Mohamed Bacha : «Il faut diversifier la production en développant l’agroalimentaire, la sidérurgie, la chimie, le textile et l’industrie pharmaceutique.»

Mohamed Bacha, ancien ministre de l’Industrie et spécialiste en Intelligence économique

Mohamed Bacha, titulaire d’un doctorat d’Etat de l’Université d’Alger, a connu une carrière professionnelle riche au sein de l’Administration algérienne. Le ministère de la Participation et le ministère de l’Industrie en sont ses haltes les plus mémorables. Il a également occupé des postes au ministère de la planification et au ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire. Au sein du ministère de l’industrie, il a occupé pendant six ans le poste de Directeur Général de l’Intelligence économique (IE) et de la Prospective, où il a joué un rôle crucial dans la mise en place de l’IE, tant au niveau central qu’auprès des grandes entreprises du pays. Le 21 février 2021, Mohamed Bacha est nommé ministre de l’Industrie, poste qu’il quitte le 8 juillet de la même année. Dans cet entretien, il revient sur les avantages de l’Intelligence économique (IE), sa spécialité, les chantiers prioritaires que l’Algérie doit lancer, le rôle des PME dans le développement du pays. Ecoutons-le.

2e partie

Entretien réalisé par Zoheir Zaid

Les PME peuvent être le fer de lance du développement de n’importe quel pays, dont l’Algérie bien sûr. Votre avis là-dessus et que faut-il faire ?

Je suis tout à fait d’accord avec l’affirmation que les PME peuvent être un des vecteurs du développement de l’Algérie, car elles présentent de nombreux avantages, porteuses d’une croissance économique inclusive et durable.

Les PME sont des grands pourvoyeurs d’emplois, dans la plupart des pays, y compris en Algérie. Elles réduisent ainsi le chômage, tout en soutenant l’entrepreneuriat et l’innovation.

Les PME sont souvent plus flexibles et adaptables que les grandes entreprises, et constituent pour ces dernières la pièce maîtresse de leur développement.

Les PME sont adaptables plus rapidement aux changements du marché, et répondent aux besoins des clients locaux, confirmant ainsi leur rôle important dans le dynamisme et la diversification de l’économie.

Les PME sont porteuse d’inclusion sociale, car implantées localement et employant les ressources humaines locales. En sus de contribuer à la réduction chômage, elles participent à la rétention des populations.

Enfin, les PME sont innovantes, car elles sont plus proches des clients, donc plus libres pour expérimenter de nouvelles idées ; ce qui fait d’elles de bonnes contributrices à la compétitivité de l’économie.

Que faut-il faire pour soutenir les PME en Algérie ?

La démographie des entreprises dans notre pays présente un profil toujours dominé par les très petites entreprises (TPE) et les entreprises familiales. On enregistre, à vrai dire, un déficit d’entreprises à haut potentiel de croissance [PME et Grandes entreprises] et un déploiement territorial encore inégal.

De nombreuses actions peuvent être menées pour promouvoir véritablement les PME en Algérie et favoriser leur contribution au développement du pays.

On peut citer :
1. Améliorer l’accès au financement, car le financement est un obstacle de premier ordre pour les PME en Algérie. Le microcrédit et le capital-risque sont les mécanismes de financement qu’il faut développer, car plus adaptées aux besoins des PME.

2. Simplifier la réglementation, car plus celle-ci est complexe et les procédures administratives lourdes, plus les entrepreneurs sont découragés. Il est important de simplifier les procédures et de réduire les charges administratives pour les PME.

3. Soutenir le développement des compétences, car les PME ont besoin de main-d’œuvre qualifiée pour se développer. Les programmes de formation et d’éducation sont, dans ce cadre, indiqués, car ils dotent les entrepreneurs et les employés des PME des compétences nécessaires.

4. Promouvoir l’innovation, qui demeure nécessaire pour la compétitivité des PME. Il est important de soutenir la recherche et le développement et de créer un écosystème favorable à l’innovation dans PME.

5. Favoriser l’accès aux marchés: Les PME ont besoin de marchés, nationaux et internationaux, pour vendre leurs produits et services.

