Pr. Ahmed Kettab : «Un Conseil national de la sécurité hydrique, une nécessité à l’horizon 2030»

Pr. Ahmed Kettab : «Un Conseil national de la sécurité hydrique, une nécessité à l’horizon 2030»

Pr Ahmed Kettab est directeur de recherches à l’Ecole national polytechnique d’Alger (ENPA). Etant, notamment, vice président de l’Académie de l’Eau (France), Membre du Conseil d’administration de l’Institut Méditerranéen de l’eau (IME), Membre fondateur du Conseil Arabe de l’Eau, le Pr. Kettab développe une vision globale de la gestion des ressources en eau, prenant en considération les aspects géostratégiques, sociales et même culturelles de solutions liées à la distribution de l’eau, notamment à l’aune des crises inhérentes aux changements climatiques, le recours au dessalement de l’eau de mer, la réutilisation optimale des eaux usées traitées. Ecoutons-le.

Entretien réalisé par Zoheir Zaid

Eco Times : « L’eau pour TOUS, c’est l’affaire de TOUS ». « De l’eau en qualité et en quantité pour tous ». Ce sont vos slogans. Pratiquement comment cela est-ce possible ?

Ahmed Kettab : La gestion des ressources en eau devient actuellement un défi majeur dans le monde entier car les autorités des pays en situation de stress hydrique ont du mal à fournir les quantités minimales requises particulièrement pour les générations à venir.

Les rapports ‘’retrait/approvisionnement’’ ou/et « offres/demandes » augmentent continuellement dans les ré- gions où les scénarios de gestion les plus optimistes prédisent de graves fléaux hydriques.

En Algérie, malgré les progrès importants depuis le début des années 2000 pour améliorer l’accessibilité et la qualité de l’eau, les potentialités actuelles doivent encore être réévaluées afin d’assurer un approvisionnement durable.

Sinon, des épisodes critiques seraient hautement prévisibles ; particulièrement à l’ouest du pays et même au centre (les ressources en eau non conventionnelles deviennent une alternative inévitable et obligatoire, qui devrait être envisagée. A ce titre une nouvelle stratégie, dans le cadre d’une vision 2025/2030/2050 et pourquoi pas 2100. Je vous en livre une partie.

Dans le monde, l’eau couvre environ 72% de la planète, soit 1.4 milliards de km³, d’où l’appellation de la terre de planète bleue. Dans toute cette eau, 97.2% est de l’eau salée et seulement 2.8% est de l’eau douce. Et dans ces 2.8% d’eau douce, seulement 10% est facilement utilisable, soit 0.28% du total.

Cela montre que dans le monde, la quantité d’eau douce est très faible et je propose que nous devions la préserver et l’exploiter de façon rationnelle, chacun avec ses moyens et capacités.

Depuis les années 1990, mes interventions et plaidoyers au niveau mondial (Conseil Mondial de l’Eau, Institut Méditerranéen de l’eau (IME), Académie de l’eau (France), Conseil Arabe de l’Eau, Partenariat Français pour l’Eau (PFE), etc.) sont pour le droit à l’eau et assainissement. Ma devise et mes slogans que je défends, comme vous l’aviez rappelé dans votre question : « L’eau pour TOUS, c’est l’affaire de TOUS », et « De l’eau en qualité et en quantité pour tous ».

Nous devons commencer par les aspects juridique et réglementaire. Premièrement en faisant référencer aux articles 21-4 et 63-1 de la Constitution algérienne de 2020, qui disposent respectivement : Art. 21-4 :  » L’Etat veille à l’utilisation rationnelle de l’eau » Art. 63-1 :  » L’Etat veille à assurer au citoyen : l’accès à l’eau potable et à sa préservation pour les générations futures. »

« Le programme du gouvernement répond bien aux principes de la constitution Algérienne et aux 54 engagements du programme électoral du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, dont particulièrement le point 30 qui instruit de : « Mettre un terme définitif aux ruptures d’eau et garantir à tous les citoyens l’accès à l’eau potable sur l’ensemble du territoire national à travers une mobilisation plus efficace des ressources hydriques et la rationalisation des moyens de distribution et d’utilisation de l’eau ».

