Production nationale des hydrocarbures : en baisse depuis 10 ans !

Abdelmadjid Attar, le ministre de l’Energie, a fait état à l’APN le 20 décembre dernier, d’un niveau de baisse de la production des hydrocarbures de 8% à 143 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP), cette année. M. Attar, a-t-il ainsi, confirmé qu’il y a recul tendanciel, voire structurel, de la production des hydrocarbures en Algérie ? La question mérite, en tous les cas, d’être posée, sachant que ce reflux se poursuit depuis au moins une décennie.

Par Hakim Outoudert

En effet, selon les derniers chiffres de l’Office national des statistiques (ONS), communiqués à l’été 2020, cette tendance à la baisse de la production des hydrocarbures s’est précisée pour les années 2018 et 2019, alors qu’elle avait commencé en 2008. L’ONS, allant dans le détail, avait énoncé en juillet de l’année en cours, que la baisse avait concerné  la branche des hydrocarbures qui a reculé de 3,3% au 1er trimestre de l’année 2020 par rapport à la même période de l’année dernière. Un reflux que l’office attribue à «une baisse de 3,9% de la branche pétrole brut et gaz naturel et une chute de 11,9% de celle de liquéfaction du gaz naturel», concluant que  le secteur de l’Energie, dans son ensemble, a accusé une baisse de 1,2% durant la période citée. Pour ce qui est des années 2018, 2019, la même tendance est observée, affirme la même source.

Conséquence logique de cette situation de baisse de production, celle des exportations algériennes des hydrocarbures. Le ministre de l’Energie en a fait également état samedi dernier à l’APN, confirmant une «forte baisse des exportations» et partant, des recettes qui vont se stabiliser en 2020, autour des 22 milliards de dollars, soit une baisse de 33% par rapport à l’année précédente, a-t-il fait savoir, ajoutant que le volume des exportations s’établira à la fin de l’année à 82 millions TEP.

Causes

Ces contre-performances de l’industrie nationale des hydrocarbures, qui durent depuis plus d’une décennie, sont liées selon nombre d’experts, à divers facteurs.

Des facteurs, dont, essentiellement, le vieillissement des gisements qu’exacerbe, la non-mise en valeur de nouveaux sites et/ou, le déficit criant en matière de découvertes de ces mêmes gisements exploitables et commercialisables. Situation des plus inquiétantes, si l’on se réfère à des chiffres qui donnent froid dans le dos. Ainsi, selon des données communiquées par la presse l’été dernier, 60% des réserves initiales d’hydrocarbures du pays étaient épuisées alors que ce taux devra atteindre 83% à l’horizon 2030 ! (1)

 Autres données non moins inquiétantes, celles qui estiment le niveau des découvertes de gisements d’hydrocarbures à «moins de la moitié» de la moitié de la production extraite, soit un taux de renouvellement d’à peine 46,36 %. Les mêmes sources affirment, par ailleurs, que «depuis 2008, (à 2013 Ndlr), au total, 36 blocks ont été proposés par ALNAFT, l’agence publique chargée d’organiser les enchères, mais seulement 9 ont été octroyés. Notons que ces chiffres datent de 2013 et ne semblent pas avoir, à l’évidence, beaucoup évolué depuis…»(2)

Autre cause du reflux tendanciel de la production et des exportations algériennes d’hydrocarbures, la question des problèmes de gouvernance qu’accuse la compagnie nationale, Sonatrach, depuis au moins une décennie. Les experts en effet, y relève la préjudiciable «valse de p-dg» au sein de la direction de la société, s’accommodant mal avec une nécessaire stabilité des stratégies et politiques industrielle et commerciale de la compagnie.

Il faut, également, citer le peu d’engouement des compagnies étrangères vis-à-vis de l’investissement dans le secteur national des hydrocarbures, en dépit d’un substantiel assouplissement de la loi sur les hydrocarbures entamé dès 2005 et approfondi en 2019.

 Et comme un malheur ne vient jamais seul, la pandémie du coronavirus s’est mise de la partie, pour rendre la vie un peu plus dure à Sonatrach qui a dû réduire de quelque 50%  son plan d’investissement…

2021, une bonne année ?