6. Mettre en place des politiques et des programmes spécifiques pour soutenir les PME dans des secteurs clés tels que l’agroalimentaire, la culture, l’industrie manufacturière et le tourisme.

7. Réévaluer le positionnement institutionnel des organes centraux de régulation, de définition et de mise en œuvre des politiques publiques et des programmes d’accompagnement.

Pour sortir de la dépendance des hydrocarbures, sur quels modes de planification et stratégie devait s’appuyer l’Algérie ?

Vaste question dont on a esquissé quelques éléments dans les réponses aux questions précédentes.

Pour étayer davantage, sortir de la dépendance des hydrocarbures reste un défi majeur pour notre pays, mais c’est aussi une opportunité de transformer notre économie et de la mettre sur la voie d’un développement durable et inclusif, pour un avenir meilleur pour le pays.

Pour réussir cette transition, il me semble que nous devons nous appuyer sur des modes de planification et de stratégie clairs et cohérents.

1. Une vision de long terme claire et partagée. Le premier élément clé est d’établir une vision de long terme claire et partagée pour le développement de l’Algérie.

Cette vision doit être élaborée de manière inclusive, en consultation avec toutes les parties prenantes concernées, y compris la société civile et les citoyens.

Elle doit définir les objectifs stratégiques du pays [à différents horizons) en matière d’industrialisation, de choix technologiques, d’aménagement du territoire, de développement durable et d’inclusion sociale.

2. Une stratégie de développement des investissements ambitieuse. La stratégie de développement des investissements doit identifier les secteurs clés à fort potentiel de croissance et mettre en place des mesures concrètes pour les soutenir, incluant une définition claire des rôles respectifs des secteurs public et privé dans le développement de l’industrie lourde, de l’industrie minière, de l’agroalimentaire, de la plasturgie, de l’industrie manufacturière, du tourisme, des technologies de l’information et de la communication (TIC), et de l’économie verte.

3. Un cadre institutionnel de gouvernance. Un cadre de gouvernance efficace est essentiel pour assurer la mise en œuvre réussie de la stratégie de diversification économique impliquant de mettre en place des institutions et des mécanismes solides de planification de coordination, de suivi et d’évaluation.

Il est également important de garantir la transparence et la redevabilité dans la gestion des ressources publiques.

4. Un engagement fort en faveur du développement des compétences. L’Algérie a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée pour réussir sa transition économique.

Il est donc important d’investir dans l’éducation et la formation professionnelle pour doter les Algériens des compétences nécessaires à l’économie de demain.

5. Un climat des affaires favorable, qui demeure essentiel pour attirer les investissements nationaux et étrangers, ce qui implique de simplifier les réglementations, de réduire la bureaucratie et de lutter contre la corruption. Il est également important de protéger les droits de propriété et de garantir l’accès équitable au marché.

6. Une utilisation efficace des ressources financières, qui, libérées par la diminution de la dépendance aux hydrocarbures, doivent être utilisées de manière efficace pour soutenir la diversification économique.

Cela peut inclure le financement d’infrastructures, de programmes de recherche et développement, et de transferts de technologies, y compris en développant un partenariat public-privé patriotique.

7. Une coopération internationale renforcée pour partager les meilleures pratiques et attirer des investissements étrangers. L’Algérie peut bénéficier de l’expérience et des connaissances d’autres pays qui ont réussi à diversifier leurs économies.

8. Une communication efficace et une sensibilisation des citoyens.

Une communication efficace sur la stratégie de diversification économique, et une sensibiliser des citoyens aux enjeux et aux opportunités de la transition, permettent de mobiliser le soutien de la population et de favoriser l’adhésion aux réformes nécessaires.

En plus de ces éléments clés, il est important de noter que : La transition doit être une démarche juste et équitable appelant des efforts et des sacrifices de toutes catégories sociales ; Sa réussite dépendra de l’engagement de tous les acteurs institutionnels et de la société algérienne.

C’est un effort collectif qui nécessitera une coopération étroite et une coordination très fine.

