Omar Dr Aktouf, PhD
Professeur honoraire titulaire HEC Montréal.
Dans ma vingt-sixième chronique j’abordais le problème global principal concernant l’illusion largement entretenue et reconduite dans la pensée économique néolibérale dominante : la folle et chimérique croyance en une possible « croissance économique illimitée » pour tous en notre planète. J’y ai notamment établi le fait que sans cette idée de croissance infinie, tout le système théorique – et pratique – de la pensée économique néoclassique-néolibérale dominante s’écroulerait inexorablement. Dès la vingt-cinquième, j’annonçais comment, pour se sortir de la crise endémique grave dans laquelle se trouve notre monde depuis au moins 2007-2008, il fallait impérativement revoir non pas juste nos procédures, techniques, modes opératoires… en matière d’économie (et gestion), mais bel et bien l’ensemble de l’édifice conceptuel construit depuis près de deux siècles autour des idées dominantes en économie et – donc – en gestion. Il convient désormais, annonçais-je, de radicalement changer de mode de raisonnement et de pensée globale ; autrement dit radicalement changer de paradigme. J’y exposais également quelques raisons d’avoir à analyser un peu plus sérieusement et en profondeur, si le fait de se donner comme projet de société (mondialisée de surcroît !) le règne total et omnipotent du « Dieu Marché » était la chose la plus souhaitable pour les humains et pour la planète. Ainsi que quelques interrogations quant aux portées réelles des gigantesques dégâts (déjà largement incommensurables, irrattrapables en en progression quasi exponentielle) infligés jusque-là à nous et à notre Terre : en mesure-t-on ne serait qu’une approximation des portées immédiates et des conséquences encourues plus tard et à venir ? Et enfin et non des moindres j’exposais moult interrogations quant à nos capacités à continuer à utiliser les mêmes instruments et mesures-indicateurs, du dit développement et du dit bien être général ? Autrement dit (1), de quoi nous parlent vraiment les sacro-saints Produit National Brut (PNB), Produit Intérieur Brut (PIB), Excédents (commerciaux, de balances, de budget…), Déficits, Surplus, productivité, Efficacité… et aussi bien entendu Croissance, « Progrès »… Dettes, Ratios d’endettement etc.?? (2)
J’ai également, bien sûr et comme il se doit, évoqué des possibles solutions – et mesures plus ou moins immédiates à prendre – telle par exemple que la mise en arrêt de la croissance maximale tous azimuts. On m’a immédiatement reproché (à juste titre mais on verra qu’il y a bien des « bémols ») de ainsi condamner les moins nantis à stagne, ou pire à régresser. Lorsque j’aborderai plus loin les « pistes de solutions », on trouvera réponse à cet argument qui semble à priori tout à fait justifié, ainsi qu’à plusieurs autres objections.
