Pr. Ahmed Kettab : «Un Conseil national de la sécurité hydrique, une nécessité à l’horizon 2030» (2e partie)

Pr. Ahmed Kettab : «Un Conseil national de la sécurité hydrique, une nécessité à l’horizon 2030»

Pr Ahmed Kettab est directeur de recherches à l’Ecole national polytechnique d’Alger (ENPA). Etant, notamment, vice président de l’Académie de l’Eau (France), Membre du Conseil d’administration de l’Institut Méditerranéen de l’eau (IME), Membre fondateur du Conseil Arabe de l’Eau, le Pr. Kettab développe une vision globale de la gestion des ressources en eau, prenant en considération les aspects géostratégiques, sociales et même culturelles de solutions liées à la distribution de l’eau, notamment à l’aune des crises inhérentes aux changements climatiques, le recours au dessalement de l’eau de mer, la réutilisation optimale des eaux usées traitées. Ecoutons-le.

Vous plaidez pour un Conseil national de sécurité hydrique (CNSH). Quel est son rôle et pourquoi vous pensez qu’il apportera un plus à gestion de l’eau en Algérie ?

Mettre en place un Conseil national de la sécurité hydrique (CNSH) est une nécessité absolue pour l’horizon 2025/2030, et qui sera placé directement sous l’autorité de la Présidence de la République et composé d’une cinquantaine de compétences algériennes es-qualité.

Le CNSH vient ainsi parachever la politique de l’Etat en renforcement des secteurs de l’Energie, la Santé, la Recherche scientifique et, à postériori, la sécurité alimentaire, qui toutes, sauf le dernier cité, ont déjà leur Conseil.

Le CNSH est chargé de définir les grandes orientations de la politique nationale de l’eau et l’agriculture ; évaluer la politique nationale de l’eau et de l’agriculture : ses choix et ses retombées, ainsi que l’élaboration de mécanismes d’évaluation et de suivi de leur mise en œuvre.

Ce conseil aura beaucoup de prérogatives, missions, et surtout de solutions pour le futur et j’ai déjà un projet de texte de création « Conseil National de la Sécurité Hydrique « CNSH» et un plan d’action pour ce conseil.

L’Algérie est exposée au stress hydrique, des chiffres l’attestent. D’où, selon vous, le recours aux eaux souterraines, la nappe albienne précisément. Pourquoi y recourir ?

La Méditerranée, bien commun pour tous les pays des alentours, dont le bassin Méditerranéen contient près de 60% de la population mondiale pauvre en eau, avec moins de 1000 m3 d’eau/habitant/an.

Les Pays du Sud de l’Europe et ceux du sud méditerranéen sont dans une situation de stress hydrique; les demandes en eau dans ces pays sont de plus en plus grandes et l’augmentation à l’horizon 2025/2050 est de l’ordre de 20 à 35% au vu de certains indicateurs (changements climatiques, démographie, développement, etc.)

Il est à noter que le stress hydrique est une réalité tangible en Méditerranée, mais aussi dans le monde ; et la situation va empirer de plus en plus dans le futur, si nous ne faisons rien pour la stopper. Nous pouvons dire qu’on est en tension hydrique soit moins de 1700 m3/hab./an, (en pénurie entre 1000 et 1700 m3/hab./an ; en rareté à moins 1 000m3/hab./an, en rareté absolue à moins de 500m3/hab./an).

La majorité des pays du Sud méditerranéen sont en stress hydrique, particulière- ment l’Afrique du Nord. L’Algérie, donc, n’est pas épargnée par cette situation. Pour lutter contre le stress hydrique en Algérie, il y a plusieurs grandes actions (solutions) à faire, dont le dessalement bien sûr.

Ces actions sont :
Faire une gestion rationnelle tenant compte des quelques propositions non exhaustives et citées ci-dessous, en plus de dessaler les eaux de mers : technologie à acquérir et faire confiance aux potentiels des entreprises algériennes, faire la formation et la recherche, fabriquer certains équipements de ces stations de dessalement.

A cela s’ajoutent :
Minimiser les pertes dans les réseaux d’eau potable (passer de 50 % de pertes actuelles à 10% en 2024/2030) Appliquer une tarification juste et équitable pour tous à travers une nouvelle tarification (Eau potable ; eau agriculture, eau industrielle). J’ai une étude toute prête que j’ai finalisée sur la tarification en Algérie avec un projet de texte.

Traiter les eaux industrielles et les réutiliser (pas uniquement les eaux usées domestiques).

