Avec la confirmation, chaque année, du phénomène des changements climatiques- dans le sens du réchauffement des températures, de la diminution drastique de la moyenne des précipitations annuelles et de la répartition irrégulière et imprévisible de la pluviométrie sur les douze mois de l’année-, l’Algérie, pays faisant partie de la zone du monde la plus affectée par ces changement, à savoir le bassin méditerranéen, n’a d’autres choix que de mobiliser tous ses moyens et son intelligence pour faire face à ce qui, pour certains analystes, se profile comme une étant une future « guerre de l’eau ».
Par Amar Naït Messaoud
Notre pays a, en effet, accompli des efforts considérables, depuis le début des années 2000- et particulièrement suite à la sécheresse historique de l’année 2002-, pour la récupération des eaux de pluies à travers la constitution de nouveaux barrages- plus d’une dizaine-dont les deux plus grands à l’échelle nationale, Beni Haroun (à Mila, d’une capacité de presque 1 milliard de mètres cubes) et Koudiat Acerdoune (à Bouira, d’une capacité de 640 millions de mètres cubes).
Néanmoins, la régression de la pluviométrie sur les monts de l’Atlas tellien et de l’Atlas saharien au cours de ces dix dernières années, a quelque peu relativisé la sécurité hydrique que l’on croyait définitivement acquise avec la construction des barrages.
Un barrage aussi grand que Koudiat Acerdoune s’est vidé complètement de son eau il y a trois ans.
Donc, la sensibilité de la ressource en eau continue à peser dans la configuration générale de l’économie nationale et dans les politiques publiques du pays, si bien qu’un nouveau concept fit son apparition dans le glossaire de l’administration et des services techniques chargés des ressources en eau : la sécurité hydrique.
Ce n’est que légitime, à telle enseigne que les pouvoirs publics se sont lancés dans un nouveau créneau en relation avec la mobilisation des ressources hydriques, en investissant dans une innovation technique qui a pour nom « station de dessalement de l’eau de mer ».
En effet, compter uniquement sur le remplissage des barrages, devenu fort aléatoire avec une sécheresse devenue chronique, ou sur les eaux souterraines, mobilisables par le moyen de forages et de puits, mais subissant les mêmes aléas pluviaux, serait source d’incertitude et de perturbation pour une population dont l’écrasante majorité habite dans la partie septentrionale du pays, justement là où les barrages et les nappes phréatiques sont exploités.
« Le stress hydrique, qui a affecté le pays pendant les années 90, a amené les pouvoirs publics à engager un programme d’urgence pour la sécurisation des zones côtières en alimentation en eau potable par le recours au dessalement d’eau de mer.
60 % de la consommation de l’eau sera issue des stations de dessalement à l’horizon 2030
Pour le renforcement et la sécurisation de l’alimentation de la population en eau potable, les pouvoirs publics ont décidé de recourir à l’exploitation des ressources non conventionnelles, plus particulièrement, le dessalement de l’eau de mer », souligne le ministère des Ressources en eau sur son site web.
23 unités monobloc de stations de dessalement d’eau de mer sont alignées sur la côte algérienne, situées dans 14 wilayas.
Actuellement, ces stations, avec une production moyenne de 2,6 millions de mètres cubes par jour (3 millions à la fin de l’année en cours), fournissent 18 % de la consommation en eau en Algérie et approvisionne une population de 6 millions d’habitants.
Le taux de 18 % de la consommation en eau du pays par le moyen de l’opération de dessalement atteindrait dans quelques mois, après la réalisation des dernières stations prévues et les adductions décidées vers l’intérieur de certaines régions telliennes, les 42 % de la consommation globale.
À l’horizon 2030, ce taux sera rehaussé à 60 % avec la réalisation de cinq autres stations à partir de 2025.
Au vu de l’augmentation du capital infrastructurel des stations de dessalement de l’eau de mer et de la nécessité d’y instaurer une gestion efficace et rationnelle, le gouvernement a crée en 2023 un organisme de gestion spécifique à ces unités sous le nom d’« Agence nationale de dessalement de l’eau » (ANDE) ayant pour mission de « réaliser, d’exploiter et d’assurer la maintenance des stations de dessalement de l’eau des infrastructures et équipements y afférents ».
Bénéfice collatéral, le sel extrait de l’eau de mer sera exploité par l’Entreprise national des sels (ENASEL).
Le ministre de l’Énergie et des Mines, Mohamed Arkab, a affirmé en avril dernier que « le sel produit par les 14 usines de dessalement, qui seront prochainement au nombre de 19, après l’entrée en production prochaine de 5 autres, pourra être utilisé comme matière première pour la production de plusieurs autres produits, ce qui en fait une valeur ajoutée pour l’industrie »
Après la bataille de la mobilisation de l’eau, la bataille de la gestion
Parallèlement aux efforts tendus vers la mobilisation maximale, par les différentes sources disponibles, de la ressource hydrique, y compris la réutilisation des eaux usées épurées, l’Algérie s’attèle au volet de la gestion de cette précieuse ressource sur toute la chaîne : production, grands transferts, infrastructures intermédiaires de stockage, traitement, adduction, distribution, commercialisation et traitement de réseaux.
En effet, les enjeux semblent, désormais, se focaliser sur la gestion, après que le budget de l’État eut supporté des investissements de plus de 50 milliards de dollars au cours de ces vingt dernières années dans les investissements visant la mobilisation de la ressource en eau.
Cette mobilisation a consisté en la construction des ouvrages de rétention d’eau de surface (barrages), l’installation de stations monobloc de dessalement de l’eau de mer et la réalisation de grands transferts (exemples du MAO: couloir Mostaganem-Arzew-Oran et adduction In Salah-Tamanrasset sur 750 km) de l’eau souterraine issue du Système aquifère du Sahara septentrional (SASS).
L’attention censée être accordée à toute la chaîne de distribution et de l’entretien, trouve sa pleine expression en ces moments de tension qui caractérise la distribution de l’eau dans plusieurs quartiers des villes algériennes et dans une grande partie des villages et bourgades de l’arrière-pays.
Il est, pour le moins, inadmissible, que des hameaux ou des communes entières, situés à…quelques dizaines de mètres du plan d’eau d’un barrage, ne soient pas raccordés au réseau de distribution.
D’autres agglomérations voient la moitié du volume qui leur est destiné se perdre dans les fuites, soit en raison de la vétusté des installations, soit en raison des malfaçons qui ont ponctué la pose et la soudure des tuyaux.
La mission du ministère des Ressources en eau « ne s’arrête pas à la réalisation des infrastructures (…), alors qu’il faut contrôler les réseaux et les infrastructures à partir du barrage jusqu’à la distribution », expliquait un ancien ministre de ce secteur en 2016.
Outre la réparation rapide des réseaux affectés par les fuites, les services déconcentrés du ministère sont interpellés aussi par le phénomène des branchements illicites qui se sont multipliés au cours de ces dernières années.
Après la bataille de la mobilisation de l’eau sous toutes les formules techniques disponibles stockage des eaux de surface, exploitations des nappes pluviales septentrionales, exploitation des acquières sahariens, dessalement de l’eau de mer-, la grande bataille qui s’ouvre aujourd’hui est celle de la gestion rationnelle de la ressource et de la maintenance des équipements et des infrastructures.
A. N. M.