Un radical changement de paradigme s’impose
Il est désormais plus que clair et évident que nous sommes en plein sous les effets de ce que j’ai analysé dans mon livre La stratégie de l’autruche, sous les concepts de « phase de surexploitation insoutenable », « baisse tendancielle des taux de profits » et « paupérisation mondiale générale »(3). Or ces concepts appartiennent à un paradigme économique remontant (déjà) aux « classiques » (débuts du 19ème siècle), et particulièrement aux travaux de Karl Marx. Inutile de dire qu’ils sont aussi ignorés, que non enseignés, et frappés d’anathème depuis l’avènement du triomphe moderne et sans partage de la pensée économique néoclassique (4), issue des travaux de Léon Walras et la dite École de Lausanne qui a inauguré, lui, l’avènement d’une des plus grandes tares de l’analyse économique « moderne » et qui a enfanté plus tard de ce que l’on dénomme aujourd’hui « néolibéralisme » : la sur-mathématisation des théories et des raisonnements en économie (5). C’est donc à partir des travaux de cette « École », qui termina sa durée de vie, en tant que telle, après les travaux d’un digne successeur de Walras, un certain Vilfredo Pareto, et son fameux « Principe » (aussi dénommé, `loi` ou `théorème`) dit « de l’équilibre général » ou de « l’optimum »(6). Or ce paradigme sur-mathématisé… se démarquait par une farouche opposition à une des dimensions clés du paradigme des « classiques » : la redoutable question de l’origine et des composantes de « la valeur » des biens et services (donc des prix, des salaires…) (7). Depuis Walras père (Auguste), des cercles de lettrés bourgeois n’admettaient pas la centralité de la « valeur travail »(8) combinée à la dégradation de la nature(9) comme base de la valeur, car cela impliquerait peu ou prou et d’une manière ou d’une autre d’admettre, forcément, l’idée d’exploitation du travail, et de dégradation concomitante de l’environnement, seules et uniques source de valeur dite ajoutée, donc de profits…. Car cela confèrerait ipso facto une sorte de caractère inique et arbitraire à toute dite « création » de valeur, qui, en fait, dépendrait du bon vouloir injuste et illégitime des nantis. Et de la férocité de l’usage du rapport de force que détient le patronat contre le prolétariat et contre la… Terre ! Choses inadmissibles pour une École de Lausanne qui avait pour cahier de Charges(10) (confié à Léon Walras) de transformer le discours économique en discours « scientifique pur », « parlant de Vérités prouvées comme le font les sciences dures ». Le nouveau paradigme néoclassique va conduire à nier donc tout rapport entre succès du capital et misère et exploitation des travailleurs d’une part et, dégradation de la Nature d’autre part. Pour ce faire il a fallu commencer par élaborer le fameux « Traité d’économie pure » de Léon Walras et de cette École de Lausanne(11), puis inventer (le siècle suivant) le fameux indicateur de l’alpha et de l’oméga de mesure de toute production économique : le Produit National Brut, PNB (ou également PIB)(12).
C’est en fait avec la crise de 1929 et subséquemment, que fut adopté aux USA (et utilisé plus systématiquement) le PNB ainsi que le PIB(13). Son usage fut systématisé et généralisé (pour ne pas dire imposé) dès la fin des négociations de Bretton Woods. Les USA voulaient d’abord utiliser cet indicateur pour évaluer l’ampleur et les causes-conséquences des dégâts des crises du Capital telle que celle de 1929. Cela fait donc environ un siècle que cet indicateur de la dite « création » de valeur ajoutée et de richesses par une nation ou une société donnée, est en usage. Alors que beaucoup pensent qu’il fait partie intégrante de la naissance de la notion même d’économie comme discipline, et de ses théories, y compris fondatrices dès le 18ème siècle.
Largement critiqué depuis assez longtemps ; en fait dès son invention même par Simon Kuznets et John Maynard Keynes, lequel y ajouta l’idée de PIB – (un différend théorique sérieux se fit jour entre les deux.)