Omar Dr Aktouf, PhD
Professeur titulaire-honoraire HEC Montréal
« Le businessmen n’est rien d’autre qu’un prédateur de l’économie. Il n’en est ni le promoteur ni le soutien ni l’ami ; car son existence ne se justifie que pour faire du profit. Et, pour ce faire, si il doit organiser le règne de la mauvaise qualité il le fera, si il faut organiser des pénuries et de raretés, il le fera »
Thorstein Veblen
« Laissez trois businessmen faire du business sans aucune institution pour surveiller ce qu’ils font, et vous avez trois brigands »
Adam Smith
« Afin d’établir une théorie `scientifique` de l’économie, il convient de considérer l’adoption de deux hypothèses fondamentales : 1- La société humaine fonctionne sur le même modèle que la mécanique céleste et 2- Il existe un « crieur des prix« neutre et observateur des marchés qui donne à tout instant tous les prix d’équilibre de tous les marchés »
Léon Walras
« Les homos economicus de la théorie économique occidentale sont des imbéciles rationnels dont les choix sont dictés par les lois d’un « marché« qui pense, analyse et déduit en leur lieu et place »
Amartya Sen
« Le marché des économistes, si il existe, serait une entité sans cœur ni cerveau ! Pourquoi être assez candide ou masochiste pour lui confier notre destin ? »
Paul Samuelson
« Le néolibéralisme sert aussi de justification « économique” à l’oligarchie financière pour déconstruire toutes les protections culturelles et communautaires que l’homme a mis des siècles à bâtir pour se défendre, précisément du risque de n’être qu’une marchandise, un esclave, c’est-à-dire un homme réduit au statut de marchandise. Notamment il sert de justification permanente pour déconstruire le droit du travail et le droit social en Occident, justement conquis pour se prémunir contre les excès du capitalisme. Un droit qui gêne donc l’action des nouvelles entreprises transnationales. »
Michel Geoffroy
« En s’arrimant, dans les écoles de commerce, si bêtement et servilement, aux grandes vogues des théories du coaching et de la motivation par les techniques américaines dites de la « reformulation », on a formé de générations de perroquets ! y compris dans les rangs professoraux de nos propres écoles »
Gilles Amado
« Les théories du management américain, notamment celles touchant au dit « leadership » et plus particulièrement aux dites « techniques de motivation » ne sont que pitoyables ersatz pour compenser le manque de sens au travail et une lutte collusoire autour du fantasme de la toute-puissance et de l’immortalité qu’on entretient auprès des patrons et des dirigeants »
Burkart Sievers
Dans ma précédente chronique j’annonçais que, suite à une analyse aussi complète que possible, de l’impossibilité physique de toute croissance continue pour tous, et de la folie d’y croire, que, nous allions voir dans la présente, pourquoi et comment les dites « théories » enseignées et entretenues en économie et en management, non seulement n’en sont pas en termes des canons de « la science », mais ne sont et n’ont toujours été qu’idéologies au service des dominants et des riches. Mais aussi comment et pourquoi cette pseudo science (économie-management) néglige gravement les alternatives à une économie basée quasi strictement sur l’impossible postulat de croissance continue et infinie pour tous. Ce sont donc essentiellement ces alternatives – et les faits et méfaits qui les justifient – que nous examinerons à partir de cette chronique, et dans la suivante. En attendant voyons, en complément à la chronique précédente, quelques implications aussi absurdes que majeures, en termes de Passion de Détruire, de la folie liée à la course à la croissance.
