Restés longtemps dans l’ombre du secteur public, les entrepreneurs algériens sont « apparus » du jour au lendemain. Leur situation s’est ainsi transformée d’une «liberté surveillée» à une franchise totale. Pourtant, le chemin reste long à parcourir pour créer une entreprise en Algérie…L’expert, Smain lalmas, a bien voulu nous donner son avis sur le pourquoi et le comment des difficultés endurées par les investisseurs et l’acte d’investir.
Eco Times : Alors qu’ailleurs, il suffit juste d’un seul clic pour créer une société, donc investir, chez nous cela peut prendre plusieurs mois. Selon vous quelle en est la cause ?
Smain lalmas : Il est vrai que l’Algérie, avec l’ouverture économique dans les années 90, avait affiché un discours qui encourageait l’investissement et donc l’entreprenariat à travers une volonté de changement de cap de son modèle économique, via des reformes et lois facilitant la création d’entreprises. Mais il se trouve que ce changement ou ce grand virage qui illustre le passage d’une économie sous contrôle d‘un Etat investisseur vers un état incitateur à l’investissement, a été mal négocié ; un changement brutal qui n’a pas réussi à se débarrasser des réflexes et comportements hérités de l’époque du monopole de l’Etat, avec une bureaucratie étouffante, un personnel souvent non qualifié pour accompagner la dynamique entrepreneuriale, des lenteurs dans le traitement des dossiers et la corruption qui a fini par réussir à décourager nos investisseurs et rendre l’acte d’investir compliqué en Algérie. Pour cela, il n y a qu’à voir le classement DOING BUSINESS 2019 qui classe l’Algérie dans les derniers rangs notre pays dans le domaine de la création des entreprises, 157ème rang sur 190.
Il faut donc améliorer le climat des affaires. Mais pour cela, il est nécessaire de revoir complètement nos dispositifs, en modernisant notre administration pour simplifier les démarches et réduire les délais de traitement des dossiers et apporter toutes les réponses pouvant orienter et accompagner nos investisseurs potentiels afin de réussir leurs projets. Il est évident de comprendre, une fois pour toute, que la compétence doit être un facteur déterminant pour réussir ces changements.
Les IDE en Algérie sont en hausse relative, mais ne concernent pratiquement qu’un seul secteur (automobile), qu’y a-t-il lieu de faire pour diversifier les investissements ?
Il faut savoir que l’attrait des investisseurs étrangers est un axe déterminant de nombreux pays dans le monde, justifié par de nombreux avantages, notamment, leurs impacts sur la croissance, les apports en tout type de ressources, les transferts de technologies, des partenariats facilitant l’accès aux marchés internationaux, l’amélioration des capacités de gestion, enfin, un certain nombre d’avantages qui ont réussi à faire le bonheur des économies de beaucoup de pays. Vous comprendrez donc, que la concurrence est rude en termes d’attractivité entre pays pour les IDE.
Contrairement à ce que vous dites, nous constatons une faible performance de l’Algérie en termes de flux des IDE qui peut être attribuée au manque d’attractivité qui a pour origine l’aspect institutionnel, l’instabilité de la réglementation régissant les IDE qui devrait normalement être au cœur d’une politique agressive d’attractivité de ce type d’investissement, ajouté à tout cela, le phénomène de la corruption qui a réussi à ternir l’image de notre pays.
Lancer des signaux positifs aux investisseurs étrangers passera forcément par un lifting pour redorer l’image de l’Algérie, et ce lifting nécessitera à son tour, un changement de système politique à l’origine de cette mauvaise image.
L’entrepreneur algérien est souvent vu en tant qu’entrepreneur opportuniste, au sens où son investissement révèle un caractère spéculateur. Pensez-vous que la législation actuelle puisse changer la situation et comment ? Du moins, comment l’améliorer et l’adapter aux exigences mondiales actuelles ?
Un entrepreneur, est un opportuniste par excellence, dans le sens où il doit saisir toute opportunité qui se présente à lui dans l’environnement dans lequel il active. Dans cette optique, c’est l’environnement qui est une source d’opportunités qui agit sur l’entrepreneur dans ses choix en matière d’investissement.