(14) PNB et PIB sont donc à considérer comme les deux piliers essentiels absolument nécessaires à tous les calculs, prévisions, projections, budgétisations, évaluation de la santé d’une économie, estimation des taux de croissance… C’est donc là le point de départ du « changement de paradigme » en économie-management auquel je fais appel depuis des décennies : revoir de fond en comble ces notions et ce qu’elles mesurent vraiment ! On conçoit bien que – euphémisme – la cause est loin d’être acquise, et la tâche loin d’être facile(15). Disons ici simplement que le problème principal avec ces indicateurs se situe dans le fait qu’ils ne mesurent que les productions et flux « marchands – monétisés » des activités humaines, avec pour seule base, la « valeur d’échange »… Tout ce qui ne peut être mis dans la rubrique des éléments « marchandisables – monétisables » leur échappent. Depuis les effets de leur sacro-sainte hausse continue sur les humains et la Nature jusqu’aux inadmissibles ignorance de tout ce qui n’est ni marchandise ni calculable en termes monétaires, et les hyper-approximations de ce qu’ils sont censés mesurer, en passant par le criminel silence sur les véritables natures et conséquences de ce qui est dénommé, de façon tellement pusillanime come allant de soi « externalités négatives ». Les tenants du fort de cette pensée économique-managériale, qui hélas, ne sont même pas outillés pour comprendre les graves tares des pseudo sciences dont ils usent et abusent – en véritables apprentis sorciers. N’ayant aucune idée de ce à quoi ils s’attaquent vraiment -,(16)… ils s’accrochent plus que jamais (à mesure même que les choses s’aggravent dans le monde) becs et ongles aux bouées chimériques qu’ils ont inventées(17) pour prétendre parler et -pire- prétendre « bien agir » à partir d’indiscutables valeurs de pseudos savants calculs et raisonnements hyper mathématisés. Ce qui, soit dit en passant explique la si forte résistance à admettre les évidences systématiquement létales de ces externalités, et encore moins donc à changer le moindrement ne serait-ce que quelques idées du paradigme sur lequel ils s’appuient, de la part de nos élites(19). À tel point que je voudrais exposer ici au lecteur tout juste, parmi mille et une, trois circonstances concrètes-vécues, et… normalement impensables, notamment en milieux académiques et universitaires :
La première se produisit dans mon propre établissement d’enseignement, HEC Montréal,(20). Même si mon livre principal en management (voir note 15) et mes enseignements avaient fort grand succès, petit à petit, et à cause de l’incapacité de plusieurs enseignants à se mettre à la hauteur des remarques, questions et objections que les étudiants leurs posaient(21), toute remise en question de leurs convictions de la part de ceux-ci était impensable(22). Cela les agaçait d’abord, puis portait tellement atteinte à la « fière » identité d’experts de business à la US qu’ils s’étaient forgée (le fameux mégalo « faux self » issu des travaux, entre autres des travaux de Ronald Laing, Burkart Sievers…), qu’ils finirent par aller en parler en délégation indignée aux hautes autorités de l’institution. Cela m’a valu une convocation en bonne et due forme jusqu’au décanat, agrémentée d’un long discours sur la nécessité de (sic !) « ne pas semer la confusion dans les jeunes cerveaux malléables de nos jeunes étudiants »… et « d’assagir », en même temps que de faire « gagner en maturité » mon discours (comprendre, bien sûr, lui faire prendre un sérieux virage hagiographique quant au saint « modèle US »).
La seconde circonstance qui témoigne de l’intolérance, parfois violente, que mon contre-discours pouvait provoquer dès lors, encore une fois qu’il remet en question la solide identité largement issue d’une « identification » à l’archétype américain(23), met en scène non seulement HEC Montréal mais aussi deux autres institutions bien québécoises de formation en économie-gestion. Il s’agissait d’un de mes étudiants de maîtrise de l’époque (aujourd’hui professeur aigri en région éloignée) qui, séduit par une critique systématique que je faisais subir à la teneur et aux conséquences « complices des méfaits de l’exploitation et des externalités) de la comptabilité à partie double(24), se montra désireux de consacrer sous ma direction une thèse de doctorat à ce sujet (une « Critique épistémologique et sociale de la comptabilité occidentale »). Étant lui-même de formation comptable avancée. Tout se passa sans accrocs et avec enthousiasme lors de la première phase, qui se passa essentiellement sous ma supervision, dite de « mise à niveau des connaissances sur le sujet » et « d’esquisse du projet de recherche ». Mais, ô stupeur et stupéfaction… en pays démocratique avancé : dès la soumission des premières conclusions de recherche critique sous forme d’un premier rapport d’exposé des lignes générales de la thèse, les trois membres du comité de doctorat qu’il s’était choisi avec mon assentiment, issus de trois institutions différentes de Montréal, avec l’appui de leurs hiérarchies, crièrent au scandale et au complot communiste ! Il ne saurait être question de critiquer l’un des piliers de l’économie management occidentale, la comptabilité, et encore