Mois du patrimoine : En quête de nouvelles lettres de noblesse

Les différentes manifestations culturelles prévues pour célébrer le patrimoine matériel et immatériel du pays pendant le mois qui leur est dédié chaque année (18 avril-18 mai) disent pour nous, tout à la fois, la richesse, la grandeur et…la fragilité de ce segment important de la vie sociale et culturelle de notre peuple. En effet, des expositions, des foires, des braderies, accompagnées d’une ambiance festive, sont organisées aux quatre coins du pays. 

Par Amar Naït Messaoud

Mais, pour qu’elles puissent bénéficier de ces « feux de la rampe », ces manifestations ont requis le travail d’une année, voire de plusieurs années, consistant à pétrir la glaise pour en faire un ustensile en terre cuite à Maâtka ou à Ath Khir; à fondre et forger l’argent pour obtenir des broches ou des bracelets à At Yenni, à filer, tisser et teindre la laine à Aflou pour sortir ces magnifiques tapis drus et diaprés de Djebel Ammour; à couper et tisser l’alfa et le sparte pour faire naître de la steppe de Bou Saâda et de Messaâd ces paniers et corbeilles faits nature, loin du polluant plastique.

Autrement dit, ces tisserands, vanniers, dinandiers, potiers (au féminin comme au masculin) sont là, à mener des tâches souvent commercialement ingrates, nourrissant modiquement son homme, mais symboliquement revigorantes et chargées de sens.

Un sens culturel, patrimonial et historique, d’une œuvre répétée depuis des années, des siècles, passant de génération en génération, en marquant de façon puissamment sigillée la mémoire du peuple. 

À LA CONFLUENCE DE LA CULTURE ET L’ÉCONOMIE

Chaque année, au début de ces manifestations, la mêmes question revient sur la bouche des artisanes et des artisans, de leurs associations ou groupements professionnels, et secondairement, par la voie de quelques élus locaux, s’adressant aux institutions chargées de ce dossier et aux pouvoirs publics: comment inscrire l’action dans la durée?

Comment intégrer de telles activité-situées à « califourchon » entre l’art, la culture et l’économie- dans la vision globale de l’économie nationale, avec ses versants d’approvisionnement en matière première et intrants, et de débouchés commerciaux, qui pourraient intégrer même, le cas échéant, le segment de l’exportation?

Cette dernière ambition devrait être légitimement envisagée au regard du potentiel en la matière, riche et diversifié, dont se prévaut notre pays. 

L’on se souvient des velléités, sans lendemain, des anciens gouvernements qui, au début des années 2000, parlaient de la « nécessité de donner une nouvelle impulsion au secteur de l’artisanat afin qu’il puisse contribuer aux efforts du développement global ».

Des assises nationales ont été organisées en 2009 pour les secteur de l’artisanat et des métiers à la faveur desquelles ce dernier est promu au rang de « priorité », du fait qu’il a été classé comme un des segments de l’économie générateurs d’emplois et créateurs de valeur ajoutée. 

Ceux qui, hommes et femmes, de plus en plus jeunes d’ailleurs, certains par le moyen de crédit de micro-entreprise, se sont investis dans ce domaine, sont en droit d’attendre des mesures concrètes de soutien et d’accompagnement de la part des pouvoirs publics, face à la pénurie de matière première pour certains créneaux, à l’incertitude des débouchés commerciaux et aux conditions générales d’exercice de ces métiers. 

C’est que, au cours des salons et expositions qui se déroulent pendant ce mois du patrimoine, qui sera clôturé dans une semaine, des constats et des diagnostics de l’état général des métiers de l’artisanat et des produits du terroir ont été entendus par les responsables centraux et locaux.

Souvent même, des promesses ont été données pour booster ces activités au rang de segments économiques devant bénéficier du soutien et de l’encadrement nécessaires.

Cela permettra d’améliorer les revenus des artisans, de sécuriser leurs activités et réduire le chômage chez les jeunes qui perçoivent aujourd’hui une allocation de 15 000 dinars. 

HISSER L’ARTISANAT AU RAND D’UN SEGMENT ÉCONOMIQUE   

Pour qu’il puisse acquérir de nouveau ses lettres de noblesse de secteur économique ayant la spécificité d’exprimer aussi l’âme et la mémoire du peuple, l’artisanat est appelé à sortir de la vision folklorique dans laquelle il est enfermé.

En accompagnement du secteur du tourisme, il est censée porter haut et loin l’expression de la culture algérienne dans toute sa diversité géographique et dans toute sa gamme de domaines d’activités et de styles.

Il y a quelques années, dans les moments « fastes » du « tout importation » , l’artisanat algérien a été concurrencé par des ersatz de pacotilles venant de la Chine et d’autres lointaines latitudes.

C’étaient des substituts de produits artisanaux- en réalité des produits purement industriels de fausse vannerie et de fausse argenterie- qui n’avaient rien à voir l’art et la dextérité des mains des artisans, femmes et hommes, de notre pays.

Ce qui se vendait sur les étalages de magasins consacrés à ces objets était à mille lieues d’exprimer la mémoire, l’histoire et la culture, y compris paradoxalement celles du pays d’importation. 

À travers le monde, les nobles métiers de l’artisanat ont évolué au rythme des nouveaux besoins de la société et de l’économie, en fonction aussi de la disponibilité des matières premières et de l’acquisition de nouveaux matériaux et, enfin, selon les nouvelles règles esthétiques et de design que les arts modernes ont pu imprimer aux anciens produits du terroir. 

Les anciens produits algériens faits maison (vannerie, dinanderie, sparterie, joaillerie, poterie,. ébénisterie,…) ont été annihilés par les nouveaux modes de consommation et les nouvelles sources faciles de revenus (salariat, fonctionnariat) au point où il est devenu difficile de trouver un produit artisanal authentique algérien et d’en faire un cadeau à des amis étrangers. 

Se situant à la confluence de la culture, de la mémoire, du tourisme et du monde de l’entreprise, le secteur de l’artisanat, avec toutes activités qui promeuvent les aspects culturels de notre pays, est porteur d’une forte valeur ajoutée économique et d’une inestimable valeur symbolique par laquelle il se positionne en tant qu’ambassadeur de l’authenticité et de la culture algériennes.

À ce titre, il est appelé à dépasser le simple intérêt qu’on lui accorde à l’occasion du « Mois du patrimoine » pour se hisser au rang d’un segment à part entière de l’économie nationale bénéficiant de tous ses attributs. 

A.N.M

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