L’Algérie mise sur la réhabilitation du liège, en tant que matière première produite de nos forêts, pour en faire, non seulement un produit économique rentable destiné à reprendre, avec plus d’intensité, les voies de l’exportation, mais également en tant qu’élément participant à la promotion et à l’enrichissement de la biodiversité dans les espaces forestiers algériens. Au-delà de la production actuelle estimée à une moyenne annuelle de 60 000 quintaux de liège, l’Algérie se donne des ambitions plus élevées, portées par la stratégie de développement forestier à l’horizon 2035, d’autant plus que les potentialités existent sur le terrain.
Par Amar Naït Messaoud
Dans cette perspective, un projet a été initié depuis 2022 en partenariat avec le Fonds mondial de l’alimentation et de l’agriculture (FAO), avec un appui financier du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) d’un montant de 27 millions de dollars.
Le projet porte l’intitulé de « Projet de réhabilitation et de développement durable intégré des paysages naturels en vue de la production des forêts de chêne-liège en Algérie ».
Dans cet objectif, trois wilayas pilotes ont été désignées : Tlemcen, pour l’ouest, Bejaïa, pour le centre, et Jijel, pour les wilayas de l’est, soit une superficie totale de chêne liège (pour les trois wilayas pilotes) de 22 530 hectares.
Les résultats qui seront obtenus dans les études d’aménagement des subéraies menées sur les trois wilayas seront exploités et dupliqués pour les autres wilayas disposant de forêts de chêne liège.
Si, jusqu’au début des années 1990, la forêt algérienne a produit du bois d’œuvre et d’industrie production complétée par l’importation pour les besoins nationaux-, la vocation essentielle de ce tissu forestier demeure la protection: protection des terres contre l’érosion, protection des bassins versants (particulièrement ceux portant en leur aval un barrage hydraulique), lutte contre la désertification sur les wilayas de la steppe et de l’Atlas saharien.
Sur le territoire de ces dernières (au nombre de 13), un projet de réhabilitation et d’extension du Barrage vert a été lancé en 2023.
Les difficultés que charrient les projets de reboisement sont nombreuses, d’où plusieurs échecs qui se sont échelonnés sur des années.
Au cours de ces dernières années, outre les paramètres techniques et les conflits fonciers lorsque les projets sont menés sur des terrains qui ne font pas partie des anciennes forêts cadastrées-, les opérations de reboisement sont parfois compromises par l’indue-occupation de terrains domaniaux forestiers par des agriculteurs qui ont procédé à leur défrichement.
C’est un phénomène hérité de la période d’insécurité, lorsque l’administration des forêts s’est trouvée désarmée, au propre comme au figuré, face à une occupation rampante du foncier public.
Sur le plan technique, les opérations de reboisement continuent à vivre des aléas liés à la qualité du plan et au protocole de suivi (travaux d’entretien, arrosage, traitement phytosanitaire).
En effet, depuis la phase du ramassage de la graine- en s’assurant de ses performances techniques et de son pouvoir germinatif- jusqu’à la création d’une parcelle de forêt ou d’un bosquet, la chaîne d’intervention humaine et le processus biologique commandent inexorablement la réussite ou non du projet.
C’est là un itinéraire technique que les techniciens algériens et les intervenants directs appellent de leurs vœux en vue de sa réhabilitation afin d’assurer aux investissements publics orientés vers la reconstitution et l’extension du patrimoine forestier le maximum de chances fructification.
UN PATRIMOINE FRAGILE SOUMIS À LA PRESSION ANTHROPIQUE
La monographie forestière algérienne fait état de quelque 440 000 hectares de chêne-liège, soit 11 % de la totalité de la superficie forestière estimée à 4,2 hectares. Cette superficie occupée par le chêne liège est considérée comme étant son aire naturelle.
La matière première qu’est le liège représentait pour l’Algérie, jusqu’au milieu des années 1970, une source de recettes, par l’intermédiaire de son exportation au même titre que le vin et l’orange.
La régression qui le frappera graduellement à partir des années 1980 n’était pas due uniquement à un contexte spécifique touchant tous les produits agricoles et forestiers, mais aussi à une substitution d’une rente naturelle supposée pérenne par une rente, pétrolière, non renouvelable dont l’essor commercial à l’échelle de la planète est si florissant qu’il a fini par reléguer à l’arrière-plan les anciens produits d’exportation.
Les bilans de l’exportation de cette matière pendant la colonisation classent notre pays au rang de premier producteur au niveau mondial.
Les autres pays producteurs sont principalement le Portugal, l’Espagne, l’Italie, le Maroc, la Tunisie et la France.
Actuellement, l’Algérie occupe le troisième rang (7% de la production mondiale) après le Portugal (57%) et l’Espagne (23%).
