Annoncée récemment, la préparation pour le lancement de la production du lait infantile vient de faire l’objet de concertations ouvertes par le ministère de l’Industrie avec des opérateurs activant dans ce domaine afin de développer une filière locale et en finir avec les importations.
Par Mohamed Naïli
A travers ce segment qui concerne la sécurisation des approvisionnements en lait destiné à l’alimentation des nourrissons, c’est la structuration de la filière lait dans son ensemble qui est en question. En effet, étant le deuxième produit de large consommation le plus demandé sur le marché national, après les céréales, le lait, avec ses différents dérivés, représente un enjeu majeur pour le secteur de l’Agriculture et du développement rural.
Fortement dépendante des importations, la couverture des besoins exprimés en lait et produits laitiers demeure à présent problématique. Les seules importations effectuées par l’ONIL (Office interprofessionnel du lait) ont atteint en effet les 600 millions de dollars durant l’année 2021, représentant la poudre destinée à la transformation pour la production du lait pasteurisé en sachet et dont le prix est subventionné par l’Etat. Cependant, les importations effectuées par les transformateurs indépendamment de l’ONIL pour la fabrication de produits laitiers divers (fromages, yaourt et autres) et le lait infantile oscilleraient entre 200 et 300 millions de dollars par année en moyenne.
Avec de tels niveaux, les produits laitiers viennent en deuxième position sur la facture des importations de biens alimentaires après le blé, tendre et dur, en se référant aux bilans annuels des services des douanes de ces dernières années.
Dans la conjoncture actuelle, marquée par des tensions sur les marchés des matières premières agricoles, si les produits laitiers restent relativement épargnés par les fluctuations et les flambées, contrairement aux produits céréaliers, il n’en demeure pas moins que les prix sont fortement élevés pour le lait infantile, en dépassant la barre des 7 000 dollars/tonne, alors que les besoins sont couverts à 100% par les importations.
Pour sortir de la spirale des importations dont dépend étroitement le marché du lait et produits laitiers dans leur globalité, d’importantes mesures sont prises successivement ces derniers mois dont la finalité est de relancer la filière lait dans tous ses volets, en amont et en aval de la production, notamment en matière d’incitation des producteurs à améliorer les conditions d’élevage et d’aller vers l’élevage intensif.
Des mesures incitatives
Dans cette perspective, le ministère de tutelle a donné son feu vert aux exploitants pour l’importation de génisses afin de pouvoir renouveler leurs cheptels. Néanmoins, afin de prévenir toute forme de détournement des bovins laitiers importés pour les utiliser pour la production de viande, l’autorisation d’importation a été vite suivie d’une directive obligeant les exploitants à garder les génisses importées pendant au moins 7 ans et interdisant formellement l’abatage de vaches laitières qui sont encore en cycle de production.
D’autres mesures ont également été prises en faveur des éleveurs sous forme d’incitations fiscales, comme celle contenue dans la loi de Finances pour l’année 2022 qui consiste en un abattement de 60% au titre du revenu net imposable en matière d’activité d’élevage. Il a été procédé également à l’exemption de la TVA sur les aliments de bétail fabriqués localement.
En aval, il a été procédé, dès le mois d’avril dernier, à la révision à la hausse de la prime accordée par les pouvoirs publics aux distributeurs du lait subventionné en sachet afin de leur permettre de faire face à la hausse de leurs charges, induites notamment par les coûts des carburants et pièces de rechange.
Autant de mesures incitatives donc pour donner un nouvel essor à la filière mais il reste à savoir si les objectifs escomptés seront atteints à court, voire à moyen terme. Pour de nombreux spécialistes, l’unique voie de sortie de la crise dans laquelle se débat la filière lait est d’y opérer des réformes en profondeur, en allant jusqu’à sa restructuration à tous les niveaux. Comme l’a indiqué récemment l’ancien directeur de la production et de la santé animales au ministère de l’Agriculture, Abdelhamid Soukehal, « la priorité doit être accordée à la production de fourrages, avant de développer l’élevage, il faut d’abord développer les cultures et les industries fourragères ».
Dans la feuille de route du ministère de tutelle 2020 – 2025, l’objectif tracé pour la filière lait est de concentrer les efforts sur l’intégration du lait cru produit localement dans le circuit de transformation. Néanmoins, sur ce plan, les progrès réalisés jusque là demeurent en-deçà des attentes, sachant qu’au moment où la production nationale en lait cru s’élève à quelque 3,5 milliards de litres/an, la collecte et l’intégration ne dépasse pas le cap des 800 millions litres, soit moins de 25% de la production totale.
La diversification des sources de production est aussi un autre objectif visé par la politique sectorielle mise en œuvre par les pouvoirs publics, en développant la production de lait de chèvre, brebis et chamelle, dont la filière élevage dispose d’un important potentiel, que de focaliser uniquement sur le lait de vache.
M. N.