La mise en jeu de la responsabilité du gérant

Lies Hamidi

La responsabilité du gérant qu’il soit associé ou non est triple : civile, pénale, fiscale et particulière en cas de procédure collective.

Par Lies HAMIDI

1- La responsabilité civile La responsabilité de l’associé ne peut être recherchée en cas de dommages causés aux tiers. Ces derniers doivent s’adresser à la société et non au dirigeant de la SARL. La responsabilité de ce dernier n’est engagée qu’en cas de faute détachable de l’exercice de sa fonction.

Ainsi, lorsque la faute est imputable au gérant, le tiers doit se retourner contre la société qui sert de bouclier au gérant fautif, sauf à démontrer que la faute commise par le gérant lui est imputable à titre personnel.

Le principe de la faute détachable a été rappelé avec force par la jurisprudence : « il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une gravité particulière, incompatible avec l’exercice normal de fonctions sociales.

L’élément intentionnel est, ici, primordial. Le dirigeant fautif n’est condamnable que lorsque le fait délictueux a été accompli avec conscience et volonté de nuire à autrui ».

Par ailleurs, si la société est civilement responsable des actes délictueux de son gérant, il est aisé pour elle de se retourner contre lui par le biais d’une action récursoire, dès lors qu’elle peut démontrer une faute de gestion et un lien de causalité avec le préjudice causé.

Le préjudice est double : social et individuel.
1.1- Le préjudice social Le préjudice est social lorsqu’il est subi par la société : présentation d’un résultat erroné suite à des manœuvres frauduleuses, pertes récurrentes et répétées du fait de combinaisons outrancières portant
atteinte à l’intérêt social…

L’associé peut intenter l’action sociale devant les tribunaux compétents pour la défense du patrimoine social, au nom et pour le compte de la société.

1.2- Le préjudice individuel

L’action individuelle est intentée parce que l’associé est victime d’un préjudice personnel différent de celui subi par la société (manœuvres frauduleuses ayant empêché la distribution de dividendes).

En conséquence, la condamnation du gérant fautif à des dommages-intérêts est le résultat d’une action personnelle et non sociale. Ces dommages-intérêts reviennent, donc, à l’associé dépouillé de ses droits.

2- La responsabilité pénale

Si la responsabilité civile du gérant n’est pas recherchée, sauf exception, il reste que sa responsabilité pénale est engagée en cas de non respect des dispositions législatives ou réglementaires, de violation des statuts et de fautes commises dans la gestion.

Aussi donc, certaines infractions qui relèvent de délits spécifiques, peuvent être imputées aux dirigeants indélicats.

Il s’agit des faits suivants, punissables par la loi :

2.1- L’abus de biens sociaux (art 800 al. 4 code de commerce)

Est punissable pénalement tout gérant qui de mauvaise foi, aura fait des biens ou du crédit de la société, des pouvoirs qu’il possédait ou de voix dont il disposait, un usage qu’il savait contraire aux intérêts de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.

La sanction pénale est double : un an à cinq ans d’emprisonnement et une amende de 20.000,00 à 200.000,00 DA, ou l’une de ces deux peines seulement.

Pour ce faire, il y a lieu de réunir les deux éléments de l’infraction que sont l’élément moral et l’élément matériel.

A- L’élément matériel

L’élément matériel suppose un acte d’usage et un usage contraire à l’intérêt social. Il englobe aussi bien les actes de disposition que les actes d’administration.

Le fait de détourner des biens appartenant à la société ou les utiliser à son profit constitue un abus de biens.
L’abus de biens sociaux est à l’évidence contraire à l’intérêt social.

L’appauvrissement de la société, par la production de factures fausses ou fictives, constitue une atteinte grave tant à l’intérêt de la société qu’à celui des associés.

B- L’élément moral

L’élément moral suppose un usage de mauvaise foi et l’usage à des fins personnelles. Il est caractéristique d’une prise de conscience dans le comportement délictueux.

Se soustraire à des obligations légales afin d’appauvrir la société est une atteinte grave aux intérêts des parties : les tiers, l’administration fiscale, les associés … Il ne s’agit pas, ici, d’une faute par imprudence ou négligence, mais bien d’une faute volontaire, avec un usage de mauvaise foi.

Le gérant de la société, en cherchant à satisfaire un intérêt personnel, par la production de factures fausses ou fictives, s’est démarqué des dispositions légales et statutaires et violé l’intérêt social.

2.2- La présentation ou la publication de comptes annuels inexacts (art 800 al. 3 code de commerce)

Les comptes annuels comprennent aussi bien le bilan que le compte de résultat et les annexes.

La publication de comptes annuels inexacts basés sur des chiffres irréguliers et non sincères, est une infraction à la loi et punissable comme telle : à titre d’illustration l’établissement de fausses factures afin d’augmenter artificiellement les charges et partant échapper au paiement de l’impôt (IBS et TVA), constitue une atteinte grave à la loi.

Le gérant par une attitude de fraude, de minoration et de dissimulation peut être tenté d’agir avec conscience et mauvaise foi, pour enlaidir le bilan et par conséquent réaliser une économie fiscale.

La publication de comptes annuels renseigne les tiers sur la santé financière de l’entreprise. Elle permet à ces derniers de connaitre de la solvabilité de la société avant toute opération d’investissement.

