Avec un total de 85 barrages, dont 5 seront opérationnels prochainement, le professeur Ahmed Kettab, expert et consultant dans le domaine des ressources hydriques, estime à 10 milliards m3 les capacités de stockage des eaux superficielles dans ces infrastructures, mais tout en rappelant que « ces dernières années, ces barrages n’arrivent même pas à se remplir au tiers », compte tenu de la pluviométrie qui a sensiblement baissé, d’où la nécessité, suggère-t-il, d’aller vers d’autres alternatives pour mobiliser d’autres ressources à la portée de l’Algérie.
Par Mohamed Naïli
C’est pour répondre à cet impératif, qui est la sécurité hydrique et l’approvisionnement du pays en cette ressource, tant en termes d’alimentation en eau potable que pour les secteurs économiques, comme l’agriculture et l’industrie, que le professeur est revenu dans le détail hier lors de son passage à la chaîne 3 de la radio nationale, dont il a été l’invité de la rédaction, sur les potentialités exploitables de l’Algérie dans ce domaine, à savoir le dessalement de l’eau de mer, le recyclage des eaux usées mais aussi l’exploitation de la ressource souterraine dont jouit le grand Sud du pays, qui est la nappe albienne.
Au volet relatif à l’eau de mer, Pr. Kettab plaide en faveur de l’extension du réseau des stations de dessalement pour répondre aux besoins en eau potable dans les zones côtières mais aussi pour stocker les eaux produites en grandes quantités via ce processus dans des réservoirs pour alimenter même les villes de l’intérieur.
Pour parer aux inégalités entre les régions du pays en matière de disponibilités hydriques, il propose l’interconnexion entre les barrages. « Si les barrages sis dans les wilayas de l’Est du pays ont enregistré la saison dernière un taux de remplissage appréciable, ce n’est pas le cas à l’ouest du pays où le déficit en remplissage des barrages est considérable ». Par conséquent, il propose l’idée de réaliser des réseaux de transfert entre régions. « Nous avons des entreprises comme Cosider ayant d’importantes capacités dans la fabrication de canalisations, ce qui nous permet de réaliser des réseaux de transfert, par exemple, depuis le barrage de Beni Haroun (sis dans la wilaya de Mila, ndlr) pour alimenter la Capitale ».
L’autre domaine où l’Algérie dispose d’un potentiel non négligeable, est l’utilisation des eaux usées recyclées et, sur ce plan, regrettant qu’à peine 5% de ces eaux sont utilisées, M. Kettab propose « la généralisation du recyclage, en multipliant les stations d’épuration, et proposer cette eau pour des usages autres que l’eau potable, comme les stations services pour le lavage de véhicules, le lavage des routes et espaces urbains ».
6 000 m3/ha pour le maïs
Enfin, évoquant la question, non moins controversée, de l’utilisation des eaux souterraines de l’albien intercalaire dans le sud du pays, qui est un réservoir de plus de 40 000 milliards m3 (d’autres études estiment ces réserves à près de 65 000 milliards m3), l’expert en ressources hydriques réfute l’hypothèse du risque d’épuisement de cette ressource, estimant que « ces réserves, en mesure d’assurer une alimentation en eau sur 5 000 ans, peuvent être transférées par canalisation jusqu’aux wilayas des hauts plateaux, comme Djelfa, pour être utilisées dans l’agriculture ».
Enfin, estimant que les tarifs actuels de l’eau sont très loin de refléter la réalité des coûts de production de cette ressource, Pr. Ahmed Kettab plaide en faveur d’un nouveau système de tarification qui doit, en premier lieu, protéger les petits consommateurs, en définissant un niveau de consommation à un tarif réduit, mais qui doit contraindre à payer l’eau à son prix réel les gros consommateurs. « Ce système incitera les gros consommateurs à faire plus attention et diminuer les gaspillages », précise-t-il. A travers cette démarche, M. Kettab a proposé précédemment un système de gratuité d’un volume de 9 m3 par trimestre pour chaque citoyen et, au-delà de ce volume, faire payer chaque m3 supplémentaire à 10 fois plus son prix.
Par ailleurs, les expertises menées sur la problématique de l’eau dans le contexte actuelle où la raréfaction de cette ressource est de plus en plus apparente, dans le sillage du dérèglement climatique qui est une évidence sans appel, sont multiples mais, souvent, aboutissent à des conclusions non exhaustives, voire contradictoires, du fait de la non prise en charge des facteurs exogènes. C’est le cas, par exemple, de l’exploitation des ressources souterraines de la nappe albienne, un domaine dans lequel d’autres études appréhendent la surexploitation de cette ressource à la faveur du développement d’une agriculture intensive dans le Sahara.
A cet égard, une étude menée par l’ITGC (Institut technique des grandes cultures), estime les besoins en eau, pour la culture du maïs uniquement, à 6 000 m3/ha, ce qui est considérable lorsque l’on sait que les besoins de l’Algérie en ce produit s’élèvent à 40 millions de quintaux par année. Ainsi, pour assurer une autosuffisance en maïs, pas moins de 500 000 ha doivent être cultivés chaque saison, pour un rendement moyen de 80 qtx/ha, avec des besoins en eau qui s’élèvent donc à 3 milliards m3/an.
Pour ce qui est des autres alternatives proposées comme solution pour endiguer les pénuries d’eau, c’est la question des coûts de production, notamment en énergie, qui se pose. Un recours généralisé au procédé de dessalement de l’eau de mer ou le transfert des eaux des barrages sur des distances aussi longues, dépassant les 400 km, est en effet énergivore, ce qui ne s’inscrit pas en droite ligne ni avec les objectifs tracés par Sonatrach et Sonelgaz, requérant la réduction de la consommation interne en gaz et électricité, pour exporter davantage, ni avec les objectifs dans le domaine du développement durable.
M. N.