Lutter contre l’envasement des barrages : chaque année 30 à 40 millions de m3 d’eau perdus.

Créer un conseil national de stratégie de l’eau composé d’une cinquantaine d’expert, indépendants pour définir la stratégie et la vision de l’eau à l’horizon 2050 (équivalent conseil national de la recherche scientifique ; haut conseil à l’énergie ; ou agence sur la santé) dépendant du président de la république.

Créer un Centre de recherche sur l’eau.

Créer des structures de réflexions, d’analyses et de prospectives (think tank)

A ce titre, une nouvelle vision et stratégie de l’eau en Algérie visent en premier lieu à valoriser plus les expériences rentables, et en deuxième lieu, à donner une nouvelle impulsion, un nouveau souffle aux efforts déployés par les pouvoirs publics en matière d’économie de l’eau, de bonne gestion et de rentabilité.

Et en ce qui concerne la nappe albienne… ?

L’élaboration d’une étude complète sur les ressources en eau, et la mise en place d’un mécanisme de concertation sont les ob- jectifs principaux pour une bonne gouvernance des eaux souterraines transfrontalières.

Les résultats obtenus ont permis une forte capitalisation de l’information et instauré une véritable dynamique d’échange entre les pays, se traduisant notamment par un processus quasi-consensuel sur l’exploitation des ressources et la durabilité du développement dans le bassin.

Les partenaires des trois pays sont les ministères en charge des Ressources en eau, l’Agence nationale des Ressources Hydrauliques (ANRH Algérie), la Direction Générale des Ressources en eau (DGRE Tunisie) et la General Water Authority (GWA Libye).

Cependant, l’échelle à laquelle a été réalisé le modèle, le budget alloué et le temps imparti n’ont pas permis de prendre en charge les incertitudes ainsi que les don- nées extra-hydrauliques en vue d’élaborer une gestion intégrée à l’échelle du bassin.

La nécessité de compléter l’étude s’est imposée (intégration des données socio-économiques et environnementales, aspects hydrauliques, structure permanente de concertation,…).

Il convient de gérer les ressources en eau souterraine de façon intégrée afin de garantir la durabilité de l’écosystème et de l’eau. La gestion des bassins versants liés à des eaux souterraines doit être associée étroitement à la gestion des ressources en eau du bassin hydrographique.
Nous donnerons quelques chiffres indicateurs pour monter l’importance des ressources en eau souterraine.

Lors du Sommet ONU-Eau sur les eaux souterraines 2022 à UNESCO Paris, “Eaux souterraines : Rendre visible l’in- visible”, il a été relevé que dans le monde 99% des ressources en eau douces sont souterraines et seulement 1% de l’eau douce est superficielle.

En Afrique : 660 000 Milliards d’eau sou- terraines et seulement 4000 Milliards de m3 en eau de surface. Quant à l’Afrique du Nord : il y a 357 355 milliards de m3 d’eau souterraines et 91 milliards d’eau superficielles.

En Algérie : nous pourrons dire/estimée que notre pays possède 80 000 à 100.000 milliards d’eau souterraines, et 10 à 12 milliards m3 d’eau superficielles.

Les 81 barrages en Algérie ont une capacité de l’ordre de 8 à 9 milliards de m3. Ces dernières années, ces barrages se remplissent à moins de 50% en raison des changements climatiques et d’autres paramètres.

Il faut savoir :
608 systèmes aquifères transfrontaliers dans le monde.
83 systèmes aquifères transfrontaliers en Afrique.
Seuls 09 aquifères transfrontaliers sont régis par une convention/institution commune dans le monde.
83 Systèmes aquifères transfrontaliers en Afrique, sur 608 dans le monde.
80 bassins-versants transfrontaliers en Afrique sur 276 dans le monde.

Pour résumer, il y a peu de conventions pour les aquifères transfrontaliers dans le monde et les bassins versant transfrontaliers, et je peux dire que les risques de conflits, de guerres, de tensions seront de plus en plus grands, si des efforts ne sont pas fait au niveau mondial par qui de droit Ces informations sont recueillies lors du forum méditerranéen de l’eau en février 2024 à Tunis.

Les eaux souterraines viennent de voir la signature d’une convention importantes entre l’Algérie, la Tunisie, et la Libye entre les ministères concernés des 03 pays, et ce, suite à la réunion portant de création d’un mécanisme de concertation sur la gestion des eaux souterraines trans- frontalières.