Cette publication est également utile aux associés pour leur permettre d’évaluer la capacité de gestion du gérant.

Le gérant frauduleux est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 20.000,00 à 20.000,00 DA. C’est le cas, par exemple, lorsque le gérant présente aux associés un bilan inexact en vue de dissimuler la véritable situation de la société.

2.3- L’absence d’inventaire ou inventaires frauduleux ayant donné lieu à la répartition de dividendes fictifs (art 800 al. 2 code de commerce).

Les gérants qui en l’absence d’inventaires ou au moyen d’inventaires frauduleux auront sciemment opéré entre les associés la répartition de dividendes fictifs, seront punis d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 20.000,00 à 200.000,00 DA (…).

2.4- La perte des 3/4 du capital social (arts 589 et 803 code de commerce)

Si la situation de la société devient préoccupante en raison de l’accumulation des pertes, des mesures de redressement doivent être prises par les dirigeants d’entreprise.

L’article 589 souligne la procédure à suivre, en pareil cas. Quant à l’article 803, il traduit le défaut de consultation des associés par des sanctions pénales sévères. Ainsi donc, l’article 589 en son alinéa 2 dispose : « en cas de perte des 3/4 du capital social, les gérants sont tenus de consulter les associés à l’effet de statuer sur la question de
savoir s’il y a lieu de prononcer la dissolution de la société.

A défaut, pour les gérants, de consulter les associés comme dans le cas ou ceux-ci n’auraient pu délibérer régulièrement, tout intéressé peut demander la dissolution de la société devant les tribunaux ».

S’agissant de l’aspect répressif, l’article 803 dispose : « seront punis d’un emprisonnement d’un mois à trois mois et d’une amende de 20.000,00 à 100.000,00 DA (…) les gérants qui sciemment, lorsque l’actif net de la société, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, devient inférieur au 1/4 du capital social : n’auront pas, dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaitre ces pertes, consulté les associés afin de décider s’il y a lieu à dissolution anticipée, n’auront pas déposé au greffe du tribunal et publié dans un journal habilité à recevoir les annonces légales, la décision adoptée par les associés ».

3- La responsabilité fiscale

La responsabilité fiscale du gérant est engagée lorsqu’apparait un acte anormal de gestion empêchant le fisc de participer à la richesse générée par la société.

Le gérant en diminuant de manière indue le résultat fiscal, par des manœuvres frauduleuses, s’attire les foudres de l’autorité fiscale.

Celle-ci est en mesure de rectifier l’assiette de la créance fiscale en y intégrant les charges qui résultent d’actes prohibitifs et contraires à l’intérêt social. L’élaboration de factures fausses ou fictives, en est le parfait exemple.

En cas de manœuvres frauduleuses, une majoration correspondant au taux de dissimulation observé par le tribunal est applicable.

Ce taux correspond à la proportion de droits dissimulés par rapport aux droits dus au titre du même exercice (le taux applicable pouvant atteindre 100%).

Les infractions qui relèvent de la fiscalité sont :

Art 193-1 du CIDTA (code des impôts directs et taxes assimilées) : sont notamment considérées comme manœuvres frauduleuses :

a- la dissimulation ou la tentative de dissimulation par toute personne, des sommes ou produits auxquels s’appliquent la taxe sur la valeur ajoutée dont elle est redevable et, plus particulièrement, les ventes sans factures;

b- la production de pièces fausses ou inexactes à l’appui de demandes tendant à obtenir, soit le dégrèvement, la remise, la décharge ou la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée, soit le bénéfice d’avantages fiscaux en faveur
de certaines catégories de redevables.

c- le fait d’avoir sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures ou d’avoir passé ou fait passer des écritures inexactes ou fictives, au livre journal et au livre d’inventaire prévus par les articles 9 et 10 du code de commerce ou dans les documents qui en tiennent lieu.

Cette disposition n’est applicable que pour les irrégularités concernant des exercices dont les écritures ont été arrêtées ;

d- le fait pour un contribuable d’organiser son insolvabilité ou de mettre obstacle par d’autres manœuvres au recouvrement de tout impôt ou taxe dont il est redevable. e- (….)

Art 303-1 du CIDTA (code des impôts directs et taxes assimilées) : quiconque, en employant des manœuvres frauduleuses s’est soustrait ou a tenté de se soustraire, en totalité ou en partie, à l’assiette ou à la liquidation de tout impôt, droit ou taxe et indépendamment des sanctions fiscales applicables est passible de l’emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de 5.000.000,00 à 10.000.000,00 DA, ou l’une de ces deux peines seulement, lorsque le montant des droits éludés est supérieur à 10.000.000,00 DA (la peine applicable est fonction de la portion des droits éludés).

En conclusion, on peut admettre que le gérant associé s’exposerait à plusieurs actes infractionnels et des poursuites judiciaires, en cas de violation des règles de droit.
Lorsque le gérant ignore l’intérêt social, il se met en marge des principes fondamentaux de la société. C’est donc, son attitude et son comportement qui permettront de déterminer sa responsabilité.
L’intérêt social représente l’intérêt commun de tous les associés. C’est une règle de conduite intangible et la boussole qui indique le chemin à prendre.

L. H.

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