La relance du secteur touristique, qui fait partie de l’effort de diversification de l’économie nationale, ne saurait se contenter des infrastructures hôtelières, même si celles-ci parviennent à être présentes en nombre et à se prévaloir de la qualité requise.
Par Amar Naït Messaoud
Elle ne saurait, non plus, se satisfaire des effets d’an- nonces ou du travail de marketing sur la destination Algérie à laquelle il faudra encore travailler pour lui consacrer la plénitude de l’attractivité nécessaire. Le tourisme, en tant qu’un des substituts attendus à l’ «hégémonie» des recettes pétro-gazières, se base d’abord sur une matière première que l’on devrait rendre visible et viable.
Les sites naturels, historiques, culturels, dont l’Algérie regorge sont encore en quête de valorisation face à l’exigence d’un tourisme de masse tel qu’il se pratique en Égypte, en Tunisie, en Turquie ou sous d’autres latitudes.
L’autre volet, source d’attractivité touristique, est immanquablement les produits d’artisanat traditionnel et les produits du terroir. L’organigramme du ministère du Tourisme comporte, en bonne place, l’activité de l’artisanat. Des chambres d’artisanat sont installées au niveau des wilayas.
Mais, la machine administrative arrive mal à se mettre au diapason des défis qui se posent dans ce domaine si sensible, où se côtoient et se conjuguent la culture, la mémoire du peuple et l’économie. Il se trouve que, même les projets de proximité de développement rural intégré (PPDRI) ayant un de leur volet dédié à l’artisanat, n’ont pas réussi à donner l’élan voulu à ce secteur.
Le tapis d’Aflou tarde à se frayer un chemin pour une prise en charge réelle. Il en est de mêmes de objets de vannerie de Boussaâda, des poteries de Maâtka, des bijoux d’argent de Beni Yenni, du tapis de Beni M’zab, de la kachabia de Djelfa et de bien d’autres produits traditionnellement fabriqués par les femmes et les
hommes de ce pays avant que le pétrole ne vienne rendre percluses des mains qui étaient d’une dextérité proverbiale. Avec l’évolution du commerce extérieur algérien vers le tout import et l’embellie financière dont a disposé l’Algérie depuis le début des années 2000 jusqu’à la chutes des revenus en hydrocarbures en 2014, des filons ou créneaux nouveaux qui ne représentaient pas des cas d’urgence ou de nécessité absolue- ont été investis par ceux qui activent dans le domaine de l’importation.
L’économie nationale peinait à se remettre totalement des errements qui ont valu l’asphyxie de plusieurs métiers traditionnellement ancrés dans la culture nationale, et ce, en raison d’importations inconsidérées d’objets naguère fabriqués ou produits dans les villes et villages d’Algérie.
Les démantèlements tarifaires, à partir de septembre 2005, pour des milliers de produits provenant de l’Union Européenne, l’extrême ouverture du marché algérien vers la Chine et le développement considérable du salariat, couplé à l’exode rural, tous ces facteurs ont contribué à faire régresser l’intérêt pour l’artisanat national, au point de le faire paraître comme une curiosité ou un élément d’exotisme de pacotille qui n’a plus de relation intime avec l’organisation de la famille, la tribu ou une quelconque autre organisation de la société.
Les magasins de quincaillerie ou de vaisselle domestique regorgent aujourd’hui d’objets hétéroclites et de gadgets, parfois en forme de joujoux, rappelant grossièrement une autre aire civilisationnelle (Extrême-Orient, Europe,..).
Comment se fait-il que ces contrées lointaines, sans ressources naturelles avérées, ont produit des objets décoratifs, semi-industriels, ou parfois complètement industriels, pour les « fourguer » à des pays importateurs comme l’Algérie ?
Mettre fin au combat du «pot de terre contre le pot de fer»
Entre les anciens produits algériens du terroir- qui sont les porteurs d’un message ancestral et d’une mémoire estampillée par le sceau de l’histoirequi, aujourd’hui, périclitent, d’une part, et les ersatz d’artisanat entrant par les ports ou dans les cabas, d’autre part, s’engage le combat du pot de terre contre le pot de terre, ou de David contre Goliath.
Les premiers, les nôtres, perdaient chaque jour les mains de fées qui les fait, et sont réduits à la portion congrue de l’économie nationale; les seconds sont doublement soutenus; d’abord, par l’activisme et la vigueur des producteurs et exportateurs asiatiques et européens, ensuite, par l’indolence et la perversion qui s’alimentait presque exclusivement de la rente pétrolière.
On en était arrivé alors à ce phénomène de «familiarisation » forcée des familles algérienne avec le strass d’artisanat d’importation qui garnit nos salons, couloirs et autres recoins de la maison, au détriment de ce qui a toujours fait l’âme et l’expression de la culture nationale.
À l’horizon de 2030, l’Algérie avait fixé, depuis une quinzaine d’années déjà, un objectif de création de 2,5 millions d’emplois directes et indirects dans le domaine de l’artisanat.
De même, quelques grands axes prioritaires ont été arrêtés par le ministère de tutelle, à savoir : «intensifier le tissu artisanal, développer l’esprit d’entreprenariat et de marketing, promouvoir la production, améliorer la qualité et préserver les métiers en voie de disparition».
Les pouvoirs publics comptent agir particulièrement sur le segment de la formation. Il s’agit d’«appuyer la formation pour développer les capacités et le savoir-faire des artisans, améliorer la qualité du produit artisanal et préserver certains métiers en voie de disparition».
Sources de revenus et marqueurs culturels
C’est à ce prix que ces produits, considérés comme une véritable « matière première » pour l’activité de tourisme, pourront acquérir un surcroît de valeur symbolique, esthé- tique et culturelle.
Il en va des produits d’artisanat comme des vestiges historiques, des sites naturels et des autres curiosités du terroir. Un terroir qui a également ses produits issus de l’agriculture de montagne, avec une qualité naturelle habilitée à être estampillée labellisée, comme l’est la figue de Beni Maouche.
Les fêtes organisées et autres célébrations faites autour de la figue- comme cette semaine à Lamsalla, dans la région de Bouzeguène-, du plaqueminier à Mechtras, de la cerise de Larbaâ Nath Irathène, l’abricot de Ngaous, la pomme de Bouhmama, et bien d’autres produits du terroir, propres à des régions spécifiques du pays, peuvent servir aussi la « cause » touristique, aussi bien par la recherche d’acquisition du produit lui-même que par les fêtes et cérémonies festives organisées par les producteurs, les associations professionnelles et les collectivités locales. Ils peuvent constituer une véritable force d’attraction, aussi bien pour les touristes étrangers que pour les touristes locaux.
Le tout restera de savoir comment rentabiliser et fructifier les aides apportées à ce secteur; comment cibler les vrais producteurs et créateurs; comment aussi mettre fin à une concurrence déloyale issue d’importations anarchiques et consommatrices de devises, tour en n’exprimant pas nécessairement le génie et la mémoire cultuelle des pays qui les exportent, car, une grande partie de ces produits ont rejoint le segment de l’industrie.
De fait, ils ne sont plus des produits d’artisanat. Le réveil du secteur de l’artisanat en Algérie est censé, dans ces moments de grands changements économiques portés sur le renforcement de la production locale, bénéficier d’un regard neuf tendu vers la réhabilitation des anciens métiers et produits du terroir et leur intégration dans la grande problématique de l’investissement, afin qu’ils puissent jouer leur rôle de source de revenus et, en même temps, de marqueurs culturels liés à la mémoire et l’identité algériennes.
A. N. M.

