Mettre en lumière une situation en crise peut constituer un véritable tremplin pour le pilotage stratégique d’un changement nécessaire. Il serait sans doute tout aussi erroné de considérer que la crise est un concept galvaudé, comme on peut l’entendre parfois. Si le terme est de plus en plus souvent mis en avant, peut-être faut-il, en effet, y voir une autre explication, bien plus pragmatique : les crises ne seraient-elles pas plus fréquentes, plus multi-facettes, plus porteuses d’impacts diffus ? Et surtout, ne seraient-elles pas davantage visibles et médiatisées ? Un monde aux frontières mouvantes et poreuses, aux innovations technologiques et sociales accélérées, aux enjeux complexes et imbriqués, ne peut qu’être sujet à des crises nombreuses, qui s’exercent dans divers domaines de la société
Par Salem Aït Youcef, Doctorant en Droit – cadre gestionnaire
La crise du management semble particulièrement aiguë dans la sphère publique, sans doute parce que les stéréotypes y sont accrus par un enjeu de légitimité. L’idée selon laquelle le management serait inextricablement relié à la finalité marchande reste puissamment présente dans certaines représentations. Pour autant, si l’organisation publique connaît de fortes spécificités « amont » (le cadre politique) et « aval » (son impact pour la société), la question du particularisme de ses processus de fonctionnement reste délicate, pour paraphraser les propos de l’éminente Professeure Annie Bartoli,.
Les années récentes semblent en effet avoir battu en brèche les fondations du management, notamment au gré des multiples réformes et restructurations engagées dans les entreprises et plus encore dans les organisations publiques. Ainsi, l’un des sentiments qui dominent aujourd’hui est que les démarches dites de modernisation ne seraient qu’une affaire d’outils, de réduction de moyens et d’augmentation du contrôle, sans que l’on ne sache plus quelles sont leurs finalités et leurs raisons d’être. Le management se trouve dès lors en proie à un véritable déficit de sens. Comment pourrait-il en être autrement quand on pense aux dérives réelles ou potentielles de l’outil de gestion véhiculé, sans recul ? La nécessité de relier les démarches et outils aux choix politiques et aux principes fondamentaux du système reste l’une des conditions de la lutte contre les a priori, les malentendus et les dégâts économiques et sociaux.
Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire de mettre le management public au cœur de la nouvelle vision stratégique de l’Etat. En effet, Le management public se situe en effet au carrefour de langages et de traditions hétérogènes : management et sciences de l’organisation, d’un côté, et sciences administratives et sciences politiques, de l’autre.
Le management, un art (*)
L’élaboration d’une démarche conceptuelle spécifique cohérente s’impose à partir du moment où l’administration ne poursuit pas comme objectif le profit. Introduire le management dans l’administration ce n’est pas légitimer un océan de pertes par des îlots de profits à la façon dont Trujillo proposait aux Discounters de légitimer des océans de profits par des îlots de pertes, pour emprunter ainsi l’expression utilisée par Romain Laufer et Alain Burlaud dans leur ouvrage sur le Management public.
Nous ne souhaitons certainement pas à ramener, comme certains le font à tort, le problème de la quantification des objectifs à la notion d’indicateur social. Une conséquence importante de ceci est que le management public tiendra à substituer à la presbytie de la démarche administrative habituelle, qui permet d’inscrire l’action dans l’horizon d’objectifs généraux, une certaine myopie. C’est l’état actuel des transactions considérées sous leur forme concrète qui peut faire le meilleur objet de la démarche managériale. S’agissant de la tâche difficile de gérer une administration, il semble que l’on ne puisse trouver de façon parfaite d’appréhender ses problèmes et qu’il faille choisir entre deux maux : une vision optimisante globale, mais irréaliste, et une vision sous-optimisante limitée mais permettant la gestion concrète des moyens disponibles. Produit et image organisationnels deviennent alors des éléments importants du fonctionnement des organisations publiques.
