaustives qui permettraient de prendre des décisions ou faire des projections cohérentes.
Dans le secteur de l’Agriculture, toutes les analyses qui se font sur les filières, les besoins, les potentialités de chaque région et autres, s’appuient sur le dernier RGA (recensement général de l’agriculture), réalisé en 2001. Serait-il logique de prendre une décision en s’appuyant sur des données qui remontent à deux décennies alors que, depuis, le secteur a connu des mutations profondes ?
Citant l’exemple des transformations et bouleversements que connaissent les marchés et structures agraires, l’agroéconomiste Omar Bessaoud du Ciheam (Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes) affirme : « On a très peu de statistiques. Si on prend la statistique officielle, la dernière date de 2001, donc elle remonte à plus de 20 ans. Aujourd’hui, on n’a pas de chiffres officiels sur, par exemple, qui possède quoi, par classe de superficie, qui fait quoi, etc. On n’a pas d’études, ni de bilans, et même lorsque on peut les avoir, ils sont contradictoires. J’ai eu à consulter certaines sources mais elles se contredisent ».
Conscient de l’handicap que constitue le manque de statistiques actualisées pour asseoir des politiques de développement qui répondent aux attentes des acteurs des différentes filières, le ministère de tutelle a annoncé un nouveau recensement en 2020. Mais, plus de deux ans après, l’opération n’a été achevée que dans la wilaya de Ghardaïa en mars dernier. A ce rythme, le recensement des 57 autres wilayas risquera de prendre des années, voire des décennies.
Manque de cohérence
Cette lacune se voit clairement lorsqu’il s’agit du portefeuille foncier dédié à l’agriculture, estimé depuis des décennies à 8,5 millions d’hectares, alors que cette superficie a connu des transformations capitales, avec des centaines de milliers d’hectares mis en valeur dans le sud et d’autres périmètres qui ont carrément disparu dans le nord du pays, engloutis par l’extension urbaine des villes.
Dans les autres secteurs, que ce soit l’industrie, le commerce ou autres, les carences dues à l’absence de données exactes ne sont pas moindre. C’est pourquoi, par exemple, d’énormes déséquilibres sont constatés dans la distribution de certains produits, comme le lait, l’huile de table ou la semoule, dont certaines wilayas sont plus touchées que d’autres par les pénuries.
Même lorsqu’il s’agit de l’investissement, les porteurs de projets ont, à maintes reprises, soulevé cette absence d’éléments statistiques fiables leur permettant d’effectuer des études de marché et concevoir leurs business plans.
Ces retards dans la mise à jour du capital statistique national persistent malgré l’intérêt des pouvoirs publics pour ce volet qui se traduit notamment par la création d’un ministère dédié à cette fonction, le ministère de la numérisation et des statistiques en l’occurrence. Avant lui, il y a eu le ministère de la prospective et des statistiques mais qui n’a pas fait long feu et son bilan en matière de réalisations est des plus maigres. Outre le rang ministériel, une panoplie d’organismes dédiés à la fonction statistique est mise en service, comme l’ONS (Office national des statistiques), le CNIS (Centre national de l’informatique et des statistiques) et tant d’autres.
M. N.