Des implications et conséquences d’une économie basée sur le postulat de la croissance infinie
Il est inutile, je pense, de revenir sur le fait que la situation mondiale extrêmement problématique (pour être euphémiste) dans laquelle nous nous trouvons actuellement, et plus particulièrement depuis la survenance de ce virus Covid19, venant s’ajouter aux innombrables problèmes dus au réchauffement climatique, en est une dont on ne sait trop quoi penser, ni encore moins comment ni quand se débarrasser. Je ne reviendrai pas non plus -bien qu’il soit nécessaire de le rappeler- sur les analyses, plus alarmantes les unes que les autres, et bien connues, en termes de conséquences de ces deux phénomènes conjugués. J’insisterai cependant avec la plus énergique des déterminations, sur le fait que ce sont les moins responsables de ce qui nous arrive qui en paient le prix. Ce sont en effet, et de loin, les pays les plus pauvres et les plus vulnérables qui paient le tribut le plus lourd pour quelque chose – une croissance mondiale exponentielle illimitée-, dont ils n’ont pratiquement et comparativement tiré aucun avantage, sinon bien au contraire, que des dommages et des cataclysmes toujours plus dévastateurs ! Ensuite, le plus grave à mon avis, est le fait que l’on ait tellement négligé et dénigré et dénié… ces dangers, et leur lien évident aux pratiques de « croissance tous azimuts, qu’il n’existe à peu près nulle part de vrais centres d’études et d’analyses des façons de comprendre ce qui arrive, des façons authentiquement « autres » de s’en sortir. Ou encore d’alternatives à cette démentielle conception de protubérance illimitée des productions et accumulations de biens et de services qu’est celle de l’économie-management dominants. Rien ! C’est le désert intellectuel et académique… et politique qui règne ! Inutile, à fortiori, de parler du politique : quel personne, quel parti se ferait élire sur un programme de décroissance !? Aussi minimaliste et symbolique soit-elle ? À de bien trop rares et quasi clandestines exceptions près, ne règne que le silence ou les fort bien rôdées langues de bois autour de ce genre de questionnements ou de recherches. Je peux en témoigner personnellement pour avoir dû confronter directement en amphithéâtres et en congrès… d’innombrables « collègues » ou gens de pouvoir et de politique, niant souvent catégoriquement toute thèse de responsabilité économique de la débâcle écologique que nous faisons subir à notre planète, ou encore (encore aujourd’hui !) toute responsabilité humaine dans le réchauffement-dérèglement climatique, et bien évidemment toute idée autour de la nécessité de réfréner un tant soit peu la course au pillage de la planète au nom de la nécessité vitale de continuer, coûte que coûte, à toujours hausser la croissance. À décharge de ces institutions et de collègues de ci-de là, il faut bien reconnaître qu’il existe dans certaines institutions des cours dits de « Responsabilité sociale de l’entreprise », « d’Éthique des affaires », de « Gestion et d’économie durables ». Il en existe même qui osent parler de « Gestion environnementale », ou encore de « Gestion de la décroissance… gagnante » ! Ou bien d’« écologie profitable », sinon d’économie dite « circulaire », « sociale »… etc., Bien entendu, je n’ai rien contre de telles nobles desseins, projets, initiatives et intentions. Cependant il est inévitable d’avoir à reconnaître que, en plus d’être plus que largement déconsidérés par les étudiants ; ce genre d’enseignements font amplement figure de « vernis pour se donner bonne conscience », ou nécessaires « contrepoints rituels » pour se donner une façade de « soucis à la page », de se montrer au diapason des inquiétudes populaires. Car enfin comment concilier une seule seconde ne serait que l’idée même de « faire des profits » avec les idées d’éthique ? de responsabilité sociale ? et, encore moins, de décroissance ? Cela se dénomme des oxymores, point !
Sérieusement, je me demande qui est dupe, qui tente de duper qui… La seule explication selon moi, à cet état des choses, et par les temps qui courent, ne peut-être qu’une névrotique négation du réel par le biais d’une vaste « complicité collusoire » réciproque, aidant les uns et les autres à avoir, tout de même, ne serait qu’un ersatz de bonne conscience, tout en sachant pertinemment ce qu’il en est dans la réalité des choses. Avouons que c’est là une conséquence aussi inattendue qu’absconse de la persévérance dans l’idée que l’on peut faire de la croissance sans limites dans un monde que l’on sait fondamentalement, parfaitement limité. Voilà déjà un bien gros « chantier » auquel s’attaquer pour modifier les mentalités et les pratiques : comment défaire ou déconstruire cette « illusoirement et névrotiquement » rassurante source de pseudo bonne conscience issue de ces postures intellectuelles et comportements pathologiquement rituels ? Et ce, sans doute encore plus dans le champ politique et médiatique qui ont un impact plus immédiat sur les croyances, les illusions et les actions ? les manifestations populaires tranquilles et pacifiques, ou rageuses, ne semblent plus suffire – et depuis longtemps ! – c’est désormais de démonstrations et de modes d’exigences de changements plus « révolutionnaires » dont il faut user. Mais les esprits sont-ils plus formatés à être mollement consensuels et vaguement réformateurs que révolutionnaires ?