Le management est un art. Il repose, c’est vrai, sur des connaissances de plus en plus précises à caractère scientifique, mais il reste néanmoins un art dans la mesure où il consiste avant tout à gérer un quotidien tissé de contradictions et à anticiper une évolution de plus en plus accélérée qui élimine nombre de ces contradictions, mais pour en créer constamment de nouvelles. Le management public n’échappe pas bien sûr à ces difficultés. Tout au contraire, comme le soutient, à juste titre, l’illustre sociologue français Michel Crosier, il y semble beaucoup plus vulnérable encore que le management privé.
Mais cette difficulté ne doit pas être invoquée comme motif pour ne pas œuvrer pour la mise en place, voire la vulgarisation, du management public aussi bien au niveau des institutions que des entreprises publiques. Mieux encore, il devient même nécessaire de mettre les mécanismes qui permettront de mesurer le degré de performance, de la productivité et de l’efficience du management public et, passant, de tous ceux qui sont en charge d’une mission publique, administrative soit-elle ou économique, lesquels devraient être considérés désormais, à juste titre, comme de véritables « Mangers publics ».
Le management public : missions et objectifs
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié un document sur « les formules de gestion de la haute fonction publique axées sur les performances » dans les pays membres de l’organisation, lequel peut être une référence pour les pays qui souhaiteraient procéder à des réformes visant, dans une première étape, à poser les jalons d’un management public, avant d’œuvrer à le rendre performant en mettant principalement l’accent sur la notion de productivité. Ce rapport précise, entre autres, à propos des moyens propres à induire de meilleures performances chez les hauts fonctionnaires et à contribuer à l’amélioration globale des résultats, que les réponses se répartissent en trois grandes rubriques : i) modalités de nomination et de promotion, ii) maintien en poste du personnel compétent, et iii) méthodes de gestion prévoyant la définition d’objectifs précis liés à des critères de performances généraux pour le secteur public. En premier lieu, la sélection du personnel adéquat est une condition indispensable à l’obtention de bons résultats. Il ne s’agit pas d’empêcher toute activité politique, mais de veiller à ce que celle-ci soit gérée avec rigueur. Il s’ensuit par ailleurs que la performance devrait influer sur les décisions touchant aux promotions, qui motivent probablement tout autant les hauts fonctionnaires que la perspective de récompenses financières. Deuxièmement, le maintien en place du personnel compétent et qualifié constitue le principal moteur de la performance dans le secteur public. La perte régulière de bons éléments fera plus que réduire à néant les gains susceptibles de découler d’un dispositif de gestion de la performance. Il importe donc tout particulièrement de conserver les bons éléments en leur proposant une rémunération et des conditions appropriées. Enfin, l’utilisation d’objectifs individuels, dans le cadre des objectifs définis à d’autres niveaux dans le secteur public, peut s’avérer intéressante. Il importe cependant d’avoir un chemin clairement tracé dans le dédale des objectifs de performance de l’administration, et de garder à l’esprit que la meilleure façon de mettre à profit les mesures de performances est le dialogue plutôt que le contrôle.
Il ne faudrait pas omettre, au demeurant, qu’un management public performant passe nécessairement par l’instauration d’un Management par objectif (MPO) qui devient aujourd’hui une nécessité absolue, au même titre que l’urgence de s’inspirer des principes de contrôle de gestion qui font la gloire du management privé. En effet, tout système de contrôle de gestion d’une quelconque organisation suppose que l’on puisse définir trois éléments successifs : i) les objectifs de l’organisation autour desquels s’organise et se structure son activité ; ii) un instrument de mesure et de contrôle des écarts qui permet de faire le point , c’est-à-dire de situer l’action de l’organisation par rapport à ses objectifs ; iii) une série d’actions correctrices permettant de redresser la situation lorsque les écarts deviennent significatifs.
Ainsi défini et limité, le management public au sens large ou macro-management peut donc s’appliquer tant au secteur public qu’au secteur privé. La question de la légitimité du management nous conduit à la réponse suivante : s’il est légitime, c’est qu’il est nécessaire désormais pour gérer la légitimité des grandes organisations aussi bien publiques que privées.
S. A. Y