Le Portugal possède un patrimoine de liège évalué à 700 000 ha (100 000 ha de plus par rapport aux années cinquante), l’Espagne en possède 450 000 ha et le Maroc 350 000 ha.
Sur l’ensemble des matières premières dont dispose l’Algérie, le liège est sans doute le plus le plus fragile vu le contexte écologique, social et économique dans lequel il évolue.
Depuis l’Indépendance, la courbe de la production de liège a subi un mouvement descendant au gré des possibilités d’exploitation, elles-mêmes dé- pendant de la disponibilité de la main-d’œuvre qualifiée, de l’état des peuplements et des potentialités des entreprises de transformations.
Les réserves actuelles sur le terrain sont estimées à 300 000 quintaux/an, alors que les chiffres de l’exploitation effective sont très loin de ce potentiel.
A titre d’exemple, seuls 18 543 quintaux ont été récoltés en 2005 ; la production de 2004 était évaluée à 80 000 quintaux.
En 2011, les forêts algériennes ont produit 47 869 quintaux de liège. En 2021, la forêt algérienne a produit 56 000 quintaux de liège.
En 1940, l’Algérie avait produit… 400 000 quintaux. Incontestablement, la régression de la production a touché l’ensemble du bassin méditerranéen, puisque celle-ci s’est stabilisée au cours des dernières années autour de 350 000 quintaux.
Le marché mondial de la production de liège représente 1,5 milliards de dollars dont les deux tiers reviennent à l’industrie des bouchons. Le reste étant constitué de matériaux d’isolation acoustique et thermique, de carrelage (revêtements muraux et décoratifs) et de pièces accessoires de certains dispositifs mécaniques.
Sur le plan de la qualité, on estime que la proportion du liège algérien pouvant être exporté est d’environ 50% du total de la production.
Pour ce qu’elle peut représenter comme valeur marchande, la matière liège fait l’objet d’un intérêt particulier de l’administration des forêts.
En effet, les opérations de repeuplement des forêts de chêne-liège et les actions d’extension des superficies destinées à cette noble espèce constituent actuellement des axes majeurs de la politique de développement forestier, particulièrement dans les wilayas à fort potentiel subéricole : Souk Ahras, Guelma, Annaba, El Tarf, Skikda, Jijel, Tizi Ouzou, Tlemcen.
Indubitablement, les différentes sortes d’agressions qu’a eu à subir l’espace forestier au cours de ces dernières années ont porté un coup dur à des pans entiers de la subéraie.
Incendies, défrichement et coupes illicites ont ainsi crée de grandes clairières à l’intérieur de ce précieux patrimoine, soumis, qui plus est, aux changements climatiques.
Pour remédier à cette dommageable situation et réhabiliter la subéraie algérienne, la direction générale des forêts a élaboré des programmes de repeuplement et de nouvelles plantations dans la plupart des wilayas du Nord où la présence de l’espèce chêne liège est signalée.
LES CONDITIONS D’UN NOUVEL ESSOR
Pour mettre en œuvre ce plan de réhabilitation, l’administration des forêts s’est appuyée sur la pépinière de Guerbès, dans la wilaya de Skikda, spécialisée dans la production de jeunes plants. On ne peut, en effet, réussir un programme de plantation sans avoir réussi au préalable à préparer le lieu de production de plants.
Sachant que l’élevage des glands pose un certain nombre de problèmes techniques, il a été décidé de concentrer tous les efforts des différents acteurs sur une pépinière pour laquelle des moyens techniques modernes ont été mobilisés.
S’agissant de la semence, à savoir les glands de chêne-liège, la pépinière de Guerbès a recours aux approvisionnements qui lui parviennent de toutes les wilayas productrices de liège, des monts de Tlemcen jusqu’à Souk Ahras.
Lors de la campagne de plantation, les conservations des forêts de wilaya, et selon leurs besoins respectifs arrêtés dans les programmes annuels, s’approvisionnent en plants de chêne-liège à partir de la même pépinière.
L’objectif est non seulement de réhabiliter les anciennes subéraies par des opérations de repeuplement, de densification et d’assainissement sylvicole, mais également de faire porter l’ambition de l’extension de l’aire de cette espèce aussi loin que possible.
Cela suppose aussi la nécessité de la relance de l’industrie du liège et de l’organisation des métiers liés à la transformation de cette matière première.
En tout cas, dans la nouvelle stratégie du développement de la filière du liège, la maîtrise du segment amont du processus- à savoir la récolte de glands et la production des plants en pépinière- semble être l’atout qu’il importe de fortifier et de pérenniser.
Les autres maillons de la chaîne- à savoir le transport des plants, leur mise en terre et l’entretien des plantations- ne sont pas moins importants.
A. N. M.