Responsabilité et usage excessif de pouvoirs : abus de majorité, de minorité ou d’égalité

Associes de la SARL

Lies Hamidi

Par Lies HAMIDI

Le principe de la limitation de responsabilité d’un associé peut connaitre des exceptions lorsqu’il agit en dehors du cadre légal.

Le principe : limitation de responsabilité

La responsabilité des associés est limitée aux apports. C’est ce qui distingue la SARL de la SNC où les associés sont indéfiniment et solidairement responsables. La responsabilité de l’associé n’est engagée qu’exceptionnellement. Le principe étant que la société sert de rempart à la responsabilité des associés.

Cela signifie qu’en cas de difficultés de la société, l’associé risque de perdre les apports effectués, lors de la création de la société (en numéraire ou en nature).

Dans les sociétés à risque limité, les associés sont en principe à l’abri des actions que seraient tentés d’exercer à leur encontre les créanciers n’ayant pu obtenir paiement de leur dû.

Cette responsabilité limitée ne vaut cependant pas immunité. En cas de faute caractérisée, ils peuvent, en effet, être poursuivis sur le fondement de la responsabilité civile ; le droit des sociétés n’exclut pas le droit commun de la responsabilité délictuelle.

Encore faut-il distinguer entre l’ordre externe (responsabilité envers les tiers) et l’ordre interne (responsabilité envers les associés).

L’exception : mise en jeu de la responsabilité, faute détachable du statut d’associé et autres cas infractionnels

2.1- La responsabilité externe

L’associé peut d’abord commettre une faute causant un préjudice à une personne tierce par rapport à la société. Il convient, ici, de transposer aux associés les solutions admises pour les dirigeants de la SPA ; en conséquence, seules les fautes détachables du statut d’associé engagent la responsabilité de leur auteur. A défaut de rapporter

la preuve de la faute détachable, un tiers ne saurait agir à l’encontre d’un associé à raison du vote qu’il aurait émis au cours d’une assemblée générale.

Dans une telle hypothèse, si faute il y a, le tiers n’a d’action que contre la société elle même. La faute détachable est incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales.

2.1.1- Responsabilité de l’associé et gérance de fait (arts 805 et 578 code de commerce)

L’associé qui se comporte comme un véritable gérant de droit peut engager sa responsabilité civile et pénale. Il est considéré aux yeux de la loi comme un gérant de fait : par exemple son immixtion dans les décisions de l’assemblée ou dans la gestion quotidienne de la société peut l’amener à engager sa responsabilité personnelle au même titre que le gérant de droit.

Conformément à l’article 805, est puni pénalement toute personne qui, directement ou par personne interposée, aura, en fait, exercer la gestion d’une SARL sous le couvert ou aux lieu et place de son gérant légal.

Plus grave encore, en cas de procédure collective, l’autorité judiciaire peut mettre à sa charge des dettes sociales, compte tenu de son implication dans le fonctionnement de la société.

Aussi, selon l’article 578 alinéa 2 du code de commerce, si la faillite de la société fait apparaitre une insuffisance d’actif, le tribunal peut, à la demande de syndic, décider que les dettes sociales seront supportées jusqu’à concurrence du montant qu’il déterminera.

Ces dettes ne seront mis à la charge des associés qu’à la condition qu’ils aient participé à la gestion.

2.1.2- Responsabilité de l’associé et cautionnement

Par ailleurs, il y a lieu de mettre en relief la responsabilité de l’associé, lorsque le tiers contractant décide de cautionner les engagements de la société par l’associé.

Le créancier peut réclamer sa dette à la société débitrice ou au cautionnaire. Il n’est pas dans l’obligation de s’adresser, d’abord, au débiteur principal.

2.2- La responsabilité interne

Le rempart de la personnalité morale ne protège plus les associés, lorsque sont en jeu leurs rapports internes. L’associé fautif engage, donc, sa responsabilité personnelle, quand il cause un préjudice à un autre associé.

Ainsi, en cas d’abus de majorité, les associés coupables peuvent être condamnés à verser personnellement des dommages-intérêts aux minoritaires lésés. La même solution vaut, de manière symétrique, en cas d’abus de minorité ou d’égalité.