moins de la déconstruire avec une lecture « hérétique » de type marxiste, même si les principaux auteurs convoqués étaient Aristote, Sombart et Weber ! Son projet de doctorat fut purement et simplement officiellement refusé, rejeté tel quel, et lui, fut invité à « réfléchir à un autre sujet… et à sa carrière » ! Résultat de tout cela, il en fut amené (de force) à me récuser en tant que directeur de doctorat, et à se résoudre à réaliser une thèse sur… « Les bienfaits de l’avènement de la comptabilité à partie double, en lieu et place de la comptabilité de caisse » !! Ce qu’il fit la mort dans l’âme, puis s’en alla enseigner dans un campus isolé, fort éloigné de Montréal. L’immense déception qu’il ressenti à constater par lui-même jusqu’où pouvait aller la « résistance idéologique-dogmatique » face à tout changement réellement radical de pensée quant au modèle économie-management dominant en fit un professeur aigri et désabusé dès le début de sa carrière. Voilà donc comment et pourquoi, tout au moins dans le milieu universitaire, et malgré tout ce qui nous arrive chaque jour (du dérèglement climatique au Covid… et autres multitudes errantes de dits « Migrants ») le déni de réalité est si solidement ancré dans les mentalités. Sans compter bien sûr, les biens gros intérêts financiers qui se rattachent à ces questions.
La troisième « aventure » de ce genre se produisit lors de la supervision des travaux de recherche de terrain d’un de mes doctorants des années 1990 en un (parmi les plus grands) pays d’Amérique Latine (pays fortement sous influence US). Doctorant « sur le tard » comme cela arrive tellement souvent dans les pays du tiers-monde où les études ne sont qu’une infinie galère(25) pour les non issus des « grandes familles ». Il s’était agi d’un doctorant en économie politique qui désirait traiter, après avoir suivi quelques cours et séminaires avec moi, d’un thème qui lui tenait désormais fortement à cœur, à savoir comment tenir compte dans tout ce fatras de « mesures » en économie, d’au moins deux éléments : a- une approche aussi approximative soit-elle des effets de la pollution (les dites externalités négatives sur les êtres vivants et la nature) et b- la même quête quant aux effets en termes d’inégalités, de « création continue » de pauvreté et de misère (ce dont son pays, comme la plupart de ceux d’Amérique du sud, était plus qu’amplement affecté)(26). Bien que de peine et de misère, nous réussîmes à réunir un comité de doctorat acceptant ce « désir », ainsi que les conditions exigées par les diverses formalités administratives ad hoc… pour nous mettre au travail. Je passe sur les péripéties et situations ubuesques qui accompagnèrent ces démarches en une telle aventure, ainsi que sur les indescriptibles difficultés à disposer de la moindre donnée, du moindre chiffre, de la moindre statistique… aussi peu sérieux et fiables fussent-ils. Sans compter les systématiques réticences et souvent refus nets à le laisser suivre et creuser la moindre piste acceptable. De guerre lasse, il fut décidé de prendre des indicateurs « indirects », qu’il était possible de glaner ça et là dans les rapports d’organes dit « autorisés » (ONU, PNUD, ONICEF, UNESCO, OXFAM… ONG… presse dite « bien informée »…). Puis de transformer tant bien que mal ces indicateurs en indices plus ou moins « approchant » la réalité des questions de pollution, d’inégalités, de pauvreté… affectant le pays sur une série d’années assez « significative » pour justifier une thèse. Ensuite de s’en servir pour « corriger » la presque totalité des indicateurs des dites performances macroéconomiques : PNB, PIB, Inflation, excédents et déficits divers, taux de croissance, surplus… Pour être bref, Je ne prendrai ici que le taux de croissance officiellement attribué à ce pays par les instances nationales et les dites IFI (Banque Mondiale, OMC, et surtout bien sûr FMI). Entre les calculs de mon étudiant(27) et les chiffres de ces taux officiels il est apparu un incroyable différentiel variant entre 5 et 15 à 20 points ! Seulement le taux de croissance « réel » vers lequel nous tentions de tendre pour l’années en cours (c’est dire le taux officiel « corrigé » par les indices de pollution, et les approximations chiffrées des autres diverses externalités négatives que nous avions pu…, « approximer » !) la différence était que lorsque l’un disait « plus 4 % »… le nôtre affichait « moins 16 % » !!! C’est-à-dire qu’au lieu de « gagner » 4 %, de fait, et même avec toutes les imperfections de nos approximations de choses quasi non quantifiables, nous pouvions montrer que l’économie de ce pays… perdait 16 %.
