Nouvelle loi sur la protection des terres publiques:  La responsabilité des gestionnaires engagée

À travers la nouvelle législation- à savoir la Loi n° 23-18 du 28 novembre 2023 relative à la protection et à la préservation des terres de l’État-, l’Algérie compte instaurer un système de protection plus performant des terres publiques, quelle que soit leur vocation (terres agricoles, forestières, foncier industriel, réserves foncière urbaines,…). Il était temps, diront tous les agents publics chargés de la gestion de ces terres, eux qui étaient dans l’attente d’outils réglementaires plus adaptés afin de juguler, voire de mettre fin aux multiples convoitises menaçant le foncier public.

Par Amar Naït Messaoud

La nouvelle loi relative à la protection et à la préservation des terres de l’État a fait l’objet, depuis sa publication dans le Journal officiel n°76 du 30 novembre dernier, de journées d’étude et de vulgarisation à travers plusieurs wilayas du pays. Les parties impliquées dans la protection des terres publiques (propriété publique et propriété privée de l’État) ont tenu à ce que la loi bénéficie d’un maximum de vulgarisation. Parquet, Gendarmerie nationale, la DGSN, l’Administration des forêts, l’Administration agricole, l’Office nationale des terres agricoles (ONTA), les services des Domaines, le Cadastre, les présidents d’Apc, ont fait des interventions, au cours de ces journées, destinées à renforcer les mécanismes de coordination entre les parties prenantes et à sensibiliser le public à une loi qui se caractérise par un pouvoir de dissuasion jamais égalé, et pour cause. Les atteintes au foncier public ont atteint des proportions qui ont interpellé les hautes autorités du pays. Les dispositifs réglementaires antérieurs n’ont pas pu venir à bout d’un phénomène qui touche à la fois les zones littorales, les plaines agricoles du Tell, les espaces forestiers et les zone urbaines et périurbaines. Sur ces dernières, les constructions illicites et anarchiques connaissent leur plus fort taux. Certaines opérations « coup de poing »- consistant en la démolition pure et simple de constructions illicites- menées par les autorités locales, comme celle effectuée il y a quelques mois sur la côte ouest de Béjaïa, montrent l’ampleur du phénomène dans sa grandeur nature. 

Au cours des années 90’ et début 2000, le détournement et la dilapidation du foncier avaient constitué un thème de prédilection pour les acteurs politiques de l’époque, sans qu’une lumière eût pu s’introduire dans le dossier. Aussi bien dans les argumentaires politiques développés par les membres des gouvernements qui se sont succédé et les quelques partis politiques qui se sont intéressés à la problématique du foncier, que dans l’ambition stratégique- nourrie par les professionnels et les investisseurs- tendant à préserver les terrains à vocation agricole, industrielle, urbanistique ou touristique, en tant que supports des investissements alternatifs que l’Algérie est appelée à développer afin de faire sortir le pays de l’insoutenable dépendance par rapport aux  hydrocarbures, la prise en charge de la protection des terres publiques n’avait pas bénéficié d’outils réglementaires efficaces. Les quelques dossiers instruits par la justice- dans le pénal, le civil ou l’administratif- étaient caractérisés par la lenteur et, parfois, par des flous juridiques liés au cadastre.

Une nouvelle « philosophie » législative 

La nouvelle loi promulguée en novembre dernier précise qu’elle s’applique aux «terres de l’État », à savoir celles relevant du domaine national, comportant le domaine public et privé de l’État et les domaines publics et privés des collectivités locales. Dans son premier article, il est précisé qu’elle a pour objet de « fixer les mécanismes de protection des terres de l’État contre l’appropriation ; les règles applicables aux constructions et aux installations illicites édifiées sur les terres de l’État ; les peines applicables aux voies de fait sur les terres de l’État ».

Ceux qui sont appelés à actionner la loi et ester les contrevenants devant les tribunaux, ce sont les gestionnaires des terre de l’État (directeurs des domaines, conservateurs des forêts, directeurs des services agricoles, présidents d’Apc,…). L’article 5 de la Loi dispose à ce propos : « Les gestionnaires des terres de l’État assument la responsabilité personnelle des dommages résultant des voies de fait sur les terres de l’État qu’ils gèrent, du fait de leur abstention ou refus de prendre les mesures qui leur sont imposées par la législation et la réglementation en vigueur ».

Cette nouvelle « philosophie » législative, consistant à faire prendre aux gestionnaires des terres publiques leurs responsabilités d’une façon explicite, n’est pas restée sans écho. Elle a amené les différentes parties prenantes- y compris l’institution de la Justice et les différents corps de la police judiciaire appelés à instruire les affaires qui leur sont soumises en matière d’atteintes aux terres publiques- à se mobiliser autour de la lecture détaillée et de la vulgarisation la nouvelle loi au cours de journées d’études et de séminaires.

Des peines d’emprisonnement, de 3 à 5 ans, sont prévues, à l’article 21, contre les gestionnaires et les fonctionnaires publics qui, par leur « passivité » ou leur «laxisme », causent des dommages ou voies de fait aux terres de l’État par des tiers. Le même article dispose qu’il est « puni de la réclusion à temps de 7 à 12 ans et d’une amende de 700.000 DA à 1.200.000 DA, tout gestionnaire des terres de l’État ou tout fonctionnaire public, qui par son abstention ou son refus d’accomplir les obligations qui lui sont imposées par la législation et la réglementation en vigueur pour leur protection, cause des dommages ou voies de fait sur ces terres par des tiers ».  Ces mêmes agent sont punis de 10 ans à 15ans d’emprisonnement « si les dommages ou les voies de fait sont causés aux terres de l’État par leur coalition ».

Institution de cellules de veille

Une autre nouveauté dans la nouvelle loi. Les agents publics qui régulariseraient, en « connaissance cause », les constructions et/ou installations édifiées illégalement sur les terres de l’État, seront punis d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 500.000 DA à 1.000.000 DA.

S’agissant des contrevenants, les peines prévues par la loi vont jusqu’à 12 ans de prison ferme dans des cas de construction ou d’installation sur une terre de l’État indûment acquise. La peine peut aller à 15 ans d’emprisonnement si le contrevenant procède à la cession des terres de l’État, en plus de la démolition des constructions, décidée par le président d’Apc ou le wali, selon le cas de figure annoncé dans la loi, et de la saisie des matériaux et équipements présents sur le site. Le nouvel outil juridique précise également « le raccordement des constructions et/ou des installations construites illégalement sur les terres de l’État, aux voiries et aux réseaux publics de viabilisation, est interdit, sous peine des sanctions prévues par la présente loi ».

Enfin, localement, des cellules de veille sont prévues afin de détecter toute forme d’agression contre les terres de l’État ou d’éventuelles constructions illicites sur ces terres. Elles sont chargées d’en informer les autorités compétentes et d’initier toute proposition visant à protéger et à préserver les terres de l’État.

  A. N. M.

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