Le développement d’un pays nécessite la capacité de ses acteurs à innover et à s’adapter. La recherche scientifique en est un acteur, porteuse d’innovation, qui ne serait salutaire que si elle est à portée pratique. Que pensez-vous de la recherche scientifique en Algérie ?

L’Algérie dispose d’un potentiel certain en matière de recherche scientifique, porté par un nombre important de chercheurs qualifiés et d’institutions de recherche.

Le pays a fait des progrès notables ces dernières années en termes de production scientifique et d’infrastructures de recherche.

Cependant, la recherche scientifique en Algérie reste confrontée à un certain nombre de défis qui limitent son impact sur le développement économique et social du pays.

Parmi ces défis figurent :

1. Sous-financement chronique, la recherche scientifique en Algérie en souffre, ce qui limite la capacité des chercheurs à mener des recherches de pointe et à développer des innovations.

La part de la R&D dans le PIB reste mitigée et les entreprises sont encore réticentes à s’engager sur la voie de l’innovation.

2. Manque de coordination et de collaboration, ce qui fait que la recherche scientifique en Algérie est souvent fragmentée et manque de coordination entre les différents acteurs, tels que les universités, les centres de recherche et les entreprises. Cet état des lieux limite la collaboration, le partage des connaissances et la mutualisation des projets qui sont essentiels pour l’innovation.

3. Faible valorisation de la recherche : Les résultats de la recherche scientifique ne sont pas toujours bien valorisés par les entreprises industrielles et les opérateurs économiques, les innovations issues de la recherche ne sont pas toujours traduites en produits et services concrets qui peuvent bénéficier à l’économie et à la société.

4. Fuite des cerveaux: Un certain nombre de chercheurs algériens quittent le pays pour travailler dans des institutions de recherche mieux financées et équipées à l’étranger privant notre pays de précieuses compétences et expertises.

Malgré ces défis, il y a des raisons d’être optimiste quant à l’avenir de la recherche scientifique en Algérie. Le gouvernement algérien a pris un certain nombre de mesures pour soutenir la recherche scientifique, et de plus, de plus en plus d’entreprises algériennes commencent à reconnaître l’importance de la recherche et du développement pour leur compétitivité.

Il convient encore de relever trois exigences vitales : Augmenter les investissements dans la recherche et passer a l’horizon 2030 au moins à 1.5 du PIB ; Renforcer la coordination entre les différents acteurs, afin de mieux valoriser les résultats de la recherche ; Définir des priorités de recherche claires et développer des partenariats stratégiques entre les chercheurs, les entreprises (publiques et privées) et les organismes publics.

Pour terminer, quels sont les chantiers prioritaires du secteur l’Industrie que vous préconisez ?

Question cruciale qui nécessite une mobilisation de toutes parties prenantes pour définir les domaines de développement stratégique de notre économie.

Pour faire court, on sait que notre pays dispose d’un potentiel industriel important qui reste en bonne partie inexploité.

Le secteur industriel doit jouer son rôle dans le décollage de notre économie et parmi les chantiers qui me paraissent prioritaires, je citerai :

1. Diversifier la production industrielle et valoriser les chaînes de valeur locales, car l’industrie algérienne est encore trop dépendante du secteur des hydrocarbures et des importations.

La diversification de la production nécessite le développement d’autres secteurs, tels que l’agroalimentaire, la sidérurgie, la chimie, le textile et l’industrie pharmaceutique, en les reliant aux ressources nationales et aux filières locales.

2. Améliorer le management et la compétitivité des entreprises : les entreprises industrielles algériennes doivent être plus compétitives sur le marché international.

Pour cela, il faut améliorer la qualité du management et celle des produits, réduire les coûts de production et innover.

3. Développer les infrastructures et la logistique industrielle. Cela exige le développement des infrastructures économiques, telles que l’alimentation en eau et en électricité (responsable en partie du faible taux d’utilisation des capacités productives dans certains régions du pays), les chemins de fer [dont il faut rétablir les embranchements particuliers aux portes des entreprises), les ports et les zones industrielles (à viabiliser pour certaines en urgence), est essentiel pour faciliter le transport des marchandises hors réseau routier et attirer les investissements étrangers stratégiques.

