Suite et fin
Le bureau comme l’a montré le grand sociologue Max Weber est nécessaire, mais devant être au service de la société, non s’ériger en terrorisme bureaucratique qui enfante la corruption et la sphère informelle qui contrôle plus de 45/50% de la superficie économique (entre 6000 et 10.000 milliards de dinars, selon le président de la République), doit entre 33% et 45% de la masse monétaire en circulation, avec une intermédiation financière informelle réduisant la politique financière de l’Etat.
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités
Expert international
Dans ce cadre, l’intégration de la sphère informelle selon une vision cohérente, loin de toute vision bureaucratique autoritaire doit aller de pair avec par une participation plus citoyenne de la société civile et devant favoriser la légitimité de tout Etat du fait qu’elle permettra à la fois de diminuer le poids de la corruption à travers les réseaux diffus et le paiement des impôts directs qui constituent le signe évident d’une plus grande citoyenneté, l’ élément fondamental qui caractérise le fonctionnement de l’Etat de droit étant la confiance. On peut émettre l’hypothèse que c’est l’Etat qui est en retard par rapport à la société qui enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner. La corruption est également favorisée par les produits subventionnés, la distorsion de la cotation du dinar par rapport aux pays voisins, le trafic aux frontières lié à la cotation du dinar sur le marché parallèle. La procédure est simple je vous achète 1 euro vous me facturer 1,10 ou 1,20 euros et on partage et comme la différence avec le marché parallèle est de 50%, il y a encore une rente au niveau du marché intérieur où souvent le prix final s’aligne pour les produits importés sur le marché parallèle excepté les produits subventionnés Cela pose la problématique de la réforme bancaire, lieu de distribution de la rente, qui doit toucher f la nature du système et pas seulement la rapidité de l’intermédiation financière par la numérisation (aspect purement technique), qui paradoxalement pourrait faciliter des détournements plus rapidement si l’on ne s’attaque pas à la racine du mal. .
Nécessité d’un système d’information transparent et fiable
Un autre facteur important, un système d’information transparent et fiable est une condition fondamentale de tout contrôle. La crise mondiale actuelle a bien montré l’urgence de l’intervention des États du fait que les mécanismes de marché seuls ne garantissent pas la transparence et le développement. Du fait que toute société est caractérisée par les imperfections des marchés -hypothèse de marchés totalement concurrentiels étant la tendance idéale, l’intervention de l’État régulateur s’avère stratégique afin de mettre à la disposition des opérateurs préoccupés par leur gestion quotidienne, de l’information afin de minimiser les risques, donc les coûts de transaction, au moyen d’observatoires au niveau macro-économique, parallèlement à une politique monétaire, fiscale, douanière, claire, permettant des prévisions sur le moyen et le long terme.
Pour l’Algérie, la non-maîtrise des données tant nationales qu’internationales, la faiblesse de la codification existante, la rente ayant pendant des années, comblé les déficits au nom d’une paix sociale fictive, la marginalisation des compétences, tout cela engendré, fondamentalement, par la nature du système bureaucratique, explique l’effondrement du système d’information à tous les niveaux ou parfois des responsables sont informés par la presse ignorant le fonctionnement de leur secteur. Or, une erreur de politique économique peut se chiffrer en pertes pour la Nation de plusieurs centaines, voire des milliards de dollars.
Il existe des liens complexes entre le façonnement des comptes au niveau des entreprises et l’environnement, et lorsqu’on invoque la mauvaise gestion, il y a lieu de bien cerner l’ensemble des causes internes et externes du résultat brut d’exploitation. D’autant plus que les opérateurs publics durant cette phase où la bureaucratie est omniprésente subissent des injonctions qui échappent à leurs propres initiatives dont les différentes formes d’organisations depuis l‘indépendance politique, traduisent les rapports de force au niveau du pouvoir pour la gestion des capitaux marchands de l’État. D’où l’importance d’un système d’information transparent pour apprécier objectivement les performances. Car l’expérience montre souvent des amortissements exagérés par rapport aux normes internationales pour des unités comparables, le gonflement de la masse salariale qui éponge la valeur ajoutée, l’absence d’organigrammes précis des postes de travail par rapport au processus initial, gonflement démesuré des frais de siège qui constitue un transfert de valeur en dehors de l’entreprise avec prédominance des postes administratifs, des comptabilités à prix courants de peu de signification ne tenant pas compte du processus inflationniste.
Et comme au niveau macro-économique la production est production de marchandises par des marchandises nous sommes dans le brouillard pour tester les performances individuelles surtout en absence de comptes de surplus physico-financiers à prix constants qui peuvent aider à suppléer à ces déficiences comme je l’avais suggéré à la présidence de l’époque en tant que haut magistrat premier conseiller et directeur général à la cour des comptes entre 1980/1983.
