Depuis quelques mois, le secteur des forêts est au centre des préoccupations, que ce soit au niveau des hautes autorités, au sein des milieux économiques ou de la population. Au-delà de la prévention et la lutte contre les incendies en ce début de la saison des fortes chaleurs, c’est la valorisation et l’exploitation économique du patrimoine forestier qui sont mises en avant.
Par Mohamed Naïli
Du côté des pouvoirs publics, le cap est mis sur la redéfinition d’un nouveau cadre législatif régissant ce patrimoine qui, avec les quelques 4 millions d’hectares qu’il comprend, soit moins de 2% de la superficie totale du pays, et avec les effets néfastes des changements climatiques, est confronté à des vulnérabilités qui ne cessent de s’accentuer.
Pour asseoir un nouveau cadre juridique pour gérer efficacement le secteur, une nouvelle loi portant régime général des forêts est ainsi en préparation au niveau du gouvernement. Cette loi, venant rectifier les insuffisances de la loi en vigueur, qui date de 1984, viendra avec de « nouvelles mesures permettant de relancer ce secteur, notamment l’ouverture du champ d’investissement et l’imposition de sanctions sévères pour protéger ces espaces des agressions », expliquait la semaine dernière le Directeur général des forêts, Djamel Touahria.
Néanmoins, comme l’ont montré toutes les expériences passées, pour une meilleure efficience sur le terrain, la stratégie à mettre en place pour la protection et l’exploitation rationnelle de la richesse forestière doit impliquer les populations riveraines. C’est pourquoi la nouvelle loi en préparation s’inspire de cette approche, selon le DGF affirmant qu’ « elle impliquera les habitants des zones montagneuses et forestières en les incitant à investir et à contribuer au développement de ces régions, pour être des acteurs dans la protection des forêts ».
La participation des populations locales à la gestion du domaine forestier a déjà eu à montrer son efficacité à travers quelques expériences menées par le passé, dans le cadre des projets de proximité de développement rural intégré (PPDRI), explique l’expert forestier Amar Naït Messaoud, notamment, dans les périmètres de réhabilitation du Barrage vert mais « sans l’intitulé qui formalise cet espace », précise-t-il. Ces actions « font adhérer les familles rurales de ces régions steppiques à la politique menée par les pouvoirs publics, d’autant qu’une partie de ces familles commencent à se sédentariser suite à la diversification des activités introduites dans ces espaces, à commencer par l’arboriculture fruitière », fait-il remarquer.
Dans l’une des études sur le domaine forestier du Plan Bleu, organisation de promotion de l’environnement et des systèmes écologiques en Méditerranée, l’Algérie est parmi les pays les moins dotés en bio-capacités dans le bassin méditerranéen, aux côtés de l’Egypte, le Maroc et la Syrie.
M. N.
Amar Naït Messaoud, expert forestier : « Il est attendu une meilleure protection de la forêt et de son espace foncier »
Eco Times : Quelles sont les potentialités du secteur des forêts en Algérie et que représente-t-il par rapport à la superficie totale du pays ?
Amar Naït Messaoud : La forêt algérienne, avec sa superficie de 4,1 millions d’hectares, se présente, en premier lieu, comme une couverture végétale s’étalant sur le territoire national avec le modeste taux de 11% de la superficie du nord du pays qui s’étend du littoral jusqu’au nord de l’atlas saharien. Autrement dit, avant de parler du potentiel au sens économique, la forêt algérienne doit être regardée d’abord comme une protection, bien fragile d’ailleurs, du sol contre l’érosion hydrique et éolienne, et comme pourvoyeur d’oxygène et fixateur de carbone, toujours dans des proportions mesurées, loin des normes et des défis qui se posent actuellement en termes de changements climatiques et de nécessité d’en atténuer les effets.
