Alors que des études menées sur le marché du travail en Algérie par des institutions spécialisées, dont le BIT (Bureau international du travail) ou le FMI, évaluent le taux de chômage à plus de 14% de la population en âge de travailler, notamment parmi la catégorie des 18-25 ans dont près de 30% ne seraient pas occupés, plusieurs secteurs économiques font face à une pénurie criante de main d’œuvre.
Par Mohamed Naïli
C’est le cas du secteur de l’agriculture qui a du mal à attirer les jeunes en situation de recherche d’emploi, notamment durant les périodes de plantation, de traitement des cultures ou de récolte, où les exploitants agricoles expriment un grand besoin en main d’œuvre saisonnière.
Abordant la question du travail, Ali Boumeriche, producteur maraicher et céréaliculteur dans la région de Tizi Ouzou se dit étonné par l’attitude des jeunes chômeurs qui refusent carrément de travailler et préfèrent rester inoccupés. «Je viens de préparer une parcelle de 5 hectares pour faire de la pastèque, mais, pour la plantation, il me faut au moins une dizaine de travailleurs que je n’arrive pas à trouver», confie-t-il avec regret lors d’une rencontre au sein de son exploitation en juillet dernier.
A la question de savoir si ce n’est pas la rémunération ou la pénibilité du travail qui fait fuir les jeunes du travail dans les champs, M. Boumeriche réfute catégoriquement ces suppositions qu’il considère comme «des clichés sur le travail agricole», parce que, explique-t-il «les travailleurs saisonniers durant cette période de l’été commencent à 6h ou 6h30 et à 10h30 ou 11h, ils rentrent chez eux, ils sont payés à 2.000 dinars la journée. Le matin, c’est moi qui les attends en ville, à leur arrivée, je leur offre le petit-déjeuner, vers 9h, je leur distribue des boissons fraiches et des gâteaux, et lorsqu’ils ils auront fini, je les dépose en ville. Mais, malgré de tels traitements, les jeunes sont de plus en plus rares à s’intéresser au travail dans les champs. Ils préfèrent s’adonner à des activités faciles comme la vente à la sauvette dans les villes, ou des gardiens de parkings sauvage. Ils sont habitués au gain facile ou rêver de partir à l’étranger croyant que là-bas ils trouveront des planques», décrit-il la situation non sans regret et dépit.
La déception de M. Boumeriche est la même qu’exprime Mouhamed Mamouzi, propriétaire d’un vignoble de 6 hectares dans la région de Thenia, dans la wilaya de Boumerdès. «Nous avons trois employés permanents dans l’exploitation, mais durant la période des récoltes nous avons besoin de saisonniers, mais nous rencontrons d’énormes difficultés pour les trouver, pourtant le travail n’est pas aussi dur, nous les traitons avec souplesse et, pour le paiement, nous les faisons choisir s’ils préfèrent une rémunération journalière ou à la tâche, en quantité cueillie».
Les chômeurs boudent le travail de la terre
Autant d’incompréhensions qui suscitent la déception et la colère des exploitants agricoles. C’est surtout le courroux de ces agriculteurs qui ne comprennent pas pourquoi les chômeurs boudent-ils à ce point le travail dans les champs que vient d’exprimer un paysan de l’est du pays dans une vidéo partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux ces derniers jours qui adresse un message direct au chef de l’Etat pour lui demander de suspendre l’allocation chômage instruite il y a quelques mois.
«Cette allocation est une prime pour encourager l’oisiveté, les jeunes ne veulent pas travailler, ils veulent l’argent sans fournir d’efforts en contrepartie. Nous, les agriculteurs, ne trouvons personne pour travailler. Des champs entiers de tomate, pomme de terre, melon, pastèque, qui ne trouvent pas qui ramassera les récoltes», décrit-il en montrant de vastes étendus de produits maraichers en attente d’être récoltés.
Pour ces agriculteurs, l’allocation chômage de 13.000 DA mise en place depuis avril dernier et censée être attribuée aux chômeurs âgés de moins de 40 ans en situation de recherche d’emploi, n’a d’autres effets que d’encourager les jeunes catégories à se désintéresser du travail, en les habituant à la rémunération sans efforts.
Au moment où la mécanisation demeure très peu développée, notamment pour les cultures maraichères, les exploitations agricoles expriment une forte dépendance de la main d’œuvre saisonnière pendant les périodes charnières de l’itinéraire cultural, mais, face à la pénurie en la matière, chaque agriculteur tente de trouver des solutions de rechange selon les moyens de bord dont il dispose.
C’est le cas de ce producteur d’ail de la région de Mila qui, dans une vidéo diffusée par la Chambre de l’agriculture de ladite wilaya, dit n’avoir trouvé que les migrants subsahariens pour récolter ses champs, qu’il paye au quintal récolté.
Dans le bassin maraichers de Fréha, dans la wilaya de Tizi Ouzou, les agriculteurs sont eux aussi de plus en plus nombreux à faire appel aux migrants subsahariens qu’ils jugent «travailler honnêtement et ne trichent pas pour gagner du temps à travers les sillons», comme le dit Brahim, producteur de pomme de terre dans ladite région.
Outre les agriculteurs, le peu d’intérêt que manifestent les jeunes chômeurs au travail de la terre attire aussi l’attention des chercheurs en sciences humaines, à l’instar du spécialiste des questions économiques Noureddine Sahali qui interprète ce manque d’engouement pour le travail agricole par l’absence d’un cadre législatif qui puisse protéger les droits socioprofessionnels des ouvriers agricoles. A cet égard, il cite entre autres, l’absence d’un système de sécurité sociale et d’assurance maladie, une rémunération peu attrayante et surtout l’absence de perspectives d’évolution de carrière pour le salarié.
Ainsi, dans un contexte où l’agriculture occupe une place stratégique dans la politique de développement économique du gouvernement, n’est-il pas temps de mettre en place un tissu juridique à même de donner plus de considération au travail agricole et autres mesures incitatives pour encourager les jeunes chômeurs à s’insérer dans le travail de la terre tout en protégeant leurs intérêts socioprofessionnels.
M. N.