De nos jours, le mois du Ramadhan se caractérise par une course effrénée à la consommation. Pour nos anciens, si le Ramadhan est là, sa saveur, elle, n’est plus au rendez-vous. C’est du moins l’avis de Hadja Hanifa, une dame qui regrette sincèrement que les traditions se perdent, remplacées par un individualisme exacerbé par les nouvelles technologies. Assise sur un banc du square de son quartier, «Lla Hanifa», tout en surveillant d’un coin de l’œil son petit fils, se remémore ce temps perdu de la bonne odeur d’une chorba bien chaude, et de ces senteurs qui enivraient les quartiers d’Alger. «Ramadan n’est plus ce qu’il était, mais même nostalgique, il faut vivre avec son temps», nous dit-elle, avec une pointe d’amertume et de nostalgie.
Par Nahida Lyna
Voyant notre emballement à boire ses paroles douces et, notre désir de mieux la connaitre, « Lla Hanifa » ne s’est pas fait prier pour nous emmener avec elle dans ses souvenirs. «De mon temps, à l’approche de ce mois sacré, la Casbah bouillonnait. «Ramadan arrive ! », disait-on, un mois auparavant dans les rues de la Casbah et d’ailleurs aussi. C’est normal, car, le Ramadan, était dépeint, dans toutes les bouches comme un invité de marque».nous dit-elle, et de continuer : « Pour les ménagères, c’était l’occasion de faire le grand nettoyage. Elles savonnaient les murs, bichonnaient les cuivres et la grande vaisselle. De même, elles attachaient du raphia au bout d’un manche à balai pour enlever la poussière et les toiles d’araignées enfouies dans les «ghourfates». L’extérieur n’était pas délaissé pour autant. Avec de la chaux, les hommes enduisaient les murs anciens de leurs maisons. Quant à la chaux extraite de la Carrière Jaubert, elle servait à blanchir les terrasses et l’extérieur des «douérettes». On y ajoutait de la poudre d’alun et des morceaux de figues de barbaries. Un enduit qui résiste aux intempéries.»
Pour elle, Alger n’est plus ce qu’elle était, car elle a perdu un peu de son âme, et de son essence. «Est-ce que c’était mieux avant ? Je ne sais pas. Mais il y avait au moins cette solidarité entre voisins que je ne vois plus », fit-elle remarquer en continuant nous décrire son Ramadhan.
Pour ce mois, béni d’entre tous, «riches et pauvres, s’attelaient à s’approvisionner en denrées alimentaires non-périssables afin de constituer des réserves importantes. À cette époque, on mangeait ce qu’on avait pu stocker. Aux souks ou chez l’épicier du coin, le mot «makache» n’avait point sa place. Les commerçants répondaient «présent» et veillaient à maintenir les prix alimentaires stables. Le voilà de nouveau ! Toute la Casbah et Alger le célébrait avec faste. C’est dommage que vous n’ayez pas connu le coup de canon» dit-elle, visiblement émue par ce souvenir « De mon temps, la rupture du jeûne était en elle même un rite. «Le muezzin montait en haut du minaret et agitait un foulard blanc qui signifiait que l’heure est proche. Puis l’heure venue, il agitait un foulard vert, signe de rupture du jeûne. A ce moment là, tonnait un coup de canon pour ceux qui ne pouvaient pas voir le muezzin».
«La Hanifa se remit à surveiller son petit-fils, mais on pouvait lire dans ses yeux le plaisir qu’elle a eu à nous raconter son Ramadhan.
N. L.