Inutile de dire que cette thèse fut stoppée net et que hélas, mon candidat finit par perdre son poste et aller quérir un travail ailleurs. Dieu sait où.
À présent tentons de parler de pistes de solutions, même paraissant « utopiques ».
Notes
1- Je sais que j’ai déjà traité sous plusieurs autres angles de ces notions, mais, hélas, les formes sous lesquelles celles-ci peuvent être nocives, relève presque de l’infini ! Raison pour laquelle j’en parle et en parlerai encore.
2- Le lecteur comprendra que, évidemment, ce dont je parle ici ne saurait être traité en quelques chroniques. Bien des « suites », viendront compléter l’analyse et la déconstruction de chacune de ces notions.
3- Sans avoir à citer de chiffres ou de statistiques, il suffit que chacune et chacun regarde autour de soi, où qu’elle ou il se trouve, pour bien voir que pratiquement tout se dégrade continuellement partout. De plus ces notions, leurs analyses et leurs effets seront discutés et exposés dans une prochaine chronique.
4- Notamment avec les dits « Nouveaux Philosophes » français qui ont tué leurs « pères » Sartre et Marx, puis les débuts de l’asphyxie des Pays de l’Est, notamment avec la liquidation du Mouvement de Non Alignés et de l’intensification de la Guerre Froide.
5- Je traite de cet aspect de choses en économie dans plusieurs de mes chroniques précédentes, et il en sera traité encore dans d’autres à venir, tant les ravages causés, et dans les théories et dans les pratiques en économie-management sont considérables.
6- Chose à laquelle nous aurons également à consacrer une prochaine chronique plus détaillée.
7- Notamment bien entendu à l’encontre de Marx, mais aussi de Smith et quelque peu de Ricardo et même Stuart-Mill.
8- J’en ai déjà traité, mais je rappelle ici qu’il s’agit de la somme du travail dit « social » intégrée dans la production d’un bien ou un service qui, pour les classiques, détermine la valeur.
9- C’est notamment Marx qui associait l’idée de dégradation combinée et simultanée des conditions du travail et de la terre pour que le capital se renforce et se multiplie. Notamment à travers cette fameuse phrase du Livre 1 du Capital : Si bien que le capitalisme ne se développe « qu’en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. » (Le Capital, livre 1, Éd. Sociales, p. 565-567).
10- Imposé, comme je l’explique plus amplement dans une précédente chronique, par un certain Louis Ruchonnet ex président de la Confédération Suisse et alors président du Canton de Vaud, à Léon Walras lors de création de l’Université de Lausanne où, notamment, il voulait que l’Économie devint une « sciences » parlant de « vérités » comme les sciences dites dures ou exactes, afin de rompre avec les analyses philosophiques, anthropologiques, sociales, politiques et éthiques dont avaient coutume les classiques.
11- Plus exactement Éléments d’économie politique pure, publié pour la première fois (et première version) en 1874.
