L’Algérie, qui vient de célébrer sa Journée nationale de la diplomatie, est appelée, plus que jamais, à donner son importance à la diplomatie économique. Un volet délaissé durant ces 30 dernières années.
Akrem R
En effet, les différents gouvernements de l’époque n’ont pas donné autant d’importance à ce type de diplomatie censée être en première ligne de la politique étrangère d’un pays. D’ailleurs, c’est à travers l’activation des relais diplomatiques que l’Algérie pourrait désormais améliorer d’abord son image, en donnant plus de visibilité aux investisseurs étrangers et également faire de la promotion aux produits «made in algeria».
La diversification des exportations, notamment hors hydrocarbures, nécessite un travail de grande haleine, et ce, dans le but de pérenniser ces opérations dans le long terme. À cet effet, les différentes représentations diplomatiques algériennes à l’international sont appelées à s’y impliquer davantage.
Dans son allocution à la cérémonie de la célébration de la Journée nationale de la diplomatie, le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a indiqué que « dans un monde où la concurrence pour le développement fait rage, les relations économiques internationales revêtent un caractère stratégique, dont la diplomatie économique contribue aux efforts de développement national en attirant des investissements et en favorisant les exportations hors hydrocarbures».
À cet effet, dira Lamamra, le plan d’action du gouvernement s’appuie sur des mécanismes développés au niveau du ministère des Affaires étrangères pour réaliser davantage de gains à travers des partenariats stratégiques, en ouvrant de nouveaux espaces pour le développement de l’Algérie.
Le gouvernement de Aymen Benabderahhmane, sur instruction du président de la République Abdelmadjid Tebboune, a consacré tout un chapitre à la diplomatie économique dans son Plan d’action, en décidant de restructurer le réseau de chargés des affaires économiques et commerciales dans les missions algériennes à l’étranger. Des cycles de formations seront assurés à ses cadres afin de les initier aux nouvelles réalités économiques. «Les missions diplomatiques et consulaires amplifieront les initiatives à l’effet de travailler à la réduction de la dépendance aux exportations d’hydrocarbures en attirant les IDE et en aidant à l’augmentation des exportations de produits et services algériens, notamment en direction de l’Europe, dans le cadre du potentiel de l’Accord d’Association avec l’Union Européenne ainsi qu’en Afrique et dans le Monde Arabe», lit-on dans le plan d’action.
Le marché africain comme cible
Par ailleurs, «une conférence nationale sur la diplomatie économique, qui regroupera tous les intervenants, sera organisée au cours du dernier trimestre 2021, pour apporter des solutions aux questions en suspens en matière d’IDE et de promotion des exportations sur les marchés extérieurs, notamment en Afrique et les pays du voisinage», informe également le gouvernement.
Par ailleurs, et de l’avis de beaucoup d’experts, l’Algérie doit impérativement renforcer sa présence économique dans les pays du continent africain représentant un marché de plus de 3000 milliards de dollars. En effet, malgré rude concurrence des grandes puissances, notre pays a, pour sa part, des atouts (rapprochements politiques, positions géographiques, avec les 7 ouvertures frontalières et compétitivité du produit algérien), lui permettant de décrocher sa part dans les échanges commerciaux et économiques avec les pays africains. En somme, le marché africain est facile à accéder par rapport aux marchés européens, dont la réglementation est durcie.
Hamza Boughadi, expert en économie à Eco Times : «L’Algérie a besoin d’une diplomatie économique forte»
La diplomatie économique est un levier sur lequel l’Algérie doit s’appuyer afin de se faire une place sur les marchés internationaux. Pouvez-vous nous donner un aperçu sur la situation de cette diplomatie dans notre pays et vos suggestions afin de la dynamiser ?
Hamza Boughadi : En une phrase je dirais, redynamiser les représentativités diplomatiques dans le domaine de l’économie. En Algérie, lorsqu’on parle de diplomatie, nous avons tendance à penser à la représentation officielle d’un pays dans un autre. Car depuis l’indépendance, la diplomatie se limite au rôle classique, c’est-à-dire, englober les activités politiques, les correspondances, le maintien des relations bilatérales et la délivrance de papiers officiels pour les citoyens algériens à l’étranger. Cependant, depuis des années, la diplomatie n’a pas cessé d’évoluer et de se développer mondialement, et ça s’est étendu vers la diplomatie culturelle, sportive, économique… diplomatie qui consiste à développer les relations bilatérales dans un domaine spécifique.
Quant à l’Algérie, le besoin de l’instauration d’une diplomatie économique et l’activation de ce rôle dans toutes les ambassades algériennes réparties à travers le monde, est plus que nécessaire, vu l’ampleur de défis de la situation économique et financière du pays, dont l’économie dépend essentiellement des exportations des hydrocarbures.