Cela dit, l’Algérie est réputée pour avoir connu plusieurs épisodes en matière de changement de législation, sans pour autant atteindre les résultats escomptés, à savoir dynamiser et diversifier son économie. Donc, la législation actuelle ne va rien changer du tout : les complications dans l’acte d’investir avec un climat d’affaires défavorable sont et seront toujours au rendez-vous. Croyez moi, ce n’est pas juste un changement de législation, ce n’est pas si simple. En économie, les solutions sont souvent en étroite relation avec la chose politique qui permet de donner une vision claire et un projet économique codifiable, donnant la possibilité aux investisseurs de l’intégrer et d’y prendre part.
Pour revenir à la dernière partie de votre question, qui consiste à faire en sorte que nos entrepreneurs puissent s’adapter aux exigences mondiales, cela est lié étroitement à la dynamique entrepreneuriale qui se dégage du climat économique du pays et poserait aussi la question de l’intégration de l’économie algérienne dans une économie mondiale qui a une logique de club dont le droit d’accès est souvent chèrement payé.
Une question qui revient souvent, oubliant au passage que l’Algérie est confrontée à plusieurs problématiques dont celle d’un pays dont l’économie est basée exclusivement sur les hydrocarbures, donc très peu diversifiée, l’empêchant ainsi son développement, qui nécessite une diversification productive qui réduirait la dépendance de sa croissance aux fluctuations exogènes de ses ressources pétrolières et gazières.
Mais on oublie souvent que parler de la dimension mondiale passerait tout d’abord par régler les aspects internes de notre économie, notamment, cette économie souterraine ou informelle, qui reste un phénomène très grave, qui menace sérieusement notre économie.
La frénésie des réformes n’a pas facilité l’entrepreneuriat pour autant et a mis entre parenthèses l’esprit d’entreprise. Est-ce toujours le cas ?
A mon avis, il faut commencer par simplifier les concepts et les définitions, pour mieux comprendre les choses et trouver les solutions aux problèmes. L’économie est avant tout la production, donc l’entreprise et pour cela, il est essentiel d’encourager l’esprit d’entreprise pour, justement, encourager la création d’entreprises, un élément fondamental pour la croissance et favoriser la création d’opportunités économiques et des emplois, en contribuant ainsi, à diminuer le taux de chômage et à améliorer de ce fait, les conditions de vie de nos citoyens.
En effet, comme vous le dites si bien, cette frénésie a mis entre parenthèses l’esprit d’entreprise, au moment où il est essentiel de l’encourager pour la création des opportunités économiques, donc, pour booster notre économie qui n’arrive toujours pas à décoller, pour toutes les raisons évoquées et pour aussi la confiance qui a déserté notre espace Algérie, au moment où les défis actuels à relever en matière de mondialisation sont nombreux
Certains observateurs affirment que le retrait de l’État, les plans d’ajustement structurels et l’ouverture de l’économie, expliquent en grande partie la désindustrialisation, sans toutefois l’avènement d’une véritable industrie privée. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, nous avons vécu et nous continuons de vivre le phénomène de désindustrialisation publique, sans pour autant encourager au développement de l’industrie privée. Il faut, par ailleurs savoir, que le désengagement de l’Etat était lié à la situation de crise qu’a traversée l’Algérie durant les années 80, caractérisée par une baisse draconienne des recettes pétrolières. La passerelle assurant le passage du public au privé, n’a pas donné les résultats souhaités à savoir, la création d’une alternative viable pour une croissance moins dépendante des hydrocarbures avec des investissements de nature à profiter de la commande publique.
Ces contre-performances ont aussi pour origine d’autres phénomènes, notamment, l’exposition brutale de notre industrie à la concurrence des importations sans pour autant accompagner nos entreprises à renforcer leur compétitivité, une approche complètement absente de la stratégie d’ouverture de notre économie empêchant ainsi, l’apparition de toute culture de la concurrence.
Finalité, on se retrouve donc, avec une croissance tirée par les hydrocarbures et la commande publique, avec une industrie hors hydrocarbures qui ne contribue que marginalement à la croissance économique de notre pays.
Entretien réalisé par Reda Hadi
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