Dans le contexte mondial d’instabilité économique et politique, les investisseurs cherchent, à travers des lois claires, lisibles et prévisibles, à stabiliser leurs investissements. Aussi, les entreprises étrangères souhaitent se protéger des risques juridiques encourus, lors de leur installation dans le pays d’accueil. Pour ce faire, elles sont en attente de droits protecteurs et de garanties fortes et sécurisantes.
Par Lies Hamidi
Docteur d’Etat en Droit
Directeur de l’IDEG
De plus en plus d’étrangers, qui projettent d’investir dans des pays tiers, se déterminent en scrutant les législations du pays d’accueil et en inscrivant leur action en fonction des résultats juridico-légaux obtenus: signature de conventions bilatérales de protection des investissements, existence d’accords multilatéraux, mise en place d’outils protecteurs à la fois de l’investisseur et de l’investissement (…). Ces outils constituent un facteur rassurant et stabilisant, pour tout investisseur, en quête de sécurité juridique. Parmi ceux-ci, la stabilité de la loi (intangibilité des droits acquis) et les procédures de règlement des conflits (les recours judiciaire et administratif) y figurent en bonne place, dans le nouveau dispositif (loi 22-18 du 24.07. 2022 relative à l’investissement, J.O du 28.07.2022, N° 50) :
Les différents recours (articles 11 et 12/ loi 22-18 + articles 6 et 7 / décret présidentiel 22-96): Le recours administratif (article 11/ loi 22-18)
Il est institué, auprès de la présidence de la République, une haute commission nationale des recours, chargée de statuer sur les actions introduites par les investisseurs. Le recours est adressé à la commission dans un délai n’excédant pas deux(2) mois, à compter de la notification de la décision contestée. La haute commission doit statuer sur ce recours dans un délai ne dépassant pas un (01) mois, à partir de sa saisine (article 11de la loi 22-18). Elle est saisie pour tout litige lié à l’investissement, notamment en cas de retrait ou de refus d’octroi des avantages et de refus d’établissement de décisions, documents et autorisations par les administrations et organismes concernés (article 7 du décret présidentiel N°22-96 du 04.09.2022 fixant la composition et le fonctionnement de la haute commission nationale des recours liés à l’investissement, J.O du 18.09.2022, N° 60). L’investisseur peut en outre introduire un recours judiciaire devant les juridictions compétentes.
Par cette mesure, il y a, là, une marque supplémentaire dans la volonté de résoudre les problèmes liés aux entraves bureaucratiques et un message fort à l’adresse de ceux qui veulent empêcher l’affirmation de l’action politique. La bureaucratie est un mal endémique qui distille un poison paralysant et invalidant. Elle gangrène toute la société et empoisonne la vie de citoyens paisibles. Elle décourage les investisseurs et les fait partir vers d’autres cieux plus cléments et moins tatillons: la concurrence aidant, c’est à celui qui fera mieux que les autres.
Le recours judiciaire et les autres procédures de règlement des conflits: arbitrage, médiation et conciliation (article 12/ loi 22-18)
Les investisseurs tiendront compte dans leur projection d’investissement, de la possibilité offerte par le législateur algérien de régler les différends, pouvant surgir à l’occasion de leurs activités, en dehors du système judiciaire du pays d’accueil. En effet, ces investisseurs nourrissent, à tort ou à raison, des doutes quant à l’efficacité du pouvoir judiciaire local.
Pour ce faire, en vertu de l’article 12 (…) «tout différend né de l’application de la loi, entre l’investisseur étranger et L’Etat algérien, résultant du fait de l’investisseur ou d’une mesure prise par l’Etat algérien à l’encontre de celui-ci, est soumis aux juridictions algériennes compétentes, sauf dispositions de conventions bilatérales ou multilatérales ratifiées par l’Etat algérien relatives à la conciliation, la médiation et l’arbitrage ou d’un compromis entre l’Agence, agissant au nom de l’Etat, et l’investisseur (…)».
Aux conventions bilatérales conclues avec ses principaux partenaires, et qui prévoient toutes des dispositions relatives à l’arbitrage, s’ajoutent l’adhésion de l’Algérie à des conventions et autres accords internationaux.
Il en est ainsi de la convention de Washington du 18 mars 1965, pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats et de la convention de new York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958.
A titre d’illustration, la convention entre le gouvernement algérien et le gouvernement koweitien portant sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements, signée le 30.09.2001, offre le choix à l’un des pays signataires de soumettre le différend à l’une des procédures convenables à son règlement ou au centre international pour le règlement des différends de l’investissement(CIRDI).
La stabilité de la loi et l’intangibilité des droits acquis (article 13 /loi 22-18)
Selon l’article 13, «les effets de révisions ou des abrogations portant sur la présente loi [22-18] susceptibles d’intervenir à l’avenir, ne s’appliquent pas à l’investissement réalisé sous l’empire de cette loi [22-18], à moins que l’investisseur ne le demande expressément».
