Il s’agit, pour l’heure, d’analyser une disposition juridique que nous croyons inappropriée et susceptible d’entrainer des effets contrariants pour le développement de l’entreprise : en vertu de l’article 619 du code de commerce, ‘’le conseil d’administration doit être propriétaire d’un nombre d’actions représentant au minimum, vingt (20%) pour cent du capital social (…) ‘’. Le contenu de cet article n’est pas de nature à susciter l’enthousiasme et l’engagement.
Par Lies HAMIDI
En effet, nous estimons que les conditions actuelles requises pour siéger au sein du d’administration ne semblent pas répondre aux attentes des entreprises : imposer le statut d’actionnaire à l’administrateur (être propriétaire d’actions), préalablement à sa nomination au sein du conseil d’administration, est à notre avis, inopérant pour des raisons d’efficacité et d’efficience. L’entreprise performante est celle qui crée de l’intelligence collective, qui innove et qui atteint les objectifs qu’elle s’est fixés.
Cette performance se situe à quatre niveaux : économique (réduire les coûts de production et favoriser la compétitivité), financier (créer de la richesse et générer des profits à distribuer), opérationnel (optimiser le flux de travail et des ressources) et social (entretenir des relations apaisées avec les salariés, distribuer équitablement les fruits générés par l’entreprise).
Cependant, sommes-nous en mesure d’atteindre les performances assignées à l’entreprise en imposant la qualité d’actionnaire à l’administrateur ? Il est permis d’émettre des doutes et de s’interroger sur cette exigence tout aussi rigide, qu’inefficace.
Pour notre part, nous ne pensons pas que cette qualité représente la clé du succès et de l’efficacité de l’entreprise : l’administrateur porteur d’actions (surtout s’il n’est pas au fait des techniques managériales) ne défendra pas mieux les intérêts de la société que l’administrateur non porteur d’actions mais dont l’expertise managériale est avérée.
Indéniablement, le conseil d’administration a besoin pour son fonctionnement de managers désignés en raison de leur compétence et de leur savoir-faire, qu’ils soient actionnaires ou pas.
D’ailleurs, cette condition n’est pas de mise dans les législations étrangères : les administrateurs peuvent être désignés en dehors des actionnaires. Les qualités requises pour être administrateur sont liées à la connaissance du monde de l’entreprenariat : une culture d’entreprise qui obéit à un certain nombre de codes et de valeurs qui forgent l’identité d’une structure organisationnelle.
Dès lors, les détenteurs du capital et du pouvoir décisionnel se doivent de choisir des individus imbibés de connaissances managériales, dotés de savoir et de technicité qui permettent d’atteindre le succès, l’efficacité et l’efficience. En somme, des administrateurs capables d’innovation et de créativité : sens de l’organisation, faculté d’analyse, capacité d’adaptation, force de proposition…
A l’appui de la grandeur de la connaissance dans la gestion des entreprises, la théorie de la gouvernance cognitive développée notamment par Charreaux, G (2011), postule que la création de valeur provient de la capacité de l’équipe managériale à imaginer et construire de nouvelles méthodes productives ,en considérant que cette création dépend d’un ensemble cohérent mêlant organisation et compétences, dans un objectif de coordination et d’innovation.
Nous ajouterons que la compétence n’est pas forcement le niveau d’études dont peuvent se prévaloir les administrateurs. Elle dépend de la connaissance des techniques de management, de la grande polyvalence dans la maitrise des concepts de stratégie globale de l’entreprise et de la capacité à se positionner sur les marchés nationaux et internationaux.
Selon l’étude d’Aziez et Kouidri (cahiers du Cread n°113/114), fort intéressante et instructive, les administrateurs des entreprises publiques économiques se caractérisent majoritairement par un niveau d’instruction élevé puisque 93,13% d’entre eux ont des diplômes universitaires ou post universitaires. Est-ce à dire que les entreprises publiques sont performantes ? Nous considérons, en ce qui nous concerne, que les entreprises publiques malgré le niveau d’instruction de leurs dirigeants semblent peu compétitives, en sureffectif chronique et soutenues financièrement par l’Etat du fait de leur surendettement.
C’est dire que le niveau d’instruction des administrateurs ne suffit pas à relever le défi de la performance et de la compétitivité : la gestion intègre d’autres critères liés à la personnalité du manager, à ses capacités entrepreneuriales, à son expertise et à sa connaissance du monde de l’entreprise.
Aux Etats-Unis les plus belles réussites se sont souvent passées de diplômes universitaires. Nous nous contenterons de citer quatre personnalités (Etats-Unis et Algérie) du monde de l’entreprise connus et reconnus :
- Bill Gates /Microsoft : inscrit à la prestigieuse université de Harvard, il abandonne ses études universitaires pour se consacrer à Microsoft, système d’exploitation le plus utilisé au monde et le plus connu.
- Mark Zucherberg /Facebook : il décide également de laisser tomber les études d’université pour développer le réseau social le mieux structuré dans le partage et le rapprochement des personnes.
- Steve Jobs/Apple : après avoir abandonné ses études, il décide de s’investir dans son projet fétiche Apple, allant de succès en succès.
