L’Algérie, dont le blé constitue la base du régime alimentaire, reste confrontée à un défi majeur : assurer sa sécurité alimentaire dans un contexte de dépendance structurelle aux importations et de vulnérabilité climatique accrue.
Synthèse Akrem R.
C’est ce que met en lumière une étude récente du chercheur Dr. Mohammed Mostefa Selt de l’Université de Djelfa, publiée dans la revue «Journal of Economic Additions», qui dresse un état des lieux sans concession de la filière céréalière nationale.
Il a ainsi estimé nécessaire de mettre en place une stratégie agricole intégrée pour préserver la sécurité alimentaire du pays à long terme. Le blé reste l’aliment central du régime alimentaire algérien. Chaque Algérien consomme en moyenne 230 kilogrammes de blé par an, soit plus du double de la moyenne mondiale (95 kg selon la FAO).
Cette forte consommation se traduit par une dépendance coûteuse : plus de 2 milliards de dollars sont dépensés annuellement pour importer cette denrée stratégique, sur une facture alimentaire globale dépassant les 10 milliards de dollars.
Malgré les efforts de modernisation entrepris depuis les années 2000, la production nationale ne couvre que 30 à 50 % des besoins. En conséquence, l’Algérie importe entre 6 et 7 millions de tonnes de blé par an, principalement du blé tendre destiné à la fabrication du pain, aliment de base dans toutes les régions du pays.
Des faiblesses structurelles persistantes
L’étude du Dr. Selt met en lumière les multiples failles du système productif. Sur près de 8,5 millions d’hectares de surface agricole utile, les céréales occupent entre 30 et 35 %, mais les rendements demeurent faibles — souvent inférieurs à 20 quintaux à l’hectare — en raison du manque d’irrigation, du morcellement des terres et de l’insuffisance de mécanisation.
Près de 70 % des exploitations agricoles couvrent moins de 10 hectares, limitant les économies d’échelle et la productivité. À cela s’ajoute une absence de recensement agricole complet depuis 2001, rendant difficile toute planification réaliste des besoins ou des capacités.
Les sécheresses récurrentes, notamment celles de 2016-2017 et 2021, ont accentué les déficits de production, tandis que la dégradation des sols et la désertification menacent près de 20 % des terres agricoles, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Depuis le lancement du Plan national de développement agricole (PNDA) en 2000, suivi du Renouveau agricole et de la feuille de route 2030 pour la transformation durable des systèmes alimentaires, plusieurs réformes ont tenté de réduire la dépendance alimentaire.
Mais selon le chercheur, ces initiatives ont souvent souffert d’un manque de cohérence, d’une application inégale et d’un engagement politique variable, lié à la volatilité des revenus pétroliers et gaziers.
Si les réformes foncières ont introduit des concessions de 40 ans sur les terres domaniales, la spéculation foncière et les changements d’affectation des sols agricoles persistent, réduisant les surfaces réellement productives.
En outre, l’irrigation n’a progressé que lentement, couvrant moins de 10 % des surfaces cultivées, ce qui rend la production tributaire de conditions climatiques de plus en plus imprévisibles.
Une dépendance coûteuse et risquée
Entre 2010 et 2020, la part de la production agricole dans le PIB national est restée modeste (12 à 14 %), malgré un potentiel considérable.
Le taux de couverture des importations agroalimentaires ne dépasse pas 5 à 6 %, un niveau parmi les plus faibles de la région MENA. Les importations de blé représentent à elles seules près de 40 % de la facture agroalimentaire, exposant le pays aux fluctuations des marchés internationaux.
En 2020, la pandémie de Covid-19 et la crise logistique mondiale ont mis en évidence la vulnérabilité du modèle actuel, fondé sur une dépendance externe structurelle.
Pour le Dr. Selt, la sécurité alimentaire de l’Algérie ne pourra être assurée que par une politique agricole renouvelée et cohérente, fondée sur la durabilité et la valorisation du potentiel local. Il recommande notamment la modernisation des techniques agricoles (mécanisation, semences améliorées, irrigation intelligente) ; la valorisation du blé dur local, mieux adapté aux conditions pédoclimatiques algériennes ; la préservation stricte des terres agricoles contre l’urbanisation et la spéculation ; la formation et l’encadrement technique des producteurs, en particulier les petites exploitations et le développement de partenariats internationaux ciblés pour le transfert de technologies et le renforcement des capacités.
Ces orientations s’inscrivent dans la feuille de route nationale pour la transformation durable des systèmes alimentaires à l’horizon 2030, alignée sur les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, notamment l’ODD 2 relatif à l’éradication de la faim.
«La sécurité alimentaire ne peut être décrétée : elle se construit dans la durée par une politique cohérente, une gouvernance rigoureuse et une gestion rationnelle des ressources naturelles», conclut le Dr. Selt. Alors que la population dépassera bientôt 50 millions d’habitants, la question du blé devient un enjeu stratégique de souveraineté nationale.
Entre réforme agricole, transition hydrique et valorisation du potentiel local, l’Algérie joue son avenir alimentaire et, plus largement, son indépendance économique.
A. R.







