Depuis que la saison des grandes vacances a pointé le nez, le débat est relancé sur le tourisme local en Algérie et les questions ayant trait aux structures d’accueil inadéquates, la hausse des prix pratiqués pour les différentes prestations, le sentiment d’insécurité sur les lieux de loisir ou la prolifération du commerce informel reviennent d’une manière récurrente.
Par Mohamed Naïli
Les regards sont braqués sur l’état du secteur du tourisme, notamment sa gamme de produits destinés aux locaux, et les potentialités dont il dispose pour son développement et sa relance plus particulièrement depuis l’annonce de la réouverture des frontières terrestres avec la Tunisie et l’enthousiasme qu’elle a suscité au sein des ménages à revenus « décents », voire supérieurs, pour se demander pourquoi les touristes algériens sont aussi portés sur des destinations autres que nationales. Si ils sont en effet trois millions en moyenne à visiter la Tunisie chaque année, ce qui représente un tiers des touristes étrangers choisissant ce pays voisin, ce n’est pas seulement pour le plaisir de traverser les frontières mais aussi ce sont les produits et loisirs souhaités qui font défaut, témoignent à l’unanimité de nombreux vacanciers.
En ce qui concerne les prix, une photo d’un ticket de restaurant d’une famille qui a séjourné dans un complexe touristique renommé dans la ville de Mostaganem tournant en boucle sur les réseaux sociaux ces derniers jours, en suscitant déception et colère, résume à elle seule la situation en la matière. Sur ce ticket remis en guise de facture est mentionné noir sur blanc : 2 burgers et un tacos à 1 600 DA l’unité, soit 4 800 DA les trois, des grillades de viande rouge et escalope à 4 300 DA, 3 canettes de Coca-Cola à 1 050 DA et une petite bouteille de jus de fruits à 700 DA, soit un total de 10 850 DA.
Du tac au tac, sur une des pages Facebook où ce ticket de caisse est partagé, un internaute poste un bon de paiement dans un restaurant 4 étoiles dans la banlieue tunisoise où il a payé pour un équivalent ne dépassant pas 10 000 DA pour 3 repas de cuisine gastronomique et non pas de spécialité fastfood, comme c’est le cas dans notre complexe de Mostaganem.
Prix excessifs
Au niveau des structures hôtelières, à des différences minimes d’une wilaya à une autre, les prix sont tous « réajustés » à la hausse dès les derniers jours du mois de mai. Une enquête de l’association de protection des consommateurs évalue les prix pratiqués par les hôtels entre 27 500 et 34 000 DA la nuitée pour une chambre de catégorie « luxe single » et entre 35 000 et 42 000 DA pour une chambre double. Une chambre de type suite pour 3 personnes est affichée entre 50 000 et 56 000 DA. Des prix qui donnent le tournis pour le commun des citoyens dont le revenu mensuel ne peut même pas couvrir une nuitée dans un hôtel.
En conclusion de son enquête, l’association de protection du consommateur reconnait que les prix proposés aux estivants sont excessifs, tout en liant ce problème à la faiblesse de l’offre face à la demande qui explose dès le début de l’été. Laquelle thèse n’est pas moins justifiée étant donné que, certes l’Algérie dispose d’un littoral de pas moins de 1 200 kilomètres mais seulement 14 wilayas côtières, en conséquence, les habitants des 44 autres wilayas sont tous à la recherche de places d’hébergement leur permettant de s’offrir quelques jours de séjours au bord de la mer.
Afin de remédier à la situation en matière d’offres d’hébergement, les ministères du Tourisme et de l’enseignement supérieur ont signé la semaine dernière une convention pour l’exploitation des résidences universitaires sises dans les villes côtières comme lieux d’hébergement pour les vacanciers en provenance des wilayas de l’intérieur. Laquelle mesure qui vient d’être appliquée, dans sa première phase dans la wilaya de Boumerdès où la résidence de Zemmouri, à l’Est de la wilaya, accueille depuis hier des estivants venus de certaines wilayas. Comparativement aux hôtels, les prix proposés pour la réservation de chambres au sein des résidences universitaires sont plus abordables, étant de 12 000 DA pour un séjour de 7 nuitées en demi-pension (petit déjeuner et dîner compris).
En dehors des hôtels, au niveau des plages les conditions d’accueil sont d’une piètre qualité difficilement descriptible, entre anarchie, des bandes de jeunes qui s’autoproclament maîtres des lieux et imposent leur dictat, insalubrité, les familles restent désemparées, avec un sentiment d’insécurité qui envahit les esprits. Aussitôt les pieds posés sur le sable, les familles sont accueillies par une nuée de vendeurs à la sauvette qui prennent d’assaut les plages et leur proposent, pour ne pas dire leur imposent, tous genres de produits et confiseries, location de parasols et chaises avec un ton à la limite du harcèlement.
Pour les voitures, trouver une place de stationnement est un parcours du combattant à travers les artères à proximité des plages, avec un parking sauvage à chaque coin de rue, où l’automobiliste doit débourser entre 200 et 300 DA pour éviter toute tentative de vol ou de dégradation à son véhicule. C’est pourquoi l’annonce par les services de la Sûreté de la wilaya d’Alger de l’éradication de quelque 29 parkings anarchiques à travers les plages de la capitale et le renforcement des sorties de patrouilles de police à travers les lieux de villégiature durant cette saison estivale a suscité un sentiment de soulagement au sein de la population. En plus de ces parkings sauvages, ces sorties se sont soldé aussi par la saisie de « 976 chaises, 436 parasols et plus de 250 tables » destinés sans doute à la location aux familles au niveau des plages.
Tourisme de montagne et thermal
Néanmoins, beaucoup reste à faire pour instaurer un climat de sérénité et garantir aux familles des vacances dans la quiétude. Outre les pratiques dont le but est de soustraire de l’argent aux vacanciers, il y a aussi des comportements qui nécessitent l’intervention de la force publique pour leur éradication. C’est le cas notamment des riverains de plages dans plusieurs régions du pays qui imposent des règles aux estivants, en érigeant par exemple des panneaux de fortune avec inscription « plage interdite aux couples » ou des restaurants qui exigent des tenues vestimentaires qu’ils appellent « correctes », oubliant que les vacances sont synonymes de déballage et de détente.Autant de facteurs contraignants qui poussent les ménages algériens à tourner le dos à l’offre touristique locale et opter pour des destinations étrangères chaque fois que leurs moyennes le leur permettent.
Par ailleurs, pour beaucoup d’observateurs et professionnels du secteur du tourisme, les fortes pressions sur le littoral durant l’été, engendrant des hausses des prix et l’apparition de pratiques de commerce illégal et autres désagréments, s’expliquent par le fait que les consommateurs locaux n’ont pas la culture du tourisme autre que balnéaire. C’est le cas, par exemple du tourisme de montagne ou thermal qui ne suscitent qu’un engouement marginal malgré la multitude de sites à travers plusieurs wilayas et des prestations de qualité qui y sont offertes.
Ce constat ne peut être démenti en se rendant compte de la faible affluence des familles aux stations de Tikjda ou autres sites du majestueux Djurdjura, où la station de Tala Guilef est même tombée en ruine après avoir été la perle du tourisme de montagne durant les années 1970 et 1980. Les stations thermales à Guelma, Sétif ou dans d’autres wilayas, elles non plus, ne connaissent que très peu de succès aux yeux des vacanciers. Décidément une nouvelle culture touristique s’impose afin de donner plus de visibilité sur la diversité dont jouit le secteur.
M. N.