Après la mise en œuvre d’une série de mesures pour encourager le développement de la filière céréalière, le gouvernement se penche désormais sur la problématique de la collecte des récoltes, notamment dans son volet relatif à la livraison de la production aux coopératives céréalières affiliées à l’OAIC. Ainsi, après la multitude d’avantages décidés cette année au profit des producteurs, la loi de Finances complémentaire pour l’année 2022 prône des mesures contraignantes pour donner un caractère obligatoire à a livraison des récoltes à l’OAIC.
Par Mohamed Naïli
« Tout agriculteur pratiquant la céréaliculture bénéficiant du soutien de l’Etat, tant en amont qu’en aval, et quelle qu’en soit sa forme ou sa nature, est tenu par l’obligation de céder sa production des blés et orges à l’Office algérien interprofessionnel des céréales », est-il énoncé à l’article 30 de la LFC 2022 qui vient d’être adoptée en Conseil des ministres, en attendant son passage devant les élus des deux chambres du Parlement.
Ladite mesure vient ainsi, après d’autres prises depuis janvier dernier, notamment la révision à la hausse des prix d’achat par l’Office interprofessionnel des récoltes auprès des agriculteurs qui sont passés respectivement de 4 500 à 6 000 DA pour le blé dur, de 3 500 à 5 000 DA pour le blé tendre, de 2 500 à 3 400 DA pour l’orge et de 1 800 à 3 400 DA pour l’avoine.
Au début de la campagne de moisson-battage en mai dernier, le ministère de l’Agriculture et du développement rural a pris aussi une série de mesures à travers l’OAIC au profit des céréaliculteurs, en créant notamment des couloirs verts pour faciliter les moissons et la livraison des récoltes d’orge aux CCLS, en mettant à la disposition des agriculteurs des moissonneuses-batteuses et des camions pour le transport des récoltes. Il a été procédé également à l’adoption d’une mesure réglementaire interdisant formellement l’utilisation du blé, dur ou tendre, comme aliment de bétail.
Des avantages en série
Néanmoins, malgré toutes ses mesures, les céréaliculteurs semblent en grande partie peu enclins à livrer leurs récoltes à l’Office public, préférant les stocker à leur niveau pour soit les utiliser à leur guise ou les écouler sur le marché libre à des prix plus forts.
A travers la nouvelle disposition qui vient d’être introduite dans la LFC 2022, le gouvernement vise ainsi à contrôler et remettre de l’ordre dans une filière non moins stratégique en recourant à des mesures plutôt contraignantes et coercitives, dans un contexte mondial où les céréales et l’ensemble des matières premières agricoles sont au centre de nouveaux rapports de force issus des conséquences de la guerre en Ukraine. C’est du moins ce qui se dégage de l’exposé des motifs quant à l’adoption de cette disposition.
Pour motiver le recours à cette démarche, l’avant-projet de la LFC en question rappelle ainsi que « le marché mondial des céréales a connu ces dernières années beaucoup de perturbations qui se sont traduites par une baisse significative de l’offre, avec pour effet la fluctuation à la hausse des prix ainsi que le taux d’inflation et l’augmentation des prix des intrants avec pour effet une hausse marquée des coûts de production des céréales impliquant une diminution significative des revenus des producteurs ».
Ceci au moment où, est-il précisé dans l’exposé des motifs, au niveau local, « les performances n’ont pas cessé de croître démontrant ainsi des capacités potentielles de production et des réserves de productivité existantes pour améliorer la production, réduire la dépendance de notre pays vis-à-vis de l’extérieur et permettre le renforcement de notre sécurité alimentaire en matière de céréales ». Néanmoins, est-il ajouté, « malgré tous ces efforts consentis par l’Etat en matière d’encadrement technique et économique, les niveaux de collecte au niveau national demeurent toujours faibles, lesquels ne dépassent pas les 50% pour toutes espèces confondues et ce, en raison de l’absence d’une mesure obligeant les agriculteurs à livrer leur production à l’OAIC ».
Maillon faible de la chaîne
C’est donc dans ce contexte et dans la foulée de toutes ces raisons, qui viennent d’être rappelées dans l’exposé des motifs, que le gouvernement vient d’opter pour des mesures à caractère obligatoire.
Il faut dire que la collecte et la livraison des récoltes à l’OAIC a toujours été le maillon faible de la chaîne de la production céréalière. En effet, comme il vient d’être rappelé dans l’avant-projet de loi de Finances pour l’année en cours, celles-ci n’ont jamais dépassé le cap des 27 millions de quintaux, toutes espèces de céréales confondues, alors que la production atteint, voire dépasse, durant certaines saisons les 50 millions de quintaux. En janvier dernier, l’ancien ministre de l’Agriculture regrettait que, durant la saison 2020-2021, l’OAIC n’a pu récupérer que 15 000 quintaux d’orge et, pour toutes les autres céréales, les livraisons aux CCLS n’ont pas dépassé les 13 millions de quintaux durant la même campagne, alors que la production totale a été de l’ordre de 27 millions de quintaux, soit moins de 50% ont été livrés à l’OAIC.
Par ailleurs, en plus des avantages supplémentaires qu’offre la vente sur le marché libre, avec notamment des prix supérieurs à ceux que propose l’OAIC à certaines période de l’année, d’autres raisons motivent le refus de certains céréaliculteurs à livrer leurs récoltes, comme par exemple, les lenteurs et les retards dans le paiement des récoltes livrées. « Jusqu’à présent, des primes de la saisons 2021-2022 ne m’ont pas été réglées », nous déclarait un céréaliculteur de la région de Tizi Ouzou en juin dernier.
Après l’amélioration des avantages financiers et la révision à la hausse des primes à la production, il est nécessaire pour l’administration sectorielle de se pencher sur les écueils bureaucratiques et autres contraintes administratives qui démotivent les producteurs et les poussent à opter plutôt pour l’exercice de leur activité loin des circuits réglementaires, et ce, non seulement pour la céréaliculture, mais pour l’ensemble des filières agricoles.
M. N.
Filière céréalière : Les principaux indicateurs
La céréaliculture en Algérie occupe entre 3 et 3,3 millions d’hectares de superficies agricoles qui sont emblavés chaque année, soit plus d’un tiers de la SAU (surface agricole utile) globale du pays, estimée à près de 8,5 millions ha. Les intervenants dans la filière avoisinent les 600 000 céréaliculteurs, dont des producteurs exploitants des terres relevant de la propriété privée et des agriculteurs ayant bénéficié du régime des concessions sur des terres du domaine privé de l’Etat.
Avec une irrigation qui reste très limitée (près de 500 000 ha irrigués seulement), la production céréalière est fortement tributaire de la pluviométrie et des aléas climatique, oscillant en moyenne entre 30 et 45 millions de quintaux annuellement, toutes céréales confondues (blé tendre et dur, orge et avoine).
Au moment où les besoins du marché national sont estimés à un peu plus de 100 millions de quintaux, les importations annuelles atteignent entre 70 et 80 millions de quintaux. Cependant, ces importations ne cessent de croitre d’une saison à une autre. Ainsi, durant la saison 2021/2022 (de juin 2021 à fin mai 2022), l’Algérie a importé un volume de 106 millions de quintaux, selon un bilan statistique présenté au début du mois courant par le Service économique régional d’Alger de la Direction générale du Trésor français. Durant la même période, la France est le premier fournisseur de l’Algérie en blé tendre, avec près de 15 millions de quintaux, et l’Allemagne vient en 2èmeposition avec près de 14 millions de quintaux.
M. N.