Il n’y a pas une année qui passe sans que des pénuries, des hausses de prix ou le recours aux importations ne soient évoqués dans tout débat sur le marché des viandes et produits laitiers. Pourtant, au vu du potentiel en cheptels, en fermes d’élevage ou du nombre d’acteurs qui interviennent à tous les niveaux de la chaîne, les filières animales auraient pu se doter de leviers en mesure de garantir leur stabilité.
Par Mohamed Naïli
Mais, compte tenu des lacunes structurelles sur lesquelles elles butent et l’absence d’intégration des intervenants, de l’approvisionnement en matières premières jusqu’à la commercialisation, ces filières peinent à en finir avec leurs vulnérabilités et prendre leur envol.
Outre la flambée des prix, et parfois de l’indisponibilité, des aliments de bétail et de volaille à laquelle sont confrontés les éleveurs, les circuits informels, qui représentent plus de 50% des intervenants dans le marché, empêchent d’établir la traçabilité de ces filières pour mieux connaître leurs potentialités et leurs capacités réelles pour répondre aux besoins exprimés en produits d’origine animale, que ce soit le lait ou les viandes rouges et blanches.
La filière lait en quête d’une refonte globale
«Les politiques laitières – coûteuses – adoptées en Algérie ont montré leur échec si l’on note l’importance de l’importation dans le schéma organisationnel de la filière». Ce constat que viennent de dresser Kousseila Bellil et Moussa Boukrif, respectivement chercheurs au Cread (Centre de recherche en économie appliquée pour le développement) et au Laboratoire de recherche en management et techniques quantitatives de l’université de Béjaïa, reflète, à lui seul, l’ampleur des réformes auxquelles doit être soumise la filière laitière en Algérie.
Lesquelles réformes qui doivent être définies et encadrées par une nouvelle politique de développement à moyen et long termes en mesure de mettre en place de nouveaux mécanismes à tous les niveaux, que ce soit la production, la collecte ou la transformation. C’est d’ailleurs pour suggérer cette approche que, dans leur récent article intitulé «les réformes de la filière lait en Algérie: Bilan et perspectives», paru dans le N°2 des Cahiers du Cread pour 2021, les deux chercheurs s’interrogent: «N’est-il pas étonnant de constater le maintien de ces mêmes politiques malgré leur inefficacité?»
En effet, centrée principalement sur l’urgence de répondre aux besoins du marché en lait subventionné à un prix de 25 DA/litre, étant donné que le lait constitue la principale source de protéines animales pour les ménages à faibles et moyens revenus, les instruments de régulation de la filière se limitent jusqu’ici à assurer la disponibilité du produit au détriment de la mise en place de nouvelles stratégies pour le développement d’autres segments de cette filière. C’est pourquoi, avec des importations qui atteignent en moyenne 1,2 milliard de dollars par an, principalement en poudre de lait destinée à la transformation, l’Algérie se hisse à la place du 7ème importateur mondial de produits laitiers, selon une étude publiée en 2021 au N° 73-81 de la Revue de l’élevage et de la médecine vétérinaire des pays tropicaux.
Moderniser la filière
A présent, le nouveau cap des pouvoirs publics pour la filière lait consiste à sortir de cet engrenage qui ne fait que favoriser la forte dépendance du pays du marché mondial des produits laitiers pour asseoir de nouveaux leviers s’appuyant sur le développement de la production locale. C’est du moins ce qui ressort des mesures prises successivement ces derniers mois, avec notamment la révision du système des subventions mis en œuvre dans le cadre de la loi de Finances pour 2022 ou la feuille de route du ministère de l’Agriculture et du développement rural pour la période 2021-2024.
C’est dans ce sillage que, au même titre que pour la filière viandes, le Conseil des ministres de janvier dernier a donné son feu vert pour l’importation de génisses pour le renouvellement du cheptel bovin laitier, estimé actuellement à moins d’un million de vaches laitières, ce qui est en-deçà des attentes pour le développement de la production locale.