4. Densifier les investissements industriels, via l’attractivité des investissements nationaux et étrangers dans le secteur industriel, ce qui exige de créer un climat des affaires favorable permettant de valoriser les atouts de l’Algérie auprès des investisseurs potentiels.

5. Renforcer les compétences, ce qui signifie développer l’enseignement technique et professionnel et de proposer des programmes de formation continue aux travailleurs.

6. Soutenir la recherche et au développement (R&D), en ciblant les institutions de recherche et de développement et en encourageant la collaboration entre les chercheurs et les entreprises.

7. Basculer vers l’industrie 4.0, qui offre de nouvelles opportunités pour les entreprises industrielles algériennes.

Il est important de mutualiser les capacités et de numériser les processus de production et de gestion pour améliorer l’efficacité et la productivité.

On ne peut, au demeurant, ne pas aborder l’intelligence artificielle. Quels bons usages de l’IA vous proposeriez pour que son implantation en Algérie soit une bénédiction et non un maléfice ?

C’est un domaine émergent qui est à ses débuts et qui occupe désormais une place déterminante dans toutes les activités humaines. L’intelligence artificielle (IA) peut être un outil puissant pour le développement de l’Algérie.

Ses impacts pourraient être significatifs a courte échéance :

1. Améliorer l’efficacité du secteur public : L’IA peut contribuer à améliorer la qualité des services publics et à réduire les coûts pour le trésor public : elle peut être utilisée pour automatiser des tâches répétitives, telles que la saisie de données et le traitement des demandes, ce qui peut libérer les employés du secteur public pour se concentrer sur des tâches plus complexes et stratégiques.

2. Améliorer les soins de santé : L’IA peut être utilisée pour analyser les images médicales, diagnostiquer des maladies et développer de nouveaux traitements.

Elle peut améliorer l’accès aux soins de santé pour tous les Algériens, en particulier pour ceux qui vivent dans des zones rurales ou isolées.

3. Développer l’éducation: L’IA peut être utilisée pour personnaliser l’apprentissage, fournir des connaissances aux élèves en temps réel et identifier précocement ceux ayant besoin d’un soutien supplémentaire. Elle peut aider à améliorer les résultats scolaires pour tous les élèves.

4. Stimuler l’innovation: L’IA peut être utilisée pour développer de nouveaux produits et services, et pour améliorer les processus de production existants dans l’agriculture et l’industrie notamment. Elle peut contribuer à rendre les entreprises algériennes plus compétitives et mieux armées pour le marché international.

5. Promouvoir la durabilité: L’IA peut être utilisée pour optimiser la consommation d’énergie, gérer les ressources naturelles et développer des solutions pour booster la productivité et la compétitivité.

Cependant, il est important de noter que l’IA peut présenter des risques si elle n’est pas utilisée de manière responsable. Il est important de mettre en place des garde-fous pour éviter que l’IA ne soit utilisée à des fins discriminatoires ou nuisibles.

1. Mettre en place une stratégie nationale de numérisation associant toutes les parties prenantes. La numérisation présente un immense potentiel pour l’Algérie en termes de développement économique, d’amélioration des services publics et de meilleure qualité de vie pour les citoyens. Pour tirer pleinement parti de ce potentiel, il est essentiel de mettre en place une stratégie nationale de numérisation ambitieuse et inclusive qui associe toutes les parties prenantes.

2. Les systèmes d’IA doivent être transparents et explicables. Les citoyens devraient savoir comment fonctionnent ces systèmes.

Les systèmes d’IA doivent être développés et utilisés conformément aux principes éthiques, tels que le respect de la vie privée, l’équité et la transparence qui permettent de s’assurer que les systèmes d’IA ne sont pas utilisés à des fins discriminatoires ou nuisibles : Les organismes et les personnes qui développent et utilisent des systèmes d’IA doivent être responsables pénalement des conséquences de leurs actions.

3. Tous les Algériens devraient avoir la possibilité de bénéficier des avantages de l’IA. Il est important de veiller à ce que les systèmes d’IA soient accessibles et inclusifs, sans exclusion ni sociale ni territoriale.

Z. Z.

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