C’est devenu une tradition. À chaque début de mois de Ramadhan, les prix des produits alimentaires de large consommation, surtout les fruits, les légumes et viandes, flambent. Si le consommateur assume une partie de cette dérégulation du marché, notamment suite au changement dans son comportement en matière d’achats et de modèle de consommation, la chaîne de distribution reste la principale raison de cet état de fait. Son organisation actuelle et son mode de fonctionnement a montré ses limites, d’où la nécessité impérieuse de sa réorganisation.
Par Akrem R.
L’Etat à travers ses officines (lait, viande et céréale) a mobilisé des quantités énormes pour répondre au besoin du marché en quantité suffisante et à des prix à la portée des ménages. Toutefois, la réalité du terrain et toute autre.
Depuis quelques jours, certains produits à l’instar de la semoule, le lait en sachet et l’huile de table connaissent une forte tension et ont même disparu des étals de certains magasins. Ces produits de large consommation et subventionnés par l’Etat, sont devenus objet de spéculation et du business pour certains opportunistes.
Il est à noter que 10 millions de quintaux de céréales, 25 000 tonnes d’huile de table et entre 23 à 24 mille tonnes de sucre seront commercialisés durant ce mois de ramadhan. Des quantités largement suffisantes pour répondre aux besoins des populations, dira Hadj Tahar Boulenouar, président de l’association des commerçants et artisans (ANCA).
Il a expliqué la hausse des prix par l’augmentation de la demande durant ces premiers jours de ramadhan, en soulignant que la situation va se stabiliser à partir de la semaine prochaine. D’ailleurs, prédit-t-il, les prix de certains produits vont baisser, voire s’effondrer. À titre d’exemple, les viandes blanches enregistreront des baisse entre 60 à 100 DA/kg à partir de la deuxième semaine de ramadhan, même chose pour le prix de la pomme de terre qui devrait baisser à 60 et 70 DA/kg, ce tubercule étant, d’ailleurs, la bourse du marché des fruits et légumes : « La baisse de son prix va impacter ceux des autres légumes», indique-t-il.
Sur un autre registre, le président de l’ANCA a expliqué la hausse des prix par le manque et le nombre réduit des marchés de proximités. Il a appelé le ministère du Commerce à l’octroi de facilitations aux opérateurs et commerçants pour la réalisation de ce genre de marchés à travers les quatre coins du pays. Ces marchés permettront, explique-t-il, d’abord de réguler les prix et surtout de réduire la sphère informelle.
En clair, la maitrise des prix sur le marché passe par la révision de la chaine de distribution actuelle, tout en investissant dans la grande distribution, à travers la réalisation d’hyper-marchés, notamment, dans les grandes villes (Alger, Sétif, Oran, Constantine, etc.). C’est à travers ces grandes surfaces commerciales qu’on pourra à la fois réglementer le marché et, surtout, les prix, dira, pour sa part, le président de la Fédération Algérienne des Consommateurs (FAC), Hariz Zaki. Dans chaque grande ville, 4 à 5 hypermarchés doivent être réalisés afin d’instaurer une concurrence loyale et une réduction des prix. Les pouvoirs publics sont appelés à la révision urgente de la chaîne de distribution afin de parvenir à consolider ses efforts et parvenir à la stabilisation des prix et la préservation du pouvoir d’achat des ménages qui fait face à une inflation galopante. Sans cela, les efforts et l’aide de l’Etat risquent d’être saper par les spéculateurs, d’autant plus que les décisions «administratives» n’ont pas donné les résultats escomptés.
Ishak Kherchi, expert en économie : « L’Etat doit reprendre le contrôle sur la distribution de certains produits»
L’expert en économie, Ishak Kherchi, a fait savoir que la dérégulation du marché ne remonte pas à ce début de ramadhan, mais bien avant. Ce problème existait tout au long de l’année, dira-t-il, citant l’exemple de l’huile de table et du lait en sachet et, actuellement, celui de la semoule.