2.2.1- Responsabilité et abus de majorité

En droit des sociétés, les décisions se prennent à la majorité comme dans le système politique à suffrage universel. La minorité doit s’incliner et s’inscrire dans le mouvement des vainqueurs.

Cette victoire des majoritaires ne doit cependant pas constituer un poids contraignant à l’égard des minoritaires impuissants et timorés. Ces derniers bénéficient de pouvoirs propres à eux (poser des questions écrites ou demander l’inscription

d’une question à l’ordre du jour, par exemple …). La jurisprudence se met en branle, lorsque la majorité se rend coupable d’un abus de droit : user de son droit n’autorise pas la majorité à en abuser. Il en est ainsi lorsque l’intérêt social est piétiné ou bafoué.

Dès lors, la décision prise par la majorité au détriment des intérêts de la minorité constitue un abus de majorité, condamnable comme tel.

La mise en réserve systématique des bénéfices qui ne répond ni à l’intérêt des minoritaires, ni à celui de la société, en est un exemple parfait.

Outre la contribution aux pertes, la vocation de la société reste la distribution de bénéfices aux associés et non la thésaurisation.

Les associés majoritaires tirent leurs revenus ailleurs et partant sont à l’abri du besoin social. Ils peuvent, à ce titre, bénéficier de rémunérations liées à leur statut de salarié ou de dirigeant (gérant).

L’abus de majorité est sanctionné civilement. Il faut en apporter la preuve sur le fondement des principes édictés par le code civil.

2.2.2- Responsabilité et abus de minorité

Les minoritaires qui disposent d’une minorité de blocage peuvent en user de manière abusive. Toutes les décisions extraordinaires doivent obtenir la bénédiction de la minorité, sauf à paralyser le fonctionnement de la société.

Il en est ainsi par exemple du transfert de siège, de l’augmentation de capital social ou encore du changement de la forme sociale…

Une décision de justice en donne une définition pertinente : « un minoritaire se rend coupable d’abus si son attitude a été contraire à l’intérêt général de la société en ce qu’il aurait interdit la réalisation d’une opération essentielle pour celle-ci, dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés ».

Le refus systématique de toute initiative louable et favorable à l’intérêt social constitue un abus de minorité. Ainsi, le refus de voter l’augmentation de capital, au risque de mettre en péril la vie de la société, est caractéristique d’un abus de droit.

C’est le cas de toute société menacée de dissolution lorsque son capital est inférieur au minimum requis par la loi.

Les minoritaires qui refusent ladite augmentation de capital, encourent une condamnation civile, conformément à la loi.

2.2.3- Responsabilité et abus d’égalité

L’abus d’égalité obéit à la même philosophie que l’abus de minorité. Ici, deux associés possédant chacun la moitié du capital social s’opposent mutuellement au point de mettre en péril le fonctionnement de la société.

Lorsque l’abus d’égalité est caractérisé, l’égalitaire coupable d’abus peut être condamné à des dommages-intérêts.

Si le conflit persiste, le juge peut être amené à dissoudre la société pour absence d’affectio societatis ou mésintelligence évidente.

C’est la détermination de s’associer et de collaborer sur un pied d’égalité qui caractérise l’affectio societatis : un vrai pacte social où chacun exprime sa volonté.

Au final, quels que soient les cas (abus de majorité, de minorité ou d’égalité), la seule voie pour les associés est la prise en compte de l’intérêt social, véritable boussole et fondement d’équité entre associés. L’intérêt social doit être une règle de conduite intangible.

L’associé ne doit nuire ni à l’intérêt de la société, ni à celui des autres associés. L’objectif étant l’enrichissement de l’ensemble des parties contractantes, par la réalisation de l’objet social.

La notion d’intérêt social est en même temps un concept qui transcende l’intérêt restreint de l’associé puisqu’il doit prendre en compte l’intérêt propre de la société : la boussole sociale est celle qui consiste à respecter tout à la fois l’ordre public, le pacte social et les tiers contractants.

(*) Directeur de l’Institut IDEG (Institut de Développement de l’Entreprise et de Gestion) Docteur en droit

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