Faire connaitre à monsieur et madame tout le monde les vrais responsables et les vrais enjeux
Cela est malheureux à dire de nos jours, lorsque jamais les moyens de communications et d’échanges n’ont été aussi abondants et aussi instantanés-rapides. Mais force est de constater que l’immense majorité des citoyens ignore les vrais fondements des tenants et aboutissants de ce qui nous arrive, même parmi celles et ceux qui se disent anticapitalistes, écologistes, verts, anticonsuméristes… Il est encore plus malheureux, et souvent décourageant, de voir que dans bien de ces mouvements, les liens entre la croissance, les profits, les patronats et les multinationales voraces… avec ce qui arrive à notre planète, ne semblent être ni évidents, ni clairs, ni parfois même soupçonnés ! Combien de ces mouvements dénoncent par exemple la culpabilité – première entre toutes et pourtant éclatante – des milieux d’argent et d’affaires nationaux et transnationaux ? Combien savent que (et ceci date des années 1980 au moins) chaque dollar supplémentaire de production économique qui vient s’ajouter à la dite « croissance » ou la dite « création de richesses », nécessite de causer plus de dégâts que le dollar précédent ? en mises à pieds, pauvreté globale, pollution, effet de serre etc., etc., ? Et les responsables, en tête de tous les pelotons, de cet état de fait sont… évidemment les plus riches !Mais jamais, ni dans les manifestations (ou dans la façon dont on en rend compte), ni dans les discours des « ayants droit de la parole publique », n’entend t-on des dénonciations pointant cette létale proportionnalité entre la richesse des riches (et leur scandaleux sur-enrichissement continu) et les dégâts et saccages causés aux populations fragiles et à la planète ! Tout se passe comme si les deux phénomènes n’avaient aucun rapport. Or, et je le dis avec la dernière force du désespoir : il convient de l’intégrer et de le comprendre une bonne fois pour toutes, ce sont, directement et expressément et d’évidence éclatante, 1- l’enrichissement des plus riches (pays et particuliers) ; 2- les hausses toutes catégories des dits « profits » ; et 3- celles des colossaux montants des spéculations et boursicotages… qui sont LES causes des dégradations accélérées des qualités et niveaux de vie de tant de pauvres gens, de disparitions accélérées d’espèces animales et végétales par dizaines par jour, de saccage systématique de l’environnement et de l’atmosphère, de dérèglement du climat… Alors de grâce commençons enfin à appeler un chat un chat et à cesser de remercier, glorifier, sanctifier… tous ces milieux d’affaires, cesser cette métaphysique patronale et bien voir que comme l’écrivait avec tant de justesse Thorstein Veblen dans son Theory of The Leisure Class, en fait de « bon patronat »… « il n’y a que prédateur de l’économie et de la société ».Et enfin commencer à savoir par où canaliser nos revendications de changements et de façons de penser de nouvelles, plus juste et plus écologistes, politique, économie et gestion !
En guise de conclusions provisoires (bis)
Hélas, le manque d’espace fait que je ne peux aller au bout de mes propositions avancées en conclusions de ma chronique précédente : creuser d’avantage les idées de « fermeture » des écoles d’économies et de gestion, pour prendre le temps de réexaminer tous les contenus, au vu des enseignements de la gravissime crise que nous traversons ; puis examiner celles des « alternatives » possibles, plausibles, pensables, parfois existantes, parfois encore à l’état de théories à approfondir. Mais on peut d’ores et déjà être d’accord sur une position qui s’impose inexorablement : celle de l’impossibilité absolue de continuer à faire de l’économie – gestion (et même de la politique) comme on le fait depuis près de deux siècles ! Le changement total et radical c’est maintenant ! Tout de suite ! Immédiatement ! hyper urgemment ! Voire… c’était peut-être même hier ! Car enfin, cela fait tout de même bien longtemps, au moins depuis le début des années 1970 que l’on nous avertit dramatiquement de ce qui nous tombe dessus. Ne serait-ce que, pour citer les plus « évidents » : 1- le Club de Rome avec son rapport choc hardiment intitulé Halte à la croissance ! de 1972 ; et 2- les prévisions quasi définitivement catastrophistes du livre des célèbres Meadows et Forrester, Industrial Dynamics ; ou encore 3- le livre cinglant de André Gunder-Franck Le développement du sous-développement. Rendez-vous donc à la chronique 27 pour traiter de tout cela.