A deux reprises en l’espace de quelques semaines seulement, des dattes d’origine algérienne ont été retirées du marché en France en raison de substances chimiques qu’elles contenaient. Au-delà de la filière phoenicicole et la variété Deglet Nour en particulier, ce retrait, que le coordinateur national des exportateurs de dattes, Messaoud Bousnina, considère comme un coup dur pour la marque algérienne, relance le débat sur l’usage des produits phytosanitaires de synthèse dans les exploitations agricoles et les différentes cultures végétales dans leur ensemble.
Certes, dans toutes les agricultures modernes, outre les cultures biologiques et celles de subsistance, le recours à l’usage de produits chimiques durant tout l’itinéraire cultural est une condition sine qua non pour l’amélioration des rendements et la rentabilisation des exploitations agricoles, il n’en demeure pas moins, le choix de produits de traitement, leur dosage et les procédures de nettoyage y afférentes nécessitent un suivi permanent.
En Algérie, les cultures maraichères, arboricoles et autres, ne font pas exception et sont soumises à de divers traitements phytosanitaires et, pour assurer la régulation de ce volet, une réglementation spécifique est mise en place. Néanmoins, la question qui reste posée est de savoir dans quelle mesure les normes fixées en la matière sont-elles respectées par les producteurs agricoles?
Des éléments de réponses de grande importance aux questionnements ayant trait à l’usage des produits chimiques dans les productions agricoles en Algérie viennent d’être apportés par la récente étude publiée en juillet dernier sous le titre : «pratiques phytosanitaires sous serres plastiques dans les oasis des Ziban (Sud-est algérien)», et réalisée dans la région de Biskra par les chercheurs Farida Bettiche, Warda Chaïb, Nora Salemkour, Halima Mancer, Khalila Bengouga et Olivier Grünberger, respectivement du Centre de recherche scientifique et technique sur les régions arides (CRSTRA) de Biskra et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) de Montpellier en France.
Après avoir rappelé que «de nos jours, une agriculture intensive voulant répondre aux besoins d’une population croissante est imputable à l’usage de pesticides chimiques de synthèse dont on voudrait cerner les pratiques pour minimiser les risques sanitaires et environnementaux», une raison pour laquelle «une enquête visant les pratiques phytosanitaires a été conduite auprès d’agriculteurs au Ziban», les auteurs de cette étude nous apprennent d’emblée qu’environ 105 spécialités commerciales de produits phytosanitaires, représentant pas moins de «60 substances actives appartenant à environ 28 familles chimiques» sont utilisées dans l’agriculture sous serres en Algérie, particulièrement dans les régions du sud, comme Biskra, où la serriculture est fortement pratiquée ces deux dernières décennies.
Les auteurs de ladite étude précisent que, parmi ces 105 spécialités commerciales de produits phytosanitaires utilisés, «44,76% sont des fongicides, 40% des insecticides et 15,23% des acaricides. Les insecticides et les fongicides (dont 3 fongicides inorganiques) sont plus utilisés dans les tomates cultivées en serre que dans les tomates cultivées dans les systèmes conventionnels».
1,65 kg/hectare/an
En plus de l’impact de ces substances chimiques sur les produits destinés à la consommation et contenant souvent des résidus de pesticides, l’étude en question fait savoir aussi que l’usage non contrôlé des traitements phytosanitaires a des conséquences négatives tant sur la santé des agricultures que sur l’environnement. En effet, «plus d’un tiers des agriculteurs ne portaient aucun équipement de protection individuelle (EPI)» lorsqu’ils procèdent à l’application des traitements en question dans les serres. Sur ce point, il est utile de rappeler que, depuis quelques années, des professionnels de santé et des associations d’agriculteurs tirent la sonnette d’alarme quant à la multiplication de cas de maladies auprès des travailleurs agricoles intervenant dans les serres, notamment des cancers dus à la manipulation de ces substances chimiques.
Sur le plan environnemental et écologique, l’étude conjointe des chercheurs du CRSTRA et de l’IRD, souligne que «les restes de cuve et l’eau de rinçage des réservoirs (utilisés pour la préparation des traitements phytosanitaires, ndlr) sont déversés à même le sol dans 78% et 95% des cas respectivement», avant de suggérer qu’«un référentiel des bonnes pratiques phytosanitaires doit être élaboré et adopté par les agriculteurs pour minimiser les risques sanitaires, et le transfert des pesticides vers les matrices environnementales».
Au volet relatif au statut réglementaire des produits utilisés, l’étude relève aussi qu’en Algérie, sur les 60 substances actives que les agriculteurs déclarent pratiquer, 5 ont été retirées d’homologation, (le Méthomyl, le Zinèbe, le Dinocap, l’Amitraz, l’Endosulfan et le Dicofol), comparativement aux normes européennes, 4 substances supplémentaires utilisées en Algérie ne sont pas homologuées dans l’UE (Carbendazim, Diazinon, Hexaconazole et Thiocyclam hydrogène oxalate).
Pour ce qui est des marques des produits utilisés en Algérie, les agriculteurs interrogés par les auteurs de cette étude, ont cité des marques internationales plutôt confirmées. «Les agriculteurs (interrogés) utilisent des produits phytosanitaires de sources estimées sûres produits par les leaders de l’industrie de l’agrochimie à savoir: Syngenta, Dupont, Bayer et DowagroScience».
Sur le plan quantitatif, la même étude fait ressortir une utilisation de produits chimiques de traitements estimée à une moyenne de 1,65 kg/hectare/an, ce qui est inférieur aux quantités utilisées dans d’autres pays méditerranéens comme le Portugal (8,36 kg/ha), l’Italie (5,25 kg/ha), la Grèce (4,41kg/ha), la France (4,24 kg/ha) et l’Espagne (3,09 kg/ha). En conséquence, c’est plutôt le volet relatif au respect des normes en la matière qui demeure problématique en Algérie et non pas les quantités de produits chimiques utilisés.
M. N.