Traditionnellement en Algérie, le ftour se partage à domicile, en famille ou entre amis, autour d’une table débordant de mets, généralement cuisinés durant de longues heures. Pourtant, depuis quelques années déjà et dérogeant à la tradition, de plus en plus d’Algérois choisissent de rompre le jeûne du mois de Ramadhan sur une plage proche du centre de la capitale (les Sablettes), où se côtoient hommes et femmes de tous âges et milieux sociaux. Cette année, l’engouement est plus fort, puisque l’an dernier à cause du couvre feu dû à la crise sanitaire, cela n’a pas été possible.
Par Nahida Lyna
A la plage des Sablettes, à 5 km à l’est du centre historique d’Alger, familles ou groupes d’amis prennent d’assaut les tables à pique-nique en bois surplombant la plage. Pendant que les enfants s’amusent sur les aires de jeux, les adultes disposent les plats cuisinés à l’avance —la chorba, les boureks et les tajines… ou allument le barbecue pour les grillades.
Mais le phénomène est quasi inexistant sur la côte algérienne, à l’exception d’Annaba, près de la frontière tunisienne, et il est très récent à Alger. Il y est apparu timidement durant le ramadan 2015 avec la fin de travaux d’assainissement et d’aménagement d’une promenade agrémentée de kiosques, balançoires et manèges aux Sablettes.
La rénovation de cette plage, longtemps polluée et difficile à atteindre, a permis un accès à la mer aux riverains qui en étaient depuis longtemps privés par une autoroute et par des installations portuaires occupant une large partie de la baie d’Alger.
Les années d’avant, chaque soir, les Sablettes reflétaient les facettes multiples de la société algérienne : enfants, adolescents et adultes, cadres, ouvriers, enseignants, étudiants ou chômeurs viennent chercher espace et fraîcheur. Des femmes sont voilées, d’autres non. Les jeans moulants côtoient les hidjabs.
Hassene, par exemple, commerçant, y venait depuis deux ans (avant la pandémie) avec sa femme et ses deux enfants. Pour de jeunes hommes et femmes, la plage permet de se réunir hors du domicile parental ou d’appartements trop exigus pour recevoir. Amine, un cadre de 27 ans, est venu avec quatre amis d’enfance qu’il ne peut inviter chez ses parents, où il habite avec ses cinq frères et sœurs.
D’autres, installés à Alger pour le travail ou les études, se retrouvent loin de leur famille pendant le mois sacré. Étudiantes d’une vingtaine d’années, Nihal et ses amies logent en cité universitaire. À défaut de pouvoir rompre le jeûne avec leurs parents vivant en province, elles trouvent «beaucoup plus agréable de venir ici» que de rester dans leurs chambres.
Il y a aussi tous ceux, comme Samia, une enseignante qui a fait une trentaine de kilomètres avec son époux et leurs trois enfants, sa mère et sa belle-mère, venus «rompre avec la monotonie et profiter de l’air frais.»
En attendant que le muezzin donne le signal du ftour, un couple multiplie les égo-portraits alors qu’un quinquagénaire est plongé dans la lecture du Coran.
Le ftour dans un lieu public montre à la fois l’attachement culturel des Algériens au ramadhan et à ses traditions, et leur désir de changement et de modernisation des pratiques.
A savoir, que rompre le jeûne à la plage est courant en Tunisie et le phénomène se développe au Maroc.
N. L.