12- Voici ce qu’en dit l’encyclopédie Wikipédia (mais nous allons voir aussi qu’après l’avènement de la dite « mondialisation », un certain glissement et une nuance d’importance vont apparaître avec l’usage presque exclusif di PIB plutôt que du PNB) : De manière ironique, c’est justement pour mesurer les effets des crises que le PIB a été créé. Si des outils de mesures de l’économie ont été imaginés depuis des siècles, le Produit Intérieur Brut (ou le produit national Brut, PNB) a été adopté il y a moins d’un siècle, tout d’abord aux États-Unis. Au début des années 30, les États-Unis sont à la recherche d’un indicateur pour mesurer les effets de la grande dépression économique suite au crack de 1929. Le Congrès fit appel à l’économiste Simon Kuznets (Futur Prix Nobel d’économie en 1971).
Indicateur mondialisé depuis Bretton Woods. Il créera un agrégat de données économiques qui, retravaillé par John Keynes, donnera naissance au fameux PIB. Il sera employé à partir de 1932 dans le pays devenant peu à peu l’alpha et l’oméga de l’économie. À partir des accords de Bretton Woods en 1944, qui donnent naissance au système monétaire d’après-guerre, le PIB est progressivement adopté par le monde entier. En France, cette mesure s’appliquera à partir 1949. Au cours de son histoire, le PIB a été critiqué car ne mesurant que des données économiques sans considération pour les ressources environnementales d’un pays ou sa cohésion sociale. D’autres indicateurs ont émergé avec plus ou moins d’influence. Le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a ainsi poussé l’Indice de développement humain, imaginé en 1990. Il réunit PIB, espérance de vie et l’éducation. Un classement actuellement dominé par la Norvège.
13- Celui-ci prit plus de galons avec la « mondialisation » puisqu’il permet de laisser croire que les bénéfices réalisés par les multinationales et opérateurs étrangers sont le fruit des efforts économiques internes, et de surcroît en hausse (bien entendu grâce `la mondialisation) du fait que ces « bénéfices » n’en sont pas soustraits comme dans le calcul du PNB.
14- Bien entendu, ce n’est pas le lieu ici de faire quelque exposé que ce soit de ces critiques (ce sera fait dans une chronique ultérieure), mais pour les intéressés, je les réfère à certains travaux de Wassily Léontiev, de Kuznets lui-même, des tiers-mondistes tels que S. Amin, Gunder-Franck, C. Bettelheim, R. Cailloix, C. Furtado, Manfred Max-Neef, Eric Hobsbawn,… jusque des contemporains comme J. Stiglitz, R. Reich, P. Gukgman, H. Braverman, J. Généreux, D. Méda… et tout particulièrement à un numéro spécial de la Atlantic Monthly Review début des années 1990, un récent rapport rendu au Président Sarkozy (demandé en 2008) : Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social Professeur Joseph E. STIGLITZ, Président de la Commission, Columbia University Professeur Amartya SEN, Conseiller de la Commission, Harvard University Professeur Jean-Paul FITOUSSI, Coordinateur de la Commission, IEP
15- Comme ce n’est point-là le sujet principal de la présente chronique, c’est donc dire que j’y reviendrai, et en détails, dans une prochaine sinon plusieurs autres prochaines chroniques.
16- Bien entendu ce trait est ici loin d’être une simple affirmation « en passant » et encore moins gratuite. Tout cela largement exposé et étayé lors de chroniques à venir.
17- Ces adeptes des simplistes théories néolibérales s’y accrochent d’autant plus que 1- ils n’ont pour l’immense majorité, jamais étudié autre chose, et que 2- ces pseudos-connaissances tellement aisées à diffuser avec succès et notoriété leur tienne lieu de supports de ce qui constitue jusque leur être, leur vie intérieure, leur identité… ils n’en réagissent qu’avec plus de férocité et d’intolérance dès la moindre « attaque » à leurs « croyances-idéal du moi » (voir à ce sujet des travaux de H. Laborit, B. Sievers, E. Becker, E. Benvéniste…)
18- On reviendra, évidemment, sur cette importantissime question prochainement.