Par ailleurs, nous dit l’article 38, «les investissements bénéficiant des avantages prévus par les lois relatives au développement et à la promotion de l’investissement antérieures à la présente loi, ainsi que l’ensemble des textes subséquents, demeurent régis par les lois sous l’empire desquelles ils ont été enregistrés et/ou déclarés jusqu’à expiration de la durée desdits avantages».
Le contenu de l’article 13 renforce le principe des droits acquis: l’Etat, par les actes de loyauté et de bonne foi, est en mesure de créer une synergie positive et un climat empreint de sérénité à même d’attirer les capitaux étrangers. Outil d’apaisement moral, la dimension psychologique est essentielle dans l’acte d’investissement.
Cependant, ce principe des droits acquis n’est pas synonyme de «congélation législative»: les textes de lois ne relèvent pas du domaine de la sacralité: ils ne sont ni intangibles, ni éternels ou immuables. Par la stabilité, le législateur semble combiner deux principes directeurs: avancement du droit et sécurité juridique. L’investisseur n’est pas là pour s’opposer à la règle de droit. Ses attentes, qui sont légitimes, sont ailleurs: les changements juridiques opérés par l’Etat se doivent d’être introduits de manière à ne pas heurter sa confiance et la sécurité de son investissement. Dès lors, la promulgation de lois non intempestives, paisibles, stables et prévisibles est susceptible de rassurer tout potentiel investisseur. Par le passé, la propension de l’Etat à remettre en cause ses propres règles de droit et les fréquents revirements législatifs et réglementaires (amendements, modifications voire abrogations) déroute les investisseurs soucieux de sécurité juridique. Il est même arrivé que les textes d’application donnent une autre interprétation que celle contenue dans un texte à valeur législative. Du fait de leur non consolidation, les modifications substantielles opérées par les lois de finances créent de la complexité, voire de l’obscurité dans le traitement des textes juridiques. L’inflation normative et «les objets juridiques non identifiés» (O.J.N.I), ne sont pas de nature à apaiser l’investisseur. Ce dernier hésitera à s’engager dans ce qu’il considère comme une aventure économique.
Les investisseurs ont besoin d’investir dans des pays qui les rassurent et qui les rassérènent. Les écarts législatifs (textes modifiant certaines dispositions, abrogeant d’autres et recours excessifs aux lois de finances) ne concourent pas à la stabilité, notamment dans la période de crise économique mondiale et des soubresauts politiques. Dès lors, il est plus qu’indispensable d’agir avec promptitude et diligence dans l’action juridico-législative, tant l’investisseur est sensible à l’équilibre des intérêts et à la constance.
A ce titre, il faut saluer la célérité avec laquelle le gouvernement a réagi en publiant les textes d’application de la loi 22-18, moins de deux mois après sa promulgation. C’est un gage supplémentaire dans la détermination de l’Etat à mener les réformes à leur fin. C’est aussi la volonté des pouvoirs publics d’élaborer «les lois et les textes d’application, dorénavant, de façon parallèle en vue de mettre un terme au retard enregistré dans la mise en œuvre de la loi (…)» (Présentation du plan d’action du gouvernement devant les membres du conseil de la Nation, 22 septembre 2021).
Au total, pour permettre la réussite de cette ambitieuse loi (22-18), il est primordial d’unir tous les acteurs impliqués dans l’acte d’investir. Ceci leur permettra de se familiariser avec les concepts juridiques issus du texte légal, d’en vulgariser le contenu et de rendre accessibles les termes utilisés. La vulgarisation se fera à travers l’organisation d’ateliers ou seront conviées différentes institutions chargées de mettre en œuvre la loi 22-18 relative à l’investissement: magistrats de la haute commission nationale des recours, membres du conseil national de l’investissement, membres du conseil d’administration de l’Agence algérienne de promotion de l’investissement, représentants de la Banque d’Algérie, élus locaux, tout agent de l’administration doté d’un pouvoir décisionnel et plus généralement toute personne désignée en raison de ses compétences et de son expertise dans le domaine de l’investissement (experts économiques et financiers, chercheurs, investisseurs…). Par une reformulation du discours juridique, les participants auront le loisir d’en apprécier la teneur, de façon claire et compréhensible: l’approche pédagogique est toute indiquée dans la transmission du savoir et des connaissances, tout à la fois théoriques et pratiques.
Le savoir et la connaissance sont les maîtres mots d’une réussite pérenne: «le fait d’admettre que l’on ne sait pas tout est le premier pas de notre voyage vers la connaissance», nous rappelle Socrate. C’est cela le gage du succès et de la pérennité.
L. H.