Lorsqu’on parle de Diplomatie économique, on pense impérativement à créer le poste d’un attaché économique qui s’occuperait des affaires économiques en instaurant un comité de prospecteurs, qui ont pour rôle d’étudier le marché, le mode de consommation, recenser les produits que nous pouvons exporter depuis l’Algérie, mais aussi, font un travail de recensement de prix et de coûts.
D’autre part, le département doit démarcher en partenariat avec l’Agence nationale de la promotion du commerce extérieur ALGEX, qui va recenser les exportateurs et à son tour, le département joue son rôle de démarcheur, car le producteur algérien, souvent, n’a pas de moyens et outils pour aller démarcher. De son côté, l’Etat doit l’aider dans ce volet.
Ceci d’une part, et d’autre part, l’Etat facilite les transactions, le transport et toutes sortes d’opérations difficiles qui peut être des obstacles à l’exportation. Le deuxième volet qui s’inscrit dans le rôle de ce département économique, serait de chercher des investisseurs potentiels et les encourager à se lancer dans l’investissement en Algérie.
Quels sont les pays qui ont investi en diplomatie économique pour booster leurs économies nationales ? Et pourquoi, serait-il aussi important d’aller de la diplomatie politique à la diplomatie économique ?
Les puissances économiques ont adopté depuis plusieurs années ce concept. Le monde parle affaires plus que politique ! Ce n’est plus une guerre politique mais une guerre d’intérêts et d’économie. Le monde cherche à attirer des capitaux, des fonds et des investisseurs. Les grandes puissances économiques donnent une très grande importance à la diplomatie économique. En effet, ceci est bien évidemment, initié par plusieurs modes opérationnels, car ils sont présents dans chaque exposition et ils envoient les délégations en permanence pour en tirer des opportunités. À titre d’exemple, je citerai, les États-Unis, la Chine, la France, l’Inde, l’Allemagne et la Turquie.
Comment l’Algérie pourra-t-elle réussir à avoir une diplomatie économique et comment pourra-t-elle arriver à concrétiser ses objectifs par ce biais ?
D’abord, il faut passer par certaines mesures et réformes intégrales et structurelles, telles que la réforme du système bancaire, la structuration des lois d’investissement, l’intensification de l’organisation des Journées de formation pour former les exportateurs sur les besoins des marchés internationaux et leurs exigences, ainsi que la mise à niveau des entreprises algériennes et enfin la normalisation et la certification des systèmes de management de ces entreprises.
Ceci, dans le but de leur donner l’aptitude d’être en conformité et aux normes internationaux, ce qui facilitera leur intégration au sein des marchés mondiaux. On ajoutera à ces mesures, la diversification et l’augmentation de la production nationale. Aussi, il faut passer à l’accentuation des efforts entre l’Etat et le secteur privé. Enfin, se doter de moyens logistiques nécessaires pour contenir et mettre en valeur la production algérienne, telle que les chambres froides, les moyens de transport, et un laboratoire étatique de test de qualité.
Vous venez d’évoquer l’exportation, est-ce que la production algérienne est excédentaire ?
En effet, dans certains produits, nous avons enregistré des excédents comme les produits agricoles ainsi que dans l’électronique et l’industriel. Mais il reste primordial avant de parler de l’exportation, de s’assurer que la production couvre déjà le marcher national. Je peux citer un exemple, les usines de batterie en Algérie se sont retrouvées gelées, faute de matière première qui est exportée, alors que pour assurer la production nationale, nous avons besoin de cette matière première.
Qu’est-ce qu’il faut, principalement en Algérie, pour adopter une diplomatie économique ?
Je dirai qu’en premier lieu, il faudrait une volonté politique des hauts responsables. Et par la suite, la participation et la coordination entre les ministères, y compris le ministère des Affaires étrangères, ministère du Commerce, ministère des Mines et de l’Industrie, le ministère de l’Agriculture, le ministère des Finances et enfin, celui du Tourisme. Tous ces organismes doivent ouvrir des canaux avec tous les opérateurs économiques, du plus petit de la chaîne au plus grand. Tout cela nécessite des rencontres intensifiées, des ressources, et beaucoup de volonté et de travail.
Quel est le rôle des cabinets de conseil, notamment du vôtre, MBDS, dans cette chaîne de coordination ?
Les cabinets de conseil et études économiques sont indispensables pour la réussite de cette stratégie. Ils jouent le rôle du conseiller, et apportent leur expérience et connaissances pour mettre à niveau les entreprises et les aider à comprendre le fonctionnement des marchés mondiaux ainsi que les formes de négociation. Au niveau de notre cabinet d’études, MBDS, nous avons eu plusieurs passages d’entreprise pour ce service. Et nous avons aidé, à titre d’exemple, pas mal d’agriculteurs à exporter leurs produits agricoles vers les pays du Golfe, chose qui, pour eux, était irréalisable, mais nous avons réussi à la transformer de rêve à réalité.
Propos recueillis par Akrem R.