Mise en valeur de terre agricole: Les critères d’accès au foncier

Dans une étude sur : « la politique de mise en valeur des terres arides en Algérie : une lecture en termes d’équité» qui avait comme objectif de questionner les critères d’attribution foncière, de décrypter leur perception par les acteurs et d’apprécier la « politique en actes», a rappelé les critères d’accès au foncier agricole fixés par le ministère. 

Synthèse A. R.

L’histoire récente de la constitution du domaine privé de l’État, comme symbole constitutif du recouvrement de l’indépendance nationale, a contribué à la formation d’une perception largement partagée au sein de la société algérienne, notamment dans le milieu rural, considérant la terre publique comme un bien commun. Le foncier n’est donc pas perçu comme un simple bien privé de l’État que ce dernier peut valoriser librement, indique cette étude publiée par CREAD.

Dans l’esprit de beaucoup, les terres publiques leur appartiennent et leur éventuelle privatisation doit profiter à tous, même si c’est au détriment de l’efficience productive. Dans ce contexte, la lecture des politiques foncières sous le prisme de la justice revêt tout son intérêt.

Au regard des procédures, la redistribution foncière dans le cadre de la petite MEV paraît globalement inclusive et équitable. Les deux textes de lois (loi de l’APFA de 1983 et loi d’orientation agricole de 2008) qui offrent les bases légales de la redistribution des droits sur le foncier public, définissent à grands traits le profil du bénéficiaire des attributions de terres publiques : un citoyen algérien porteur d’un projet de mise en valeur. Aucune distinction n’est donc légalement instituée, ce qui permet au pouvoir exécutif d’orienter les attributions en fonction des objectifs économiques et politiques du moment, expression des rapports de force sur la scène politique et économique. 

Différents programmes de MEV ont été ainsi mis en place par les différents gouvernements qui se sont succédé depuis les années 1980, chacun avec un ensemble de textes règlementaires spécifiques ciblant les catégories d’acteurs jugées alors prioritaires. Une constante est relevée : l’intérêt accordé à la légitimation locale des programmes de redistribution foncière. Les critères d’attribution, comme la procédure de mise en œuvre de l’ensemble de l’opération de redistribution, sont définis pour garantir globalement cette légitimation locale. En matière d’attribution, la priorité est accordée aux agropasteurs, aux petits agriculteurs et aux jeunes chômeurs habitants dans les territoires concernés par la MEV, et à une époque aux anciens moudjahidines. Ces bénéficiaires tirent leur légitimité d’un droit d’usage antérieur sur la terre objet de MEV (les agropasteurs), de leur besoin objectif en terre (petits agriculteurs locaux sous contrainte foncière), de l’accès à des ressources créatrices de revenus (jeunes sans emploi), ou de leur légitimité politique historique (anciens moudjahidines).

La mise en œuvre de l’opération d’attribution foncière dans le cadre de la MEV est du ressort de l’Assemblée populaire communale élue (APC), censée incarner la légitimité populaire et défendre l’intérêt général des habitants de la commune. Une assemblée qui toutefois reflète les rapports de force au niveau local et peut donc jouir d’une légitimité toute relative, notamment en défendant des intérêts catégoriels. Le pouvoir des élus locaux sur le processus d’attribution foncière est toutefois fortement limité par l’administration qui impose ses décisions, souvent sous des prétextes techniques peu maîtrisés par les élus.

En définitive, les politiques de MEV semblent équitables en termes d’approche distributive de la justice quant aux critères d’allocation de la ressource foncière ; en termes de conséquences sur la distribution foncière, la rupture majeure intervient à partir de 2011 (la circulaire 108), qui privilégie dans des proportions considérables la méga-MEV. La présence « d’indus-bénéficiaires » (fonctionnaires, commerçants, etc. ayant bénéficié de dotations foncières sur les périmètres aménagés par l’État) ne semble a priori pas avoir eu d’effets d’exclusion sur d’autres catégories d’acteurs, mais ce point reste à vérifier. Relativement aux dimensions procédurales de la justice, l’équité des modes opératoires n’est questionnable que pour la grande et surtout la très grande MEV, qui échappent totalement au contrôle des acteurs locaux.

Il est à rappeler que pour accéder au foncier dans le cadre de la mise en valeur (MEV), il faut être citoyen algérien et porteur d’un projet agricole réalisable. Ces deux conditions n’ont pas changé depuis le lancement de la MEV et en font, a priori, une politique inclusive de toutes les catégories socioprofessionnelles, du moment qu’aucun seuil de superficie ni d’investissement n’est défini comme critère d’éligibilité. Une troisième condition annoncée dans la loi de l’APFA, la possession des moyens de la MEV, semble par contre discriminer les acteurs ayant un projet, mais sans les moyens pour le mettre en œuvre. Ce critère est-il pour autant perçu par les acteurs comme inéquitable dans une société où traditionnellement l’accès à la propriété de la terre se mérite par l’effort de la vivification ?

Ce critère n’a en fait pas été respecté, l’État s’étant engagé, dès le lancement de la politique, dans le financement, au moins partiel, de certains projets de MEV. Dans un premier temps, ces aides étaient orientées vers les bénéficiaires de la petite MEV, puis ont été élargies progressivement aux autres catégories. Ce financement public des investissements inhérents à la MEV semble constituer un écart par rapport à la règle de vivification – un écart d’autant plus inéquitable que ces subventions sont proportionnelles aux superficies attribuées. Dans sa volonté d’inclure tous les acteurs, l’État peut ainsi créer des perceptions d’iniquité, ici au regard de l’accès aux aides publiques.

Sans contester le principe de la vivification comme condition d’accès à une terre publique, les agriculteurs interrogés mettent en avant le rôle clé que l’État doit jouer dans l’aide à la MEV. Cette perception est probablement influencée par le discours dominant considérant la MEV comme une entreprise d’intérêt général, de par son importance dans la consolidation de la sécurité alimentaire du pays, et par l’implication effective de l’État dans le soutien de l’agriculture d’une manière générale – pourquoi alors exclure la MEV ?

Les cadres du ministère de l’Agriculture interviewés justifient le financement public de la MEV par le souci de l’État de promouvoir cette dernière et de la rendre accessible à tous. Un financement public qui ne doit être, selon ces cadres, qu’un appoint aux moyens des candidats à la MEV, petits et grands. La limitation de l’accès à la propriété foncière aux seuls candidats ayant financé leur projet de MEV sur fonds propres semble correspondre à un compromis pragmatique. A.R.

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