Ces perturbations sur le marché ne peuvent être expliquées que par la défaillance de la chaîne de distribution. « Sans un recensement, la numérisation des différents intervenants (producteurs, distributeurs, commerçants), il sera impossible de réguler le marché et les tensions persisteront. Toutes les opérations doivent être numérisées en passant de la production jusqu’à la consommation. C’est à travers ce système qu’on pourra connaitre la traçabilité d’un produit», a souligné Ishak. Outre la numérisation, il y a lieu d’investir dans la grande distribution, à travers la réalisation d’hyper-marchés, à condition d’être sous la tutelle de l’Etat. S’agissant des produits de large consommation subventionnés, l’enseignant universitaire a plaidé pour la création d’un réseau de distribution étatique. C’est à l’Etat de prendre en charge la distribution des produits (huile de table, lait en sachet, les céreales), conclut-il.
Abderrahmane Hadef, expert en économie : « Il est temps de mettre de l’ordre à la grande distribution »
L’expert en économie, Abderrahmane Hadef a fait savoir que la grande distribution demeure un véritable problème en Algérie, du fait de la déstructuration dans l’approvisionnement, la traçabilité et la gouvernance. Donc, estime-t-il, il est temps d’y mettre de l’ordre, à travers une nouvelle organisation et là, c’est le rôle des pouvoirs publics à travers le ministère du Commerce et aussi celui des unions patronales et syndicales, commerçant et du patronat, qui doivent aussi se mettre de la partie pour, au moins, réorganiser ce créneau.
Pour notre interlocuteur, la grande distribution des produits alimentaires est une véritable problématique, à la fois, structurelles et, en même temps, réglementaire. En effet, il y a beaucoup du travail à faire par rapport à l’encadrement de cette activité, en commençant déjà par les super-grossistes, ces intermédiaires entre les producteurs, importateurs et les grossistes implantés dans les régions.
A cet effet, « je pense qu’il faut concevoir une nouvelle organisation des activités des super-grossistes par la mise en place de grandes centrales d’achat destinées à jouer le rôle d’intermédiaire mais de façon formelle entre les producteurs, les importateurs et le reste de la chaine de distribution.
Ces grandes centrales d’achat peuvent être réalisées sous forme d’investissement privé ou public ou en partenariat public-privé, pour une meilleure régulation de l’activité et, surtout, plus de traçabilité et de consistance en terme de contrôle», souligne-t-il.
De là, il faut aussi voir l’aspect réglementaire et légal : «A mon sens, pour les activités de la grande distribution, surtout pour les grossistes et les super- grossistes, aujourd’hui, la délivrance du registre de commerce doit être seulement sous forme de personne morale à travers la constitution d’une société identifiée avec des personnes bien connues et non pas des registres de commerce sous forme de personne physique qu’on aura du mal à identifier par la suite».
D’un autre côté, ajoute l’intervenant, il y a l’aspect relatif à la facturation et tout le système de traçabilité de produits et «là aussi, il est très important de mettre en place un système intégré de facturation et de l’imposer à l’ensemble des acteurs de cette chaine. Déjà, pour les besoins de traçabilité de produits et, également, pour l’aspect fiscal, parce qu’il faut reconnaitre que cette grande distribution alimente une grande partie du marché informel. Or, aujourd’hui, l’Algérie ne peut continuer à accepter la présence d’acteurs de la sphère informelle».
à ce effet, «il est important aujourd’hui de revoir le système de facturation, par la mise en place d’un nouveau système d’information totalement numérisé. Il s’agit aussi, de l’imposer aux grossistes, aux producteurs et aux importateurs, si bien qu’on aura moins de difficulté à faire de la régulation et aussi le suivi et le contrôle de cette chaine qui reste un point noir dans l’économie nationale».
Un troisième point à soulever : «Il est temps de promouvoir l’investissement dans les grandes surfaces (hypermarché et supermarché) mais avec des normes internationales. À mon sens, il est important d’avoir, au moins, un hypermarché par wilaya et 3 à 4 pour les grandes wilayas, pour que le consommateur ait le choix et la disponibilité sur le marché local».
A. R.