19- Où, pour la petite histoire, je rappelle que, après avoir même de songer à me recruter – tant on m’avait collé l’étiquette « communiste – critique – sans solutions » après particulièrement la teneur de ma thèse, analysant « la condition ouvrière à la fin du 20ème siècle) et mes premiers écrits « critiques »… c’est HEC Montréal qui est venue me chercher et proposer un poste permanent… pour, sans faux fuyants, les aider à opérer un sauvetage en règle du contenus de l’ensemble de leurs cours de management, dont les étudiants étaient lassés et dont les évaluations coulaient à pic ! D’où la sortie de mon best-seller (obligatoire dans tous les programmes de sa sortie en 1987-88 à 2020, avec cinq éditions successives) : Le Management entre tradition et renouvellement.
20- Mais aussi, il faut le dire du « lobbying » des milieux d’affaires effrayés de voir sortir de HEC Montréal des cohortes de jeunes diplômés désabusés des méthodes « à l’américaines » et prônant une gestion « renouvelée » de type de ce que l’on dénomme aujourd’hui « Entreprise libérée » (nouvelles théories largement inspirées de mes travaux sur la célèbre multinationales Cascades, sur la fameuse entreprise brésilienne révolutionnaire de Ricardo Semler (Semco), sur les résultats de mes collaborations avec les agences de développement internationales allemandes, de « changement de « cultures » de pétrolières, de groupes financiers…
21- Grâce au brandissement « imparable » d’un ou deux arguments massues : 1- je ne suis pas « occidental » ni issu d’une éducation occidentale, donc de capacités intellectuelles discutables ; et 2- j’ai vite (depuis mon doctorat du Canada conduit (pour la phase étude de terrain) en me faisant embaucher comme ouvrier-balayeur pour élaborer une thèse du « point de vue des travailleurs » étiqueté « communiste », donc d’orientation intellectuelle faussée, nulle et non avenue !
22- Ce trait est vraiment loin d’être gratuit ou anodin ! Il convient de savoir (et cela s’explique aussi, notamment par la théorie de la construction des faux selfs, ou celle de la nécessité de combler l’insupportable vacuité d’une vie intérieure rabougrie ou absente : on y reviendra) que bien de collègues bons Québécois, et parfois Français, qui revenaient de parfois seulement quelques mois de formation (Séminaires, ou Master ou DBA : les PhD en nos domaines étaient alors rares) se mettaient à s’exprimer avec un bien audible – même si sonnant faux – accent américain !!! Sans compter le nombre de fois où ils faisaient usage de termes anglais, alors que ‘équivalent français existait parfaitement. C’est proprement une construction d’identité, ou à tout le moins d’identification sûrement aliénée, sinon névrotique.
23- À la suite, notamment, des travaux de Max Weber (Économie et Société T.1), et accessoirement de Sombart et de Marx (on peut en avoir un aperçu dans La Stratégie de l’autruche). Sujet sur lequel je consacrerai une prochaine chronique bien sûr.
24- Presque systématiquement devoir travailler à temps plein, s’occuper d’une famille (bien entendu « élargie », étudier avec un ultra minimum de revues, de livres…
25- Il songeait également à intégrer l’immense question de la corruption (sous ses dimensions locales et internationales, d’effets de lobbies…), celle des évasions fiscales… mais il fut freiné en ces matières par, non seulement l’énorme complexité (et opacité) à y affronter, mais aussi par les membres du comité local qui trouvaient que cela était non seulement osé mais dangereux (Sic !).
26- Je rappelle qu’il était aussi professeur en Université depuis plusieurs années.
27- Je l’ai aussi mentionné : la très grande majorité – ou plutôt la presque totalité – des penseurs officiels du paradigme néolibéral ne sont nullement armés intellectuellement, ne serait que pour comprendre les plus évidentes des raisons de ce caractère mortifère de leur paradigme : il leur manque culture générale, non domination de la mathématisation de la pensée, culture « alternative » telle que marxienne, tiers-mondiste…