Biologiste marin de formation, Islam Bentahar a étudié en Algérie avant de poursuivre un master en océanologie en France. Après des expériences au CNRS et au parc national des Calanques, où il a travaillé sur le recensement de la biodiversité marine et terrestre, il revient en Algérie pour partager son savoir et valoriser le patrimoine naturel du littoral algérien. Fondateur de PARSAC, une plateforme citoyenne dédiée à la biodiversité marine et littorale, il unit experts, naturalistes et citoyens dans une mission commune : protéger et faire rayonner la richesse écologique du littoral algérien.
Entretien réalisé par Houria Mosbah
Ecotimes : Qu’est-ce qui vous a inspiré à créer Parsac ? Y a-t-il eu un événement particulier qui vous a motivé à lancer ce projet ?
Islam Bentahar : Pendant des années, j’ai été confrontée au manque ou à la difficulté d’accès aux données brutes pour les scientifiques. Les informations disponibles se limitaient souvent à ce qui était publié dans des guides ou des articles, sans accès direct aux données sous-jacentes. Pendant la période du Covid, j’ai réfléchi à une nouvelle direction, ce qui a conduit à la création de Parsac.
En 2021, avec un ami, nous avons créé une application pour faciliter l’accès aux données et intégrer les sciences participatives, permettant aux usagers de la mer (plongeurs, plaisanciers, chasseurs) de collecter des données. En 2022, grâce à un partenariat avec l’association Mare Nostrum et une subvention du PNUD de 30 000 dollars, nous avons développé l’application actuelle et lancé des actions de sensibilisation et de formation sur la biodiversité marine.
En plus de l’application, avez-vous des actions de sensibilisation ?
Absolument. Une grande partie du projet a été dédiée à la sensibilisation et à l’éducation à l’environnement. Environ deux tiers des efforts concernaient la sensibilisation et la formation, tandis qu’un tiers était consacré au développement de l’application.
Nous avons organisé des sorties pédagogiques avec des élèves pour leur faire découvrir le littoral, en mettant l’accent sur la flore et la biodiversité marine, ainsi que sur les impacts du changement climatique, comme la pollution plastique.
Nous avons aussi formé des plongeurs, y compris des amateurs, à identifier les espèces marines pour qu’ils puissent devenir des observateurs actifs de la biodiversité.
Enfin, nous avons sélectionné les plongeurs les plus expérimentés pour des formations approfondies sur les protocoles de suivi naturaliste. L’objectif était de les outiller pour mettre en place des protocoles sur le long terme, contribuant ainsi à une veille écologique.
Pourquoi avoir choisi une approche participative et citoyenne pour collecter les données sur la biodiversité marine ?
L’approche participative est essentielle, car les scientifiques ne peuvent pas être partout et manquent souvent de ressources pour effectuer des recherches en mer. En impliquant plongeurs, pêcheurs et passionnés de nature, nous créons un réseau d’observateurs réguliers sur le littoral et en mer.
Ces participants ne se contentent pas de fournir des données, ils deviennent des acteurs responsables de la conservation, contribuant à la collecte d’informations et à la sensibilisation à la protection de l’environnement marin.
Que faites-vous des données récoltées via Parsac ?
Les données sont traitées de manière rigoureuse : lorsqu’un utilisateur soumet une observation via l’application, elle est vérifiée par notre équipe. Si nécessaire, nous faisons appel à des experts externes pour confirmer l’identification des espèces. Ces informations sont ensuite intégrées à une base de données scientifique, avec des répertoires détaillés, incluant photos et descriptions des espèces.
Par ailleurs, les observations récurrentes, comme des échouages ou des infractions, permettent d’identifier des tendances. Ces données peuvent ensuite orienter la mise en place de protocoles d’observation ou de mesures de gestion spécifiques, par exemple pour protéger une zone de nidification de tortues.
Quels sont, selon vous, les principaux enjeux environnementaux auxquels fait face la biodiversité marine et le littoral en Algérie ?
La Méditerranée est une mer semi-fermée, et 60 % de la population algérienne vit sur le littoral, exerçant une forte pression démographique : urbanisation, destruction des habitats et pollution (plastiques, rejets divers). Ces activités dégradent les écosystèmes, entraînant la disparition d’espèces et des services écologiques. La pollution plastique est un enjeu majeur. Les efforts doivent se concentrer sur la préservation des habitats, la régulation des activités humaines et la sensibilisation à l’impact des comportements individuels.
La sensibilisation des citoyens est un défi crucial. Pensez-vous que les Algériens sont suffisamment informés sur l’importance de la biodiversité, et comment PARSAC pourrait-il combler ce manque ?
La sensibilisation à la biodiversité marine en Algérie est encore à ses débuts, avec un manque de connaissances. Chaque année, nous organisons les rencontres de l’image sous-marine pour sensibiliser le public à travers des photographies, suscitant souvent l’étonnement face aux richesses locales. PARSAC peut devenir un outil clé pour éduquer les jeunes et promouvoir des pratiques responsables.
Cependant, des défis subsistent, notamment la réduction des déchets plastiques, représentant 70 % des déchets marins. Malgré des progrès en gestion des déchets, beaucoup reste à faire. Avec plus de temps et de financement, nous pourrions structurer davantage PARSAC et engager des personnes dédiées à cette sensibilisation.
Quels sont vos objectifs pour PARSAC dans les prochaines années ?
Nous voulons étendre notre ré- seau de sentinelles en formant des observateurs à la biologie marine et à l’identification des espèces, tout en lançant des veilles scientifiques pour suivre des espèces clés. L’objectif est de fidéliser cette communauté et de développer une application web avec une carte interactive, rendant les points d’observation accessibles tout en protégeant les sites sensibles. Enfin, nous visons à renforcer notre visibilité nationale, structurer notre initiative et fédérer une communauté autour de PARSAC.
Selon vous, quelle est la place de PARSAC dans l’écosystème global de protection de la biodiversité marine en Algérie ?
PARSAC est une pierre angulaire, connectant scientifiques, gestionnaires et citoyens engagés. Nous facilitons les sciences participatives en partageant des protocoles standardisés que les participants utilisent pour collecter des données. Les scientifiques analysent ensuite ces données pour formuler des recommandations destinées aux décideurs, tels que les ministères ou gestionnaires d’aires protégées. En renforçant la collaboration entre les acteurs, PARSAC contribue à des actions concrètes pour la protection et la gestion durable de la biodiversité.
H. M.