Au chapitre des bonnes nouvelles, tout de même, des prévisions plutôt optimistes pour 2021, énoncées par Abdelmadjid Attar. Le ministre de l’Energie a ainsi prévu, lors d’un entretien accordé à l’agence de presse et magazine international Bloomberg, en début de semaine,  une hausse de 12%  des exportations nationales en hydrocarbures, avec un volume total de 92 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP).

«Pour l’année 2021, une production primaire d’hydrocarbures attendue de près de 188 millions de TEP et un niveau d’export de l’ordre de 92 millions de TEP, en hausse de 12% par rapport à 2020», a-t-il, en effet, précisé. Il se félicitera, par ailleurs, d’un marché pétrolier mondial durant la même année 2021 qui devra être meilleur à partir du mois de février, estimant, que le pic des contaminations  de la seconde vague de la pandémie ayant été dépassé dans beaucoup de régions, la demande pétrolière en Asie, notamment en Chine et en Inde, continuera, par conséquent,  d’évoluer de manière favorable. Des perspectives d’autant plus probables, semble-t-il, que les cours du brut sont à l’heure actuelle boostés par la campagne de vaccination à l’échelle internationale, donnée qui, d’ailleurs, donne des couleurs à d’autres produits économiques au niveau des Bourses mondiales. Les cours de l’or noir «continuent d’être soutenus par la campagne de vaccination et les progrès vers de nouvelles mesures d’aide aux États-Unis», a estimé dans une note Christin Redmond de Schneider Electric. «Le plan de relance de presque 900 milliards de dollars est moins ambitieux que celui voté plus tôt cette année, mais il vise à soutenir l’économie américaine et pourrait, par extension, donner un coup d’accélérateur à la demande en brut et en produits pétroliers», précise l’experte.

L’incontournable transition énergétique

Une note d’optimisme qui, cependant, n’en serait sûrement pas une pour nombre de spécialistes et d’experts qui y verraient, plutôt, l’expression de l’incorrigible «mentalité rentière» de l’élite économique du pays, se satisfaisant encore et toujours des évolutions positives des facteurs exogènes quant à leur impact sur notre économie qui campe, décidément donc, dans sa posture passive. Un dépit que manifesterait un Mourad Preure, par exemple, expert international en énergie, partisan d’un «renversement de perspective stratégique» dans le sens d’une «insertion active dans l’économie mondiale», ainsi qu’il l’a développé dans un récent entretien à Eco Times. «Nous devons opérer un renversement de perspective stratégique et viser une insertion active dans l’économie mondiale, par nos entreprises, nos ressources intellectuelles, et non une insertion passive par, seulement, l’exportation de nos ressources en hydrocarbures. L’Etat doit s’imposer comme un Etat stratège, grand ordonnateur du développement industriel, scientifique et technologique», pense l’expert. Par ailleurs, quand bien même, l’on restreindrait la réflexion sur le secteur énergétique et sa promotion, l’alternative vers le développement du renouvelable, dans le cadre d’une transition énergétique rigoureuse et déterminée, s’avère incontournable pour se sortir de l’hypothétique énergie fossile, selon  la plupart des experts dans le domaine. A l’instar de M. Kamel Aït Chérif, expert international en économie d’énergie, qui, dans l’une de ses récentes contributions à notre journal, s’alarme quant à la croissance exponentielle de la demande interne d’énergie face à une ressource fossile «par définition, finie».

L’expert, en effet, estimant qu’en 2019, pour une population de 43 millions d’habitants, la consommation d’énergie s’est élevée à 65 millions tep, soit 1,5 tep par habitant et par an, en 2030, elle devrait avoisiner les 2 tep par habitant et par an (avec un scénario laisser-faire), pour une population de 50 millions d’habitants et une consommation d’environ 100 millions de tep.

Et M. Aït Chérif, de déduire que face à la croissance permanente de la demande interne d’énergie, «il ne paraît pas possible de maintenir indéfiniment une croissance de l’offre en énergie fossile (pétrole &gaz), dont les ressources sont par définition finies. Le niveau de production d’énergie fossile ne dépend pas uniquement des réserves, mais aussi des investissements engagés».

H. O.

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