En Algérie, pour ne citer que lui, Monsieur Abdelmadjid Kerrar, un homme discret, au caractère trempé, fier de son pays, de sa culture et de ses origines, a pu s’imposer, par la connaissance aiguë du monde des affaires et par la maitrise des stratégies entrepreneuriales, comme une personnalité indéniable.
Figure incontestée de l’univers du négoce et des milieux commerciaux, Monsieur Kerrar est très respecté tant à l’échelle nationale, qu’internationale. Il est le fondateur du groupe Biopharm, leader dans le domaine du médicament et de l’industrie pharmaceutique. Les maitres mots qui caractérisent cet entrepreneur, hors pair et visionnaire sont : assurance, créativité, audace et humilité.
A propos de technicité managériale, il y a lieu de saluer l’appel à candidature émis par la direction générale du Trésor relevant du Ministère des finances.
Les termes de référence retenus pour le choix des administrateurs devant siéger dans les conseils d’administration des banques publiques sont liés principalement à la compétence et aux aptitudes managériales des candidats en matière de gestion : capacités et expertise dans les domaines stratégiques, financiers et opérationnels de la banque.
Qu’on en juge. Le candidat au poste d’administrateur indépendant doit :
- posséder un diplôme en rapport avec les domaines d’activités de la finance, de la comptabilité ou dans une discipline connexe,
- disposer d’une expertise avérée, en rapport avec les domaines de la finance, de la comptabilité, des sciences économiques ou des sciences de gestion,
- posséder les qualifications requises lui permettant d’accomplir convenablement sa mission,
- avoir une compréhension appropriée des différents types d’activité bancaire et une capacité d’analyse développée,
- satisfaire aux conditions d’honorabilité, d’intégrité, d’impartialité et d’honnêteté requises, en vertu des dispositions légales en vigueur.
Nous constatons ici que le recrutement de la direction du Trésor est basé principalement sur les capacités techniques et managériales du candidat et non pas seulement sur le diplôme. Voilà pourquoi le contenu de l’article 619 du code de commerce nous parait sclérosant et frappé de paralysie managériale. Pour cela, au lieu d’imposer des administrateurs issus du vivier de l’actionnariat, il serait plus pertinent d’ouvrir le conseil d’administration aux candidats externes et de ne retenir que des critères assis sur la compétence et la maitrise des concepts managériaux.
Aussi, il suffit de modifier ledit article, en ne liant plus la nomination des membres du conseil à la possession d’actions. Pour ce faire, on pourrait opter pour une disposition inclusive et en rédiger ainsi le contenu : ‘’les administrateurs peuvent être choisis parmi les actionnaires ou en dehors d’eux’’.
Ainsi donc, les décideurs auront le choix des personnes, en optant pour ceux qui disposeraient de connaissances techniques liées au domaine d’activité dont ils relèvent. Ils ne seront plus dans l’obligation de puiser dans la sphère des actionnaires qui peuvent s’avérer incompétents ou n’ayant pas les connaissances requises pour occuper la fonction d’administrateur. L’article 619 du code de commerce s’applique aux actionnaires du secteur privé, lesquels sont obligés d’élire des administrateurs issus de leur propre rang.
Cette disposition ne concerne pas le secteur public. L’Etat étant l’actionnaire unique peut faire appel à des compétences externes sans se soucier du fait qu’ils soient actionnaires, comme dans le secteur privé. Encore faut-il que les recrutements dans le secteur public, n’obéissent à d’autres critères que la compétence et la maitrise des techniques managériales. L’étude d’Aziez et Kouidri, issue d’une enquête auprès de 131 administrateurs d’entreprises publiques économiques, révèle que le mécanisme habituel des administrateurs relève fondamentalement de la cooptation, fondée sur les relations personnelles : 42,75% des administrateurs interrogés admettent que leur intégration au conseil dépend souvent de relations, alors que 5.34 % des administrateurs conviennent que la promotion au poste d’administrateur est toujours liée aux relations personnelles.
Aujourd’hui, compte tenu de la restriction de l’article 619 du code de commerce(être propriétaire d’actions avant la nomination de l’administrateur), les fondateurs sont obligés de faire appel à des techniques juridiques innovantes, pour permettre à l’administrateur de siéger au sein du conseil d’administration : recourir à la technique du prêt de consommation pour se conformer à la condition légale. Cela consiste à mettre à la disposition du nouvel administrateur, pour la durée de son mandat, un nombre d’actions à déterminer par les statuts. N’était-il pas plus judicieux de permettre à des administrateurs externes de siéger au sein du conseil d’administration, sans imposer la condition de possession d’actions ?
C’est pourquoi seules les connaissances managériales peuvent mettre l’administrateur à l’abri de la mauvaise humeur des actionnaires, dont il est le digne représentant : la dignité se mérite et se gagne de haute lutte.
Au total, on peut affirmer qu’il n’y a que le savoir et les capacités cognitives qui peuvent permettre à l’entreprise de connaitre l’essor et la prospérité. Capacités cognitives synonymes d’efficacité, de créativité et d’innovation. Une modification de l’article 619 s’impose pour élargir le champ de la connaissance, des idées et de l’épanouissement des sociétés.
L. HAMIDI
Docteur en droit