Maintenant, si vous entendez par « potentialités » la capacité de la forêt algérienne à contribuer à l’économie nationale, il y a lieu de bien préciser les choses et maîtriser nos ambitions. Autrement dit, la forêt algérienne, et au fil des différentes dégradations qu’elle a subies depuis plus d’un demi-siècle et des attentes exprimées en sa direction pour l’atténuation des effets des changements climatiques, ne peut donner que ce qu’elle a. La production de liège pour les wilayas de la côte Est, à partir de Tizi-Ouzou jusqu’à El Tarf et Souk Ahras. Là, on était, jusqu’aux années 1950, les premiers exportateurs du monde – sachant que cette espèce n’existe qu’en Méditerranée – mais, actuellement, on est devancé par des pays comme le Portugal et l’Espagne. Les feux de forêt et un retard dans la mise en valeur de certains peuplements nous ont conduits à cette situation. La production actuelle est de 58 000 à 60 000 quintaux/an, alors que nos potentialités peuvent aller jusqu’à 400 000 qtx/an. En matière de bois, nos forêts se sont tellement fragilisées et n’ayant pas, en outre, bénéficié d’études d’aménagement, que la production de bois se réduit à la portion congrue, pour les usages domestiques. Les besoins en bois sont couverts par l’importation.
Mais peut-on considérer ce patrimoine forestier comme une richesse économique en mesure de créer de la valeur ajoutée ?
En plus des produits « classiques » que sont le bois et le liège, l’idée en « vogue » ces dernières années est celle d’économie forestière au sens large, qui vise essentiellement l’exploitation des produits non ligneux, l’exploitation du gibier via la régularisation de l’activité cynégétique et l’ouverture de l’espace forestier sur la récréation et les activités touristiques. Les produits non ligneux, essentiellement les plantes aromatiques et médicinales (PAM), peuvent contribuer à l’économie domestique des ménages vivant au sein ou à la périphérie des massifs forestiers. Certaines expériences ayant touché le romarin et le lentisque, sont assez concluantes pour être élargies et renforcées, et la gamme des plantes médicinales et aromatiques ne se limite pas à ces deux espèces.
Quant aux activités récréatives, l’administration des forêts a identifié depuis 2019 près de 250 sites pouvant être érigés en espaces récréatifs aux abords des villes. En valorisant les bosquets et les petites forêts suburbaines, par la procédure de l’adjudication, on contribue à la création d’emplois et aux recettes domaniales. En outre, c’est un moyen pour préserver ces espaces exposés depuis longtemps aux aléas des fréquentations anarchiques (insalubrité, délit de coupes d’arbres, délinquance juvénile, etc.).
La DGF vient d’annoncer la préparation d’une nouvelle loi portant régime général des forêts. Que peut apporter une nouvelle loi au secteur ?
De la nouvelle loi, qui doit remplacer celle de 1984, dépassée par les événements, il est attendu essentiellement une meilleure protection de la forêt et de son espace foncier, et une ouverture raisonnée sur l’investissement. La protection de la forêt, c’est d’abord une meilleure dissuasion contre les délits forestiers sous toutes leurs formes. Il est attendu que les sanctions contre les délinquants (coupes d’arbres, défrichement, occupation illégale par l’activité agricole ou les constructions) soient plus sévères. Quant à l’ouverture vers les activités économiques, c’est pour prendre en charge, sur le plan de la réglementation et des procédures, les besoins de la société qui s’expriment en termes d’investissement dans la forêt, car la loi actuelle confine, par exemple, l’exploitation des plantes médicinales et aromatiques, dans le créneau de ce qui est appelé le « droit d’usage », de portée restreinte, s’adressant aux riverains immédiats de la forêt et touchant de faibles quantités à usage domestique.
Le Barrage vert subit d’énormes dégradations dues aux fortes pressions qui s’y exercent, avec notamment la concentration de l’activité de l’élevage et le surpâturage. Quelle solution peut-on appliquer pour remédier à cette situation ?
Votre observation sur les « dégradations dues aux fortes pressions qui s’y exercent » me donne l’occasion de préciser que, justement, la relance du Barrage vert, telle qu’elle est conçue par la DGF, n’est plus un reboisement isolé, laissé au bon vouloir de la nature et des riverains. Le nouveau projet s’appuie sur des actions intégrées, impliquant totalement les ménages locaux. Les ménages pastoraux vont bénéficier de plantations fourragères et pastorales, d’ouvrages de petite hydraulique, de plantations fruitières, d’infrastructure de désenclavement, etc. Les micro-entreprises et coopératives en relation avec les produits du terroir, l’économie verte (ou circulaire) et l’artisanat seront soutenus. Les espèces de reboisement seront diversifiées, introduisant par exemple des espèces feuillues (frêne, acacia, micocoulier, eucalyptus, peuplier) dans les talwegs, des espèces mixtes (fourragères et forestières, comme le caroubier) sur les anciennes terres de parcours, etc.
Propos recueillis par Mohamed Naïli