Le changement climatique s’impose aujourd’hui comme l’un des plus grands défis pour la sécurité alimentaire mondiale. L’Algérie, fortement dépendante de son agriculture, n’échappe pas à cette réalité. L’étude réalisée par Mohammed Nacef, chercheur à l’université Hassiba Benbouali de Chlef, analyse en profondeur les implications de ce phénomène sur la production agricole nationale et propose des pistes stratégiques pour y faire face.
Synthèse Akrem R.
L’agriculture algérienne repose en grande partie sur les précipitations. Or, depuis plusieurs décennies, le pays enregistre une hausse significative des températures (+1,29 °C entre 1990 et 2022) et une baisse de la pluviométrie, entraînant sécheresses récurrentes, désertification et dégradation des sols.
La raréfaction de l’eau, dont l’agriculture consomme déjà près de 65 % des volumes mobilisés, fragilise durablement les cultures stratégiques, notamment les céréales, base de l’alimentation des Algériens.
Ces perturbations affectent directement les rendements agricoles. Le blé, essentiel à la sécurité alimentaire, voit sa productivité chuter lors des épisodes de sécheresse. Les cultures arboricoles comme l’olivier ou l’amandier, tout comme les légumineuses, connaissent des hausses de prix spectaculaires liées à la baisse des volumes produits.
Ainsi, les lentilles, vendues à 70 dinars le kilo en 2008, atteignent aujourd’hui près de 280 dinars, reflet d’un marché déséquilibré entre offre insuffisante et demande croissante.
Le secteur de l’élevage est également fragilisé. La raréfaction des pâturages et l’augmentation du coût des aliments pour bétail renchérissent les prix de la viande. Le phénomène est amplifié par la propagation de maladies animales liées au réchauffement, comme la fièvre catarrhale ovine (bluetongue).
Quant à la pêche, elle souffre du réchauffement et de l’acidification des eaux marines, qui perturbent les cycles biologiques des poissons et réduisent les prises.
Les prix de la sardine, jadis accessible à 30 dinars le kilo dans les années 1990, dépassent aujourd’hui 600 dinars en été et atteignent parfois 1 500 dinars en hiver.
Au final, la combinaison de ces facteurs entraîne une baisse de l’offre alimentaire, une flambée des prix et une érosion du pouvoir d’achat, menaçant la sécurité nutritionnelle d’une large partie de la population.
La réponse institutionnelle : une stratégie nationale
Consciente de ces enjeux, l’Algérie a lancé en août 2024 sa Stratégie nationale de lutte contre le changement climatique, sous l’égide du Comité national climat. Cette démarche vise à doter le pays d’une feuille de route claire et participative pour renforcer sa résilience face aux dérèglements climatiques.
En effet, cette stratégie repose sur plusieurs axes prioritaires. En premier lieu, figure la gestion durable de l’eau. Dans ce cadre, le développement de systèmes d’irrigation économes est plus que nécessaire, de même que le recours au dessalement et à la réutilisation des eaux usées traitées.
L’Algérie est également appelée à investir dans l’agriculture durable, à travers la promotion de cultures résistantes à la sécheresse, la diversification des partenaires technologiques et le renforcement de l’appui aux PME agricoles.
À cela s’ajoutent la modernisation des infrastructures de stockage et de transport pour réduire les pertes post-récolte, le soutien aux agriculteurs et aux éleveurs afin de stabiliser les productions locales et de limiter la dépendance aux importations, ainsi que l’investissement dans les variétés améliorées, les systèmes d’alerte précoce et les solutions numériques appliquées à l’agriculture.
Enfin, la coopération internationale constitue un autre levier essentiel, à travers la mobilisation de financements auprès des fonds verts et des organismes multilatéraux, l’échange de savoir-faire et l’intégration de l’Algérie dans les chaînes de valeur mondiales.
Vers une adaptation structurelle
L’étude souligne que l’adaptation ne peut se limiter à des mesures ponctuelles, mais doit s’inscrire dans une approche globale et intégrée.
Le développement d’une agriculture « climato-intelligente », la valorisation des énergies renouvelables dans l’irrigation et la transformation, ainsi que la promotion de circuits courts et de filières locales apparaissent comme des leviers essentiels.
Par ailleurs, l’expérience d’autres pays en développement montre l’intérêt de solutions innovantes : restauration des écosystèmes pour lutter contre les inondations, plans d’adaptation nationaux à long terme, ou encore recours aux savoirs traditionnels pour une gestion durable des ressources naturelles.
L’étude de Mohammed Nacef rappelle que le changement climatique est à la fois une menace économique, sociale et sanitaire.
Pour l’Algérie, qui importe une part importante de ses besoins alimentaires, la question de la sécurité alimentaire est stratégique.
Un enjeu stratégique pour la souveraineté alimentaire
Face à des rendements agricoles en baisse, une pression démographique croissante et une vulnérabilité accrue aux marchés mondiaux, le pays doit accélérer ses réformes et mobiliser des investissements conséquents.
L’adaptation au climat, loin d’être une option, constitue une nécessité vitale pour garantir la souveraineté alimentaire et assurer un développement durable.
Avec sa stratégie nationale, l’Algérie pose les jalons d’une transition agricole et alimentaire. Mais sa réussite dépendra de la capacité à conjuguer volonté politique, innovation scientifique, mobilisation financière et implication des acteurs locaux.
C’est à ce prix que la sécurité alimentaire pourra être préservée dans un contexte climatique de plus en plus incertain.
A. R.







