Première femme africaine à être élue vice-présidente de l’IUGS, l’Union internationale des sciences géologiques (IUGS), Pr Hassina Mouri est revenue, dans cet entretien, sur son parcours, le monde de la recherche scientifique ainsi que la géologie médicale.
Eco Times : Pour commencer, qui est Hassina Mouri ? Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre domaine de recherche ?
Pr Hassina Mouri : Hassina Mouri est née au village Sidi Hadj Hassaïn, dans la commune de Chemini, dans la wilaya de Béjaïa. Après avoir étudié à l’école primaire de Thadarth Oufella, où j’ai eu mon 1er examen, à savoir la 6e, j’ai quitté, étant nomade de nature, ce beau village et mes parents pour aller à Alger pour continuer mes études.
J’ai fait le CEM à Belcourt et le lycée Hassiba-Ben Bouali dont je suis très fière. Après l’obtention de mon Bac (sciences normales), je me suis inscrite à l’USTHB pour obtenir l’ingéniorat en 1990. La vie nomade continue, j’ai quitté Alger pour rejoindre l’université Paris 7 et le Museum national d’histoire naturelle, à Paris, pour faire mon DEA et ma thèse de doctorat.
L’envie et la soif de savoir ne s’arrêtaient pas au doctorat, ainsi, j’ai accepté un poste de chercheur associé à l’université de Helsinki et le service géologique en Finlande pour 4ans, ensuite, aux USA pour un an.
Apres avoir fait un tel petit tour dans le monde, l’Afrique m’a, enfin, rappelée fin 2000. J’ai rejoint l’université de Pretoria, en Afrique du sud, en tant maître de conférence et en tant que 1re femme académique dans un département qui avait 100 ans à l’époque. L’envie de changer, d’apprendre et d’explorer n’a pas cessé en moi, donc, en 2008, j’ai accepté un poste à l’université de Johannesburg (UJ) où je suis installée depuis…
Sur le plan recherche, j’ai fait ma spécialité dans ce qu’on appelle la «pétrologie métamorphique», un domaine très complexe qui n’est souvent compris que par ceux qui sont dans la spécialité ! Or, mon désir et mon rêve étaient toujours de faire quelque chose qui aurait de l’impact sur la société.
Ainsi, j’ai décidé de développer la «géologie médicale» en 2013, un domaine qui m’était totalement étrange, mais grâce à la soif et à l’envie de savoir, j’ai réussi à le maîtriser rapidement. Depuis, j’ai dirigé plusieurs projets de recherche dans ce domaine, et formé plusieurs étudiants en post graduation venant de différents pays africains comme le Nigeria, Kenya, Namibie, Ghana, Afrique du Sud, par exemple.
En 2019, j’étais invitée à publier un chapitre dans un livre sur la géologie médicale sur le succès d’une telle initiative en Afrique. Le chapitre est intitulé Médical Geology in Africa : An Example of a Successful Educational and Research Initiative at the University of Johannesburg, South Africa (in Malcolm Siegel et al. (Eds) : Practical Applications of Medical Geology, Springer Nature 2021. A cela, s’ajoute un grand nombre d’invitations pour présenter mes recherches dans le domaine, des conférences internationales un peu partout dans le monde (Russie, Japon, Chine…)
Vous avez développé un intérêt pour la géologie médicale. En quoi consiste cette spécialité ?
La géologie médicale est une discipline relativement nouvelle qui gagne en importance. C’est le domaine de la science qui traite des impacts (positifs ou négatifs) du géo-environnement (y compris les facteurs, les processus et les matériaux) sur la santé des humains et de l’écosystème en général. Il se base sur des approches multi cross et interdisciplinaires réunissant des experts de divers domaines scientifiques, notamment l’épidémiologie, la toxicologie, la géoscience, les disciplines environnementales et la santé publique. Ce n’est qu’en comprenant l’histoire géologique et le contexte de notre environnement que nous sommes en mesure de contribuer à une meilleure compréhension et plus approfondie de l’éventail des risques naturels qui peuvent (directement ou indirectement) affecter notre santé et celle de l’écosystème. Cette compréhension peut entraîner l’atténuation ou minimisation, voire sauver des vies. Pour ces raisons, la géologie médicale est un domaine de recherche très important qui contribue au bien-être de notre collectivité, conformément au Programme de développement durable des Nations unies à l’horizon 2030.
Brièvement, quel est le lien entre la géologie médicale et la santé ?
Les roches sont faites de minéraux, et les minéraux sont composés d’éléments chimiques qui peuvent être libérés dans notre environnement (sol, air et eau) par des processus naturels, tels que l’activité volcanique, les tremblements de terre, l’altération des roches, l’interaction roche-eau.
De plus, les activités minières peuvent accentuer la présence des éléments chimiques et minéraux dans l’environnement. Certains minéraux comme le talc, et certaines formes de quartz et les formes fibreuses classées sous le nom commercial d’«amiante» peuvent être nocives si elles sont présentes dans l’air sous forme de nano-particules respirables.
Ces minéraux peuvent causer de graves problèmes de santé pulmonaire, y compris la silicose, talcosis et le mésothéliome. Certains éléments chimiques sont, bien sûr, essentiels à notre bien-être, dont le calcium, magnésium, fer, iode, fluore et lithium par exemple.
Toutefois, la carence ou l’excès de ces éléments dans les aliments ou l’eau peuvent être nuisibles à la santé. Certains autres éléments comme l’arsenic, le plomb, le cadmium et le mercure, et les éléments radioactifs comme l’uranium, le thorium et le radon sont toxiques, et leur présence dans l’environnement peut être préjudiciable à la santé humaine.
L’université sud-africaine a-t-elle un mode de fonctionnement très différent de ce qui se passe ailleurs, notamment en France, les USA etc. ?
Non, au contraire, je ne me suis jamais sentie en Afrique ! Ici, l’université de Johannesburg (UJ) fonctionne au même niveau, voire plus que certaines universités dans le reste de monde. La recherche et les collaborations à l’échelle internationale sont très encourageantes. L’université participe au global ranking system.
Comment évaluez-vous le niveau de la recherche en Algérie, les moyens mis à sa disposition et quelles sont, d’après vous, les priorités pour arriver à concilier le monde de la recherche au développement économique ?
Je trouve que la recherche (en particulier dans les géosciences) est limitée à certains, qui ont les contacts et les moyens pour générer des fonds et collaborer avec le monde extérieur. La majorité reste, toutefois, isolée, étouffée sans aucune issue et opportunité. J’espère que cela va changer avec les nouvelles générations !
Par ailleurs, je n’ai pas l’impression que le pays essaie de normaliser les chances et promouvoir les compétences et les mérites, comme dans beaucoup de secteurs d’ailleurs. Je tiens à souligner que l’Algérie n’est pas membre de l’IUGS, une organisation qui ouvre les portes et supporte les recherches et les collaborations, à travers plusieurs programmes, tel que l’IGCP financé par l’UNESCO avec une contribution de l’IUGS par exemple.
Dernière question. Petite, vous imaginiez-vous chercheure de renommée mondiale ?
Pas tout à fait, mais j’ai toujours rêvé et j’ai toujours signé mon nom “Dr Mouri “ sur des bouts de papier dès mon jeune âge ! Un souvenir que je garde éternellement ! Mais si je suis arrivée là où je suis aujourd’hui, c’est surtout grâce aux encouragements, au soutien et l’amour de mes chers parents, Allah Yerhamhoum, et je ne cesse d’évoquer avec émotion et d’y rendre hommage à tout moment de réussite.
Entretien réalisé par Salah Benreguia