La loi n° 05-12 du 4 août 2005 relative à l’eau, quant à elle, est structurée en dix titres. Dans cette loi, l’article 03 spécifie que « les principes sur lesquels se fondent l’utilisation, la gestion et le développement durable des ressources en eau sont:- le droit d’accès à l’eau et à l’assainissement pour satisfaire les besoins fondamentaux de la population dans le respect de l’équité et des règles fixées par la présente loi, en matière de services publics de l’eau et de l’assainissement;- le droit d’utilisation des ressources en eau, dévolu à toute personne physique ou morale de droit public ou privé, dans les limites de l’intérêt général et dans le respect des obligations fixées par la présente loi et les textes réglementaires pris pour son application. »

D’ores et déjà, je recommande de revoir complètement la loi de 2005, notamment en matière de la Police des Eaux, Autorité de régulation, le Conseil national de l’eau, etc. Je propose de la rendre conforme à la Constitution de2020 et des exigences de développement des aspirations de la ‘’Nouvelle Algérie’’.

N’est-il pas aussi judicieux de renforcer en moyens matériels et humains nos organismes chargés de la gestion de l’eau, tels que Société des eaux et de l’assainissement d’Alger (Seaal), l’Algérienne des eaux (ADE) afin qu’elles assurent convenablement leurs missions, en amont et en aval de la distribution de l’eau ?

Oui, il est nécessaire de donner plus de moyens matériels et humains pour assurer leurs missions, mais ce qu’il faut surtout, c’est faire la formation à tous les niveaux, la gestion, le management, moderniser la gestion des ressources en eau, Il faut aussi, l’utilisation rationnelle des moyens existant.

Je reprends ici vos propos : « Il faut une révision de la grille tarifaire dans le respect des standards internationaux, les salaires des Algériens, tenant compte du SMIG et des bas revenus, et bien sûr de la consommation. » Concrètement ?

Le prix de l’eau doit être à sa juste valeur. La tarification de l’eau à sa juste valeur est un moyen d’optimiser et même d’augmenter la ressource en eau, à travers de réelles économies pour tous.

Pour l’exemple : l’eau produite par la station de dessalement d’eau de mer revient en moyenne à 120-150 DA/m3à l’achat et à environ 150 à 200 DA/m3au robinet du consommateur ; alors que la première tranche (inférieure à 25 m3/trimestre) n’est facturée qu’à 8,65 DA le m3 depuis 2005. Une augmentation juste de 01 DA/an/m3 pendant ces 20 dernières années aurait donné un prix de l’ordre de 30 DA/m3 en 2024.

Tarification actuelle

Il faut une révision de la grille tarifaire dans le respect des standards internationaux, les salaires des Algériens, tenant compte du Salaire minimale interprofessionnel garanti ou SMIG et des bas revenus et, bien sûr, de la consommation.

Je propose aussi l’application d’un tarif solidarité eau (tadhamoun mâaîi) en accordant gratuitement les 9m3 par trimestre à chaque citoyen (Norme OMS pour quantité minimale pour boire et satisfaire ses besoins d’hygiène).

Un tarif social de 21m3/trimestre à un prix très raisonnable. Un tarif normal de 20 m3/trimestre avec subvention de l’état. Un tarif confort : les consommations supérieures à 50mᵌ/trimestre payeront le prix réel de l’eau de telle sorte à garantir équité et justice ; de mettre à contribution les grands consommateurs d’eau et surtout éviter les gaspillages de cette ressource rare et faire des économies d’eau.

Cette tarification tendrait à économiser beaucoup plus cette eau rare, et assurer un équilibre budgétaire des entreprises de distributions de l’eau.

Il va de soi que le secteur industriel et le secteur de l’agriculture qui sont des secteurs économiques, payeront le prix réel de l’eau. Des subventions, aides, prêts bancaires pourront être faites pour l’utilisation de techniques d’irrigations consommant peu d’eau.

Avec cette nouvelle tarification, nous verrons très certainement plus d’eau disponible pour les années à venir pour tous les secteurs d’activités, y compris les activités récréatives.

Cette tarification tendrait également à économiser beaucoup plus cette eau rare et assurer un équilibre budgétaire des entreprises de distributions de l’eau.

Il va de soi que le secteur industriel et le secteur de l’agriculture qui sont des secteurs économiques payeront le prix réel de l’eau.

Des subventions, aides, prêts bancaires pourront être faites pour l’utilisation de techniques d’irrigations consommant peu d’eau. Avec cette nouvelle tarification, nous verrons très certainement davantage d’eau disponible pour les années à venir pour tous les secteurs d’activités, y compris les activités récréative.

J’ai fait une étude sur le sujet et je suis prêt à la discuter, partager avec qui de droit.

1ere partie

Quitter la version mobile