Aussi, s’agit de bien spécifier les facteurs internes à l’entreprise des facteurs externes. Au niveau interne car beaucoup de gestionnaires rejettent la responsabilité sur les contraintes d’environnement en soulignant l’importance des créances impayées, force de travail inadaptée, blocage bancaire, infrastructures (logement – santé, routes) mais oublient d’organiser leurs entreprises. Combien d’entreprises publiques possèdent-elles la comptabilité analytique, les banques des comptabilités répondant aux normes internationales, afin de pouvoir déterminer leur efficience, loin de l’ancienne culture mue par l’unique dépense monétaire? Combien d’entreprises établissent un budget prévisionnel cohérent -du personnel, des achats, des ventes déterminant les écarts hebdomadaires, mensuels entre les objectifs et les réalisations-, ces opérations budgétisées étant la base du plan de financement, sans compter la faiblesse des différents travaux comptables de base.
Par ailleurs, l’absence d’observatoire de l’évolution des cours boursiers, permet des prix à l’achat exorbitants en devises pour ne pas parler de surfacturations, gonflant la rubrique achat de matières premières du compte d’exploitation où bon nombre de produits comme le blé, le rond à béton …etc. sont cotés journellement à la bourse. La compréhension des mécanismes boursiers, de l’évolution du Dollar, du Yen et de l’Euro a des incidences sur le niveau des réserves de change.
L’efficacité du contrôle doit s’insérer dans le cadre d’une vision stratégique
Les mécanismes de contrôle en économie de marché doivent définir la nature du rôle de l’État pour favoriser le contrôle. Or, la dilution des responsabilités à travers la mise en place de différentes commissions témoignent de l’impasse du contrôle institutionnel en dehors d’un cadre cohérent, où les règlements de comptes peuvent prendre le dessus. Qui est propriétaire? Car pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable. Peut- on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe. Un directeur général d’entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large -véritable pouvoir de décision-de son entreprise? Qui est propriétaire de l’ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes? C’est toute la problématique du passage de l’État propriétaire-gestionnaire à l’État Régulateur ou stratège que n’ont résolu jusqu’à présent à travers les différentes organisations de 1965 à 2021, grandes sociétés nationales 1965/1979- leurs restructurations de 1980/1987, les fonds de participations vers les années 1990, les holdings 1995/1999, puis entre 2000/2020 les sociétés de participation de l’État (SGP) et récemment au retour à la tutelle ministérielle.
Ces évolutions s’expliquent par les interférences entre le politique et l’économique dans le cadre de la gestion des capitaux marchands de l’État, y compris le système financier public enjeu de pouvoir. Nous pouvons distinguer six (6) cercles de décision. Le premier cercle est celui par lequel transitent toutes les décisions, sans exception, Présidence de la République et son staff et toutes les institutions qui lui sont rattachés, dont la défense, le ministère des affaires étrangères, des institutions comme le conseil de sécurité, le second cercle : le Chef du Gouvernement ou le Premier Ministre avec son staff, le troisième cercle comptant les ministères de souveraineté et de l’économie, le ministre de l’ intérieur, de la justice, des Finances, de l’Énergie, de l’investissement; le quatrième cercle est l’ensemble des organisations politiques (émanation du parlement) juridictionnel (Conseil Constitutionnel, Conseil d’État, Cour des Comptes, Conseil Économique et Social, Conseil de la concurrence, Conseil national de l’Énergie, en plus les conseils culturels et religieux); le cinquième cercle est composé des administrations sectorielles centrales et locales ; le sixième cercle de la décision est celui des syndicalistes, organisations professionnelles ou patronales, associations, entreprises publiques et privées; le sixième cercle peut être représenté par l’extérieur du fait des accords internationaux de l’Algérie notamment avec l’ONU, le FMI, la Banque mondiale et d’autres institutions internationales (zone de libre-échange avec UE, le monde arabe, l’Afrique, OMC).
En résumé…
Les pratiques sociales contredisent souvent les discours si louables soient-il, l’expérience montrant que la fuite en avant est l’installation de commissions bureaucratiques de peu d’effets. Comme l’a mis en relief l’économiste de renommée mondiale, John Maynard Keynes, il vaut mieux que l’homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur ses concitoyens. Comme je le rappelais dans une interview donnée au grand quotidien financier, les Échos – Paris le 07 aout 2008, le terrorisme bureaucratique et la corruption sont les obstacles principaux au frein à l’investissement porteur en Algérie. La lutte contre la mauvaise gestion et la corruption renvoie à la question de la bonne gouvernance et de la rationalisation de l’État dans ses choix en tant qu’identité de la représentation.
A. M.