Concentrer les efforts sur l’amélioration des rendements, l’identification des sites de production et stockage des céréales et recours à l’utilisation de nouvelles technologies pour déterminer les superficies réelles cultivées. En mettant le doigt sur ces points, lors de la réunion du Conseil des ministres de ce dimanche, le chef de l’Etat a sans doute touché à des volets des plus sensibles de la céréaliculture locale, dans la perspective d’asseoir plus de transparence dans la gestion de cette filière stratégique pour la sécurité alimentaire du pays.
Par Mohamed Naïli
«Le Président a donné des instructions quant à l’impérative exploitation, dès cette saison, des moyens technologiques, notamment les drones pour identifier les sites et les conditions de stockage des céréales. Il a également ordonné le recours à la photographie par drones, tout en assurant la coordination entre les services de l’Agriculture et de sécurité pour déterminer les superficies réelles des terres cultivées», est-il souligné dans le communiqué rendu public à l’issue du dernier Conseil des ministres.
Telles sont donc les nouvelles orientations qui marqueront la filière céréalière dès la saison agricole qui sera lancée dans les quelques semaines à venir. Néanmoins, il importe désormais de s’interroger sur les mobiles qui motivent le recours à ces procédés pour une culture placée comme pivot central de l’agriculture locale et du plan de réduction de la dépendance des marchés internationaux de matières premières agricoles en visant l’autosuffisance à l’horizon 2025, du moins pour ce qui est du blé dur et de l’orge, tel qu’il ressort de la feuille de route du ministère de tutelle pour la période 2020-2025.
Des drones pour identifier les cultures réelles
Ainsi, si le chef de l’Etat est allé jusqu’à donner des instructions dans ce sens, c’est sans doute la réponse jugée la plus appropriée pour mettre la lumière sur les paradoxes qui entourent la filière céréalières en dépit de tous les programmes d’appui et de soutien aux acteurs qui y activent, en amont et en aval de la production.
En d’autres termes, est-il logique pour une filière qui occupe entre 3 et 3,3 millions d’hectares annuellement, soit plus d’un tiers de la SAU (surface agricole utile) totale du pays (8,5 millions d’hectares), absorbant entre 3 et 4 millions de quintaux de semences chaque saison et compte plus de 600.000 exploitants agricoles se déclarant céréaliculteurs, d’aboutir à l’issue de chaque campagne de moisson-battage à des résultats aussi faibles ne couvrant qu’à peine 30% des besoins du marché national en céréales destinées à la consommation humaine?
C’est donc la volonté de faire la lumière sur les enjeux et les dessous de cette filière qui inspire le recours à cette approche. En effet, depuis plusieurs années, voire des décennies, chaque saison est lancée avec un objectif, modeste soit-il, d’améliorer la production locale pour réduire la facture des importations qui avoisine chaque année les deux milliards de dollars, mais le résultat est toujours le même: des récoltes à la peine et des collectes par les CCLS qui n’ont jamais dépassé le cap des 27 millions de quintaux (toutes céréales confondues), de l’aveu d’un l’ancien ministre de l’Agriculture, alors que les besoins du marché en blé seulement (tendre et dur), atteignent désormais les 100 millions de quintaux.
Dans le même souci, le chef de l’Etat prend aussi en main la question des rendements qui peinent à décoller en dépit de tous les efforts consentis par les organismes spécialisés et l’accompagnement de l’Etat aux producteurs. «Le Président Tebboune a également enjoint de lancer une campagne nationale avec l’association de tous les acteurs des collectivités locales et des agriculteurs, en vue d’œuvrer rapidement à l’augmentation du rendement de la production par hectare de blé et d’orge, tout en intensifiant le partenariat étranger, dans l’objectif d’atteindre une moyenne de production de 30 à 35 quintaux par hectare», précise encore le même communiqué.
En effet, il n’est pas normal non plus pour une filière qui bénéficie de soutien de l’Etat relativement important de rester confinée dans des niveaux de rendements moyens de 20 quintaux/hectare par année. Avec des rendements aussi faibles, la filière n’est pas près d’amorcer un cycle de rentabilité.
Interrogé sur ce point, l’expert agronome Camara Karifa, assurant l’encadrement de dizaines d’exploitations agricoles dans les wilayas d’El Oued et El Menia, estime que «la question des rendements dans la filière céréalière dépendent de plusieurs facteurs, mais le premier facteur empêchant l’amélioration des rendements est la qualité des semences utilisées».
En finir avec les rendements sous les 10 qtx/ha
Plus explicite, il rappellera que «l’Algérie n’importe plus de semences céréalières depuis plusieurs années, à l’exception du maïs qui est une culture nouvellement introduite dans l’agriculture locale. Les semences utilisées sont donc produites par des multiplicateurs qui travaillent en partenariat avec les CCLS selon un cahier des charges et un protocole technique définis préalablement pour produire des semences à partir de céréales de consommation importées».
Néanmoins, «ces semences issues de la multiplication ne sont pas de meilleure qualité et souvent ne sont pas adaptées aux conditions pédo-climatiques des zones de productions. C’est pourquoi les producteurs céréaliers trouvent d’énormes difficultés à augmenter les rendements à l’hectare qui, dans plusieurs cas, tournent autour de 10 quintaux/hectare», explique M. Karifa.
En outre, il convient de relever que ces nouvelles instructions du chef de l’Etat s’inscrivent en droite ligne de la nouvelle approche en cours d’élaboration au niveau du ministère de l’Agriculture et du développement rural pour la redéfinition des paramètres régissant l’affectation des subventions pour la filière céréalière. En effet, en juillet dernier, le directeur général du BNEDER (Bureau d’études pour le développement rural), Khalde Ben Mohamed, a révélé que «la reconsidération des paramètres définissant les subventions agricoles», en affirmant qu’après avoir constaté «des inégalités en matière de rendements», avec, a-t-il expliqué, «des régions où les rendements dépassent les 50 quintaux/hectare, et atteignent parfois les 80 qtx/ha, comme les wilayas de Khenchela ou Guelma à l’Est du pays, alors que dans d’autres régions, les rendements sont au dessous de 10 qtx/ha, il sera question d’orienter les subventions vers les zones de production où les rendements sont plus importants et les cesser pour les régions où les rendements sont faibles».
M. N.