Les exportations hors hydrocarbures sont en baisse depuis quelques années ne représentant que 9, 8 % du volume global des exportations algériennes, estimées à 24 milliards de dollars. Cette baisse n’a nullement découragé le ministère du Commerce qui, par la voix de son secrétaire général, annonce que les exportations algériennes hors hydrocarbures pourraient atteindre les 5 milliards de dollars (USD) d’ici fin 2021. Un objectif qui serait «une gageure» pour les économistes qui expliquent que si le paiement de la dette par anticipation, la constitution d’un fonds de réserves et surtout, la forte volatilité des prix des hydrocarbures, ont permis à l’Algérie, à court terme, d’éviter un scénario catastrophe similaire à celui qu’elle a connu en 1986, réaliser cet objectif demande en amont une restructuration structurelle, que l’Algérie n’ a pas encore effectuée.
Par Réda Hadi
Ces derniers, jugent, donc, l’objectif «trop ambitieux et pas dans nos moyens». En effet, pour eux, nous sommes toujours enchevillés aux hydrocarbures et n’avons pas encore atteint notre indépendance vis à vis des énergies fossiles, avec, en sus, une prédominance de 5 grands exportateurs qui représentent plus de 70% de nos EHH (exportations hors hydrocarbures). Des exportations qui, selon ces données établies par la direction des études et de la prospective des Douanes (DEPD), concerneraient principalement ceux opérant dans les produits de l’urée, des solvants, de l’ammoniac et des sucres.
Pour sa part, le secrétaire général du ministère du Commerce précise qu’« en dépit des conséquences de la crise sanitaire du Covid-19, nous avons pu multiplier les actions d’exportations hors secteur des hydrocarbures, ce qui nous permettra de réaliser un montant entre 4,5 à 5 milliards USD d’ici la fin de l’année».
Des propos que des économistes, comme Billel Aouali, jugent trop optimistes et irréalisables en quelques mois, «car les fondements de base pour exporter ne sont pas encore établis. Une exportation ne se décide pas au vu d’une conjoncture économique, et encore moins, sur des projections politiques», ajoutant aussi, qu’ «il y a des règles pour exporter, or, l’Algérie ne les possède pas. Commençons déjà, par assainir notre climat des affaires, et luttons contre la bureaucratie qui nous empoisonne et freine tout élan économique» a-t-il conclu.
L’optimisme du ministère du Commerce n’est pas, non plus, partagé par Nabil Djemaa, expert agréé en économie, qui juge cet objectif «démesuré et irréalisable» surtout, car «nous ne respectons aucun critère pour exporter. Il ne suffit pas juste de l’annoncer pour que cela soit réalisable», (voir entretien, ci-contre).
Pour leur part, des observateurs soulignent que l’analyse de la structure de l’économie algérienne, démontre une forte dépendance à la rente pétrolière. Cette équation est facile à appréhender lorsque l’on constate que notre économie est plus rentière qu’elle n’est productive et efficace. L’économie algérienne est une économie à faibles performances dont les finances dépendent, essentiellement, des recettes d’hydrocarbures.
Par ailleurs, tous sont unanimes à dire que la bureaucratie, le manque de réactivité, l’incompétence de certain bureaucrates, le manque de prévisions fiables, le manque de statistiques sures, alliés à des incohérences décisionnelles, ne permettent nullement l’atteinte de cet objectif. R.H.
Nabil Djemaa, expert en économie :
«L’objectif des 5 milliards de dollars est utopique»
L’annonce faite par le secrétaire général du ministère du Commerce que l‘Algérie va pouvoir exporter l’équivalent de 5 milliards de dollars de produits hors hydrocarbures, a laissé dubitatifs l’expert agréé en économie, pour qui ce chiffre n’est qu‘un «effet d’annonce». Dans ce bref entretien, il nous en explique les raisons.
Eco Times : Le secrétaire général du ministère du Commerce vient d’annoncer que l’Algérie va exporter l’équivalent de 5 milliards hors hydrocarbures. Eest-ce réalisable?
Nabil Djemaa : Ce chiffreest irréalisable. Pour atteindre cet objectif, il y a des conditions à mettre en place. Nous n’avons ni les moyens logistiques, ni humains et encore moins, une législation adéquate pour l’atteindre.
C’est-à-dire ?
Pour exporter, il nous faudrait une logistique appropriée, tant humaine (avec les compétences nécessaires) que matérielle (bateaux, trains avions, routes…). A cela, il faut, pour bien exporter, savoir où et quoi. Pour cela, il faut une étude d‘impact et des débouchées sur les marchés visés, et savoir protéger l’exportateur et lui faciliter ses actions.
Comment faciliter les exportations?
Les instructions du Président Tebboune en ce sens, sont claires, mais personne ne les applique. Il faut commencer par créer une plateforme accessible aux exportateurs. Cette plateforme réunira toutes les données nécessaires pour exporter. Il faut créer un guichet unique comme partout dans le monde. Ne sommes-nous pas capables de numériser nos données ? De plus, le repli sur soi des différentes administrations ne joue pas en faveur des exportations. Le manque de coordination, par exemple, entre la banque, les douanes, les impôts et le ministère du Commerce, ne booste en rien les velléités d’exporter. Il faut plus de flexibilité entre tous ces organismes. Il y a trop d’incohérences dans la pratique d’exporter en Algérie. Le discours officiel est différent de la pratique du terrain.
Des exemples ?
Je peux vous en citer des dizaines. Je vous cite l’exemple d’un exportateur à qui on a demandé des certificats de garantie pour un produit périssable. Le temps que celui-ci aille à la chambre de commerce, et se sortir des encombrements, le bateau était parti, et sa cargaison restée au port sous un soleil de plomb ! Une vraie catastrophe ! Si une plateforme existait, cet operateur aurait été au courant, et n’aurait pas eu cette déconvenue dramatique pour lui. Il y a un énorme manque d’informations.
Que faut-il, donc, faire?
Il faut commencer à dépoussiérer nos administrations. Mettre des gens compétents qui maitrisent le dossier et non pas des administratifs. Il faut aussi protéger l’exportateur et lui faciliter ses envois. On doit créer des bureaux de trading et avoir des représentations à l’étranger. Le Président a instruit nos ambassadeurs pour créer des postes d’attaches commerciaux. Ils ne sont pas encore en place. Dans n’importe quelle ambassade, vous pouvez vous adresser à un attaché commercial. Pas chez nous. Pourquoi ?
Je termine en disant que pour exporter, il y a des conditions sine qua non à respecter :
-réactiver la chambre de commerce internationale, fermée depuis des années à cause du refus de son président de partir.
– il faut assainir le climat des affaires
– avoir des textes juridiques adéquats
– des attaches d’ambassades commerciales partout dans le monde
– disposer de statistiques aptes à aider à cerner les marchés et surtout les cibler.
– savoir coordonner tous nos moyens pour mieux réussir
Entretien réalisé par Réda Hadi