Oh ! Le respect de la loi. Que des intentions et une molle application. Et à Montesquieu de nous rappeler que «le plus grand vice des lois, c’est qu’elles puissent rester sans exécution». Et nous ajouterons qu’elles ne peuvent être exécutées que si elles sont légitimées.
À l’échelle de l’entreprise, l’engagement pour un environnement louable et une gouvernance soucieuse de l’équilibre de l’intérêt des parties prenantes (associations de consommateurs, représentants du personnel, institutions environnementales, etc.) constitue, aujourd’hui, un baromètre de performance et d’efficacité de toute organisation.
L’entrepreneur qui veut asseoir sa réputation de visionnaire doit se conformer à la loi et aux règles de droit en général. Cette notion de la conformité de l’organisation représente un outil d’intégration et de comportement éthique: le principe de légalité représente la véritable colonne vertébrale de l’État de droit.
La norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) s’inscrit dans une démarche globale, non morcelée et interdépendante: elle s’appuie sur les sept questions centrales d’interdépendance (se référer aux principes de la norme, développés lors de nos précédentes chroniques).
Précisément, l’une des questions traite de la protection de la santé et de la sécurité des consommateurs: une démarche juridico-légale, synonyme de pérennité de l’entreprise.
Il s’agit dans notre réflexion, de protection du consommateur contre les prédateurs de la fraude alimentaire et de la falsification. Ceux-là même qui, aveuglés par leur cupidité, s’enfoncent dans la stupidité et refusent de se départir de l’égoïsme, de l’appétit du gain et de la domination. Bien entendu, les entreprises vertueuses, qui respectent la loi et les règles de bienséance, échappent à ce constat de désolation.
Pour ce faire, plusieurs textes issus de sources internes et internationales apportent un éclairage nouveau sur la consommation de biens et services et ouvrent des perspectives de défense des citoyens / consommateurs, malgré les scandales quotidiens rapportés par les médias et autres réseaux sociaux.
En droit algérien, il y a lieu de citer la loi n° 09-03, modifiée, relative à la protection du consommateur qui s’inspire des principes directeurs du droit international et de l’influence des acteurs internationaux (FAO, OMS, …) : création du codex alimentarius en 1962 et développement d’outils méthodologiques sur la sécurité sanitaire des aliments.
La législation relative à la protection du consommateur, oblige «tout intervenant dans le processus de mise à la consommation de denrées alimentaires (…) au respect des règles d’hygiène, de salubrité et d’innocuité des denrées alimentaires». Elle traite des obligations et des conséquences qui peuvent découler de la consommation «de produits reconnus impropres à la consommation, falsifiés, toxiques ou périmés (…)».
Les règles imposées sont très encadrées et assez détaillées. Elles se résument en conditions et modalités d’utilisation et inscrites dans les obligations suivantes: obligation de la sécurité des produits, obligation de la conformité des produits, obligation d’information du consommateur, obligation de garantie et de service après-vente et enfin obligation de protection des intérêts matériels et moraux du consommateur.
Prenons l’exemple de l’obligation d’information, il est utile de rappeler que le consommateur est en situation «de faiblesse informationnelle» face aux professionnels de l’industrie alimentaire, malgré les nombreuses indications fournies et disponibles sur internet. Il ne suffit pas que les mentions de l’étiquetage soient «accessibles aux consommateurs, de façon visible, lisible et indélébile», selon les termes de la loi 09-03.
Il est essentiel d’accéder à d’autres informations inhérentes à l’identification du produit, à sa nature, à son origine, de manière intelligible et compréhensible. Les allégations nutritionnelles, multiples et variées, ne sauraient emporter l’adhésion du consommateur: des pains industriels, aux friandises chocolatées, aux soupes instantanées et aux boissons énergisantes, la liste des ingrédients est fastidieuse, longue et indigeste.
Les produits transformés (un maquis d’appellations bizarres autant d’étranges) contiennent le plus souvent des additifs, des acides gras saturés, des huiles hydrogénées, des isolats de protéines (…), tous produits riches en gras, en sel et en sucre: les trois blancs de la détérioration sanitaire humaine, oserons-nous dire.
L’obligation légale d’information, telle que définie par la loi 09-03 permet-elle au consommateur «d’acter son achat» en toute connaissance de cause, lors de l’acquisition d’un produit? Les gestes d’achat ne sont-ils pas fondés sur l’habitude, même si le prix et la qualité y jouent un rôle essentiel? Exaspéré par le flot d’informations complexes et inintelligibles, le consommateur résigné, devient un acheteur passif, mou et indolent.
Aussi, s’agissant d’un domaine non maitrisé, le contrat de consommation qui met en relation un professionnel et un consommateur, profane et non initié, est un véritable contrat d’adhésion. Ledit consommateur, ne dispose d’aucun pouvoir de modification ou d’amendement. L’achat d’un produit aux spécificités du producteur / distributeur n’est ni négociable, ni discutable. C’est la rencontre de deux volontés inégalement exprimées: celle du plus fort qui impose sa volonté au plus faible. Il y a à l’évidence, une rupture d’égalité et de liberté dans les obligations contractuelles, quand bien même la loi cherche à équilibrer la relation producteur / consommateur. Dans ce schéma inégal, l’un des contractants (le consommateur) devient la proie de l’autre (le producteur). Ce phénomène de la dépendance économique n’est-il pas dû au développement des relations contractuelles? Celles-ci suppléant la norme d’inspiration législative. Le contrat devient-il la règle et la loi l’exception?
C’est pourquoi, il est impératif, pour l’État et les autorités sanitaires, d’imposer des règles strictes aux professionnels. La protection du consommateur est d’une nécessité vitale, compte tenu de son inexpérience et de ses connaissances rudimentaires en matière alimentaire: il ne saurait être livré corps et poings liés au prédateur ultime qu’est l’Homme.
En vérité, la législation sur la consommation ne peut prendre en charge les préoccupations du consommateur. Le droit semble impuissant, au regard de la domination du puissant, détenteur de la force économique, juridique et morale.
Force est de constater qu’en dépit de tout l’arsenal juridico judiciaire, les pouvoirs publics semblent désarmés face au lobby de l’industrie agroalimentaire. À ce titre, selon le bilan 2021 des activités du Ministère du commerce en matière de contrôle de la qualité et de la répression des fraudes «les services concernés ont effectué 789.050 interventions ayant permis de constater 44.072 infractions donnant lieu à l’établissement de 41.297 procès-verbaux (…)». Ces infractions concernent, principalement, le défaut d’hygiène, la tromperie, la détention et mise en vente de produits non conformes.
Au total, sommes-nous condamnés à subir le diktat du marché, du profit et de la dérégulation à tout crin? L’esprit civique est-il enterré? Il est urgent que la société civile s’implique avec énergie et s’oppose aux forces de l’argent, de l’avidité et de la rapacité. Dans ce registre, il est impératif de rendre un hommage appuyé aux associations de consommateurs pour leur combat contre l’abus des professionnels de l’alimentaire.
Eh ! Les puissants de l’industrie agroalimentaire, vos jeux sont faits. À présent «ouvrez vos yeux, rien ne va plus». Adoptez ce proverbe africain, plein de sagesse et d’humanisme, et épousez sa philosophie: «tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin».
Lies HAMIDI
Docteur en droit