En aval de la production, en dépit d’une production locale qui avoisine les 4 milliards de litres par an, la collecte, elle, ne dépasse pas les 25% de ce volume. A cet égard, les écueils ne sont pas des moindres au niveau de la collecte et de la transformation. Si les collecteurs regrettent l’absence de mesures incitatives, vu l’amenuisement de leur marge bénéficiaire avec la hausse des coûts (carburants, pièces de rechanges, etc.), les unités de production, quant à elles, ne manifestent pas un grand intérêt pour l’intégration du lait cru dans le processus de transformation en raison de son prix de revient jugé excessif.
C’est enfin à tous les niveaux que la filière nécessite des réformes avec l’introduction de nouveaux modèles plus modernes et moins coûteux pour une meilleure rentabilité.
M. N.
Les mesures prises par le ministère de l’Agriculture au profit de la filière lait dès cette année 2022
- Délivrance d’autorisations pour l’importation de vaches laitières.
- Promulgation d’un décret spécial interdisant fermement l’abattage de vaches dont l’âge est moins de 7 ans, avec l’application vigoureuse de la loi contre les éventuels contrevenants.
- Mobilisation d’enveloppes financières destinées spécialement à l’importation de vaches laitières dans le but de créer de pépinières de génisses locales pour l’augmentation, à l’avenir, de la production laitière et de viandes rouges.
- Mise en place d’un dispositif de surveillance sanitaire, mobilisant tous les services vétérinaires, pour assurer le suivi des animaux importés et leur vaccination contre la fièvre aphteuse.
- Assurance obligatoire des cheptels importés.
- Le volume des importations est défini en fonction de la demande exprimée par les opérateurs privés, à savoir une moyenne de 20.000 têtes par année au minimum.
Alimentation animale : Quelle alternative pour en finir avec l’importation des intrants?
Les efforts consentis ou à consentir pour la modernisation de la filière des productions animales ne doivent assurément pas être réduits à la multiplication des fermes d’élevage ou l’importation d’animaux de reproduction.
Lorsque dans une précédente intervention, le PDG de l’ONAB (Office national des aliments de bétail), organisme public chargé de l’approvisionnement et de la régulation du marché des produits destinés à l’alimentation animale (équivalent de l’OAIC pour les céréales destinées à l’alimentation humaine), faisait état de l’importation par l’Algérie d’une moyenne de 40 millions de quintaux de maïs et de 12,5 millions de quintaux de tourteaux de soja, pour une enveloppe financière de 1,2 milliard de dollars par année, il est clair que l’un des enjeux de la rénovation tant recherchée pour cette filière se situe au niveau de l’alimentation.
Parce que, avec une facture d’importation d’une telle ampleur, il est difficile, voire illusoire, d’aspirer au challenge de la rentabilisation de la filière, les coûts de revient étant élevés.
Pour en finir avec ou, du moins, pour réduire cette forte dépendance aux marchés mondiaux d’intrants destinés à l’alimentation animale, il n’y a pas meilleure alternative que le pari de la substitution par des produits disponibles localement et la modernisation des appareils de productions (unités de transformation).
Le challenge des produits locaux
Pour ce faire, les spécialistes en la matière convergent sur l’existence au niveau local d’un potentiel en mesure de permettre de relever ce défi. Interrogé à cet égard, l’ingénieur agronome, Djamel Belaïd, avec un ton manifestement affirmatif, estime que «la recherche agronomique locale a montré la possibilité d’intégration de matières premières locales, comme l’orge, le triticale ou la féverole et de sous-produits des industries agro-alimentaires, (issues de meunerie, drêches de brasserie, grignons d’olives)».
L’adoption d’une nouvelle démarche pour cette branche d’activité comprenant cette alternative de mise en valeur de ces intrants disponibles sur le marché local ne sera que bénéfique lorsque l’on sait que, d’ores et déjà, d’autres actions sont menées ces dernières années pour la production de maïs dans le grand sud, avec des opérations expérimentales qui, décidément, ont donné des résultats probants.
Pour la saison 2020-2021, l’ONAB a misé sur la mobilisation de près de 9.000 hectares dans les périmètres agricoles d’Adrar, Ghardaïa et El Oued, pour la culture du maïs, pour des rendements escomptés pouvant atteindre 350.000 quintaux, soit des rendements de près de 40 quintaux/hectares.
Une relance efficace de la filière des productions animales passe ainsi inéluctablement par la maîtrise de l’alimentation, l’un des maillons stratégiques de la chaîne.
M. N.