Cet accord a été fait, suite au sommet entre les Présidents Abdelmadjid Tebboune (Algérie), Kaïs Saïed (Tunisie) et Mohamed Younes El-Menfi (Libye) en Avril 2024.

Je recommande donc, et dès maintenant, l’élaboration de nouvelles conventions avec les pays voisins partageant avec nous des ressources en eaux superficielles et/ou souterraines afin que cette eau commune soit source de coopération, de paix et de développement durable mutuel.

Et au sujet du dessalement des eaux de mer ?

L’Algérie dispose de quatorze (14) stations de dessalement d’Eau de mer pour une capacité installée de 2 325 000 de m3/j.

Il est prévu à l’horizon 2025, cinq (05) stations de dessalement de 300000 m3/j chacune, et entre 2025-2030, six (06) stations de dessalement d’une capacité de 300000 m3/j chacune.

Ces stations vont alimenter les 19 wilayas sur toute la bande du littorale jusqu’à l’intérieur du pays avec une profondeur de 150 Km/200km permettra de réduire la sollicitation des eaux superficielles.

A l’horizon 2030, nous aurions 25 stations de dessalement qui alimentera 60 % de la population Algérienne, avec une capacité de 5 625 000 m3/jour, ou 02 milliards/an.

L’Algérie dispose actuellement plus d’une vingtaine de stations de déminéralisation (dessalement des eaux saumâtres) pour une capacité de traitement globale de plus de 200 000 m3/j.

Il faut dire que le dessalement des eaux de mer est une nécessité et obligation à l’heure actuelle, mais il ne faut pas miser que sur cela. Car, aussi, sur la totalité des besoins en ressources en eau dans le futur, le dessalement n’occupera qu’entre 15 à 25% maximum.

Je pense qu’à l’horizon 2030, nous devrions traiter toutes les eaux usées rejetées, et surtout les réutiliser à 100%. Ceci est l’une de vos recommandations. Pour ce faire, comment faut-il procéder ?

Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a relevé l’importance des eaux usées et leur réutilisation. Savez- vous que 80% des eaux potables consommés sont rejetées, et que nous consommons 9 à 10 millions de m3/j ; soit 3.5 milliards de m3/an ?

Nous rejetons plus de deux milliard de mètres cube par an, et que seulement 5% de ces eaux usées sont réutilisés pour l’irrigation.
Nous devons donc traiter toutes les eaux usées et les réutiliser en agriculture, industries, loisirs, etc.

Le Président Tebboune a déclaré qu’à moyen terme, nous devons réutiliser 60% des eaux usées traité, décision très juste et sage.

Je pense qu’à l’horizon 2030, nous devrions traiter toutes les eaux usées rejetées, et surtout les réutiliser à aux moins 80%. Pour cela un plan d’action, avec objectifs et échéancier clair doit être fait et responsabiliser les ministères et institutions responsables.

Peut-être pour ce problème d’eaux usées, il faudra créer une Agence Nationale de Valorisation des Eaux Usées (ANVEU), comme cela a été fait, en 2023, avec la création de l’Agence Nationale de dessalement des eaux de mer, dépendant du ministère de l’Hydraulique.

Il est à noter qu’à l’horizon 2030, nous pourrions facilement avoir plus de 02 mil- liards de mètre cubes d’eaux usées traités et réutilisé (en 2024, il y a plus de 210 systèmes d’épuration) pour les différents usages agricoles et industriels.

Si le programme et la volonté du Président Tebboune sont exécutés, à savoir réutiliser 60 % des eaux usées traités, nous aurions fait un bon en avant important.

Pour conclure, depuis plus de 20 ans, mes slogans au niveau international et national sont :
1- De l’eau en qualité et en quantité pour tous : économisons-la.
2- L’eau pour tous est l’affaire de tous, préservons-la.

Les ressources en eau existent, les solutions existent et j’ai un plan d’action, une vision pour l’horizon 2025/2050 avec une quinzaine de grandes actions, contenant une centaine de propositions et d’actions concrètes. Si ce plan est exécuté par qui de droit, le stress hydrique sera oublié en Algérie.

Je ne pourrais détailler ici toutes ces actions et propositions, car cela prendrait des pages et des pages. Le moment venu, mes solutions seront exposées aux hautes autorités Algériennes et mises en application.

La création d’un Conseil national de la sécurité hydrique (CNSH) est indiquée pour concrétiser ce qui a été proposé ci-dessus.

Z. Z.

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