Le ministre des Ressources en eau, M. Arezki Berraki, qui a accordé cet entretien exclusif à Eco Times, aborde sans détour les questions inhérentes à la situation que vit présentement notre pays, confronté, pour rappel, à un sérieux stress hydrique. Evoquant la stratégie adoptée par le gouvernement, laquelle a été entérinée, lors du Conseil interministériel tenu sous la houlette du Premier ministre, M. Abdelaziz Djerad, le 23 novembre dernier, le premier responsable du secteur de l’hydraulique explique que des mesures ont été prises en tenant compte des «scénarios les plus pessimistes», lesquelles mesures ont, selon lui, «commencé à donner des résultats». A la question de savoir quel sera l’impact de la raréfaction des précipitations ces derniers mois, le ministre rassure sur le fait que l’Algérie ne dépend pas que de la pluviométrie, expliquant que les eaux superficielles ne représentent en vérité que 27% des approvisionnements en eau, «le reste est surtout assuré par la ressource souterraine, à hauteur de 60% et représente une part prépondérante dans la satisfaction des besoins en eau potable, en irrigation et autres besoins», note-t-il. Ceci dit, précise encore le ministre, suite à l’installation du groupe de travail interministériel, un travail d’anticipation a été entamé sur deux phases : «La première, étalée sur les deux prochains mois, répondra à l’urgence ; quant à la deuxième, elle couvrira l’année 2021 et même au-delà, l’objectif étant de répondre aux besoins en eau des trois secteurs de l’industrie, de l’agriculture et des services.» Par ailleurs, M. Berraki, revient longuement dans cet entretien sur d’autres questions encore plus importantes, à l’instar de celles inhérentes à l’effort de lutte contre l’impact des changements climatiques, la limitation du gaspillage des ressources en eau, la diversification des ressources hydriques, le dessalement d’eau de mer et l’intégration du mix énergétiques pour améliorer les performances des équipements et la réduction des coûts d’exploitation. Entretien.
Entretien réalisé par Lyazid Khaber
Eco Times : Monsieur le ministre, notre pays, à l’instar de plusieurs pays du pourtour méditerranéen, fait face actuellement au risque patent de stress hydrique. Cette situation qui se confirme avec le déficit en pluviométrie constaté ces derniers mois, avec en sus une baisse du niveau de remplissage des barrages, n’a pas laissé le gouvernement dans l’indifférence. Pouvez-vous nous expliquer la démarche entreprise par les hautes autorités du pays pour faire face à cette situation ?
Arezki Berraki : Conscients du défi que représente le stress hydrique auquel est confronté notre pays, nous avons mis en place des mesures importantes pour faire face au scénario le plus pessimiste : celui de la prolongation de ce phénomène durant les prochains mois, malgré les apports appréciables enregistrés depuis le 20 novembre dernier, même si ces derniers ont été inégalement répartis.
Il convient peut-être de rappeler à vos lecteurs que dans notre pays, les eaux de surface, qui incluent les barrages, n’assurent que 27% des approvisionnements en eau, le reste est surtout assuré par la ressource souterraine, à hauteur de 60% et représente une part prépondérante dans la satisfaction des besoins en eau potable, en irrigation et autres besoins. Ceci, bien sûr, en plus de l’apport du non conventionnel qui va monter progressivement en cadence, grâce au soutien ferme de l’État à l’effort d’investissement, notamment dans le dessalement d’eau de mer, qui représente déjà à lui seul 13% du mix hydraulique.
Pour revenir à votre question, et à vrai dire, face à cette situation de stress hydrique, qui a touché plusieurs wilayas, nous avons pris sérieusement en main la situation. C’est pour cela que nous avons agi par anticipation lors du Conseil interministériel (CIM) du 23 novembre dernier, afin de compenser les éventuels manques en apports par un nombre suffisant de forages, nos ressources souterraines demeurant à un niveau appréciable. Cette solution va sécuriser les wilayas concernées sur le plan de la disponibilité, en cas d’arrêt de tirage au niveau des barrages. Tout a été fait d’une manière à ne pas pénaliser le consommateur et pour que la continuité du service public soit assurée.
Lors de ce CIM, il a décidé d’installer un groupe de travail interministériel qui a entamé un travail d’anticipation sur deux phases. La première, étalée sur les deux prochains mois, répondra à l’urgence ; quant à la deuxième, elle couvrira l’année 2021 et même au-delà, l’objectif étant de répondre aux besoins en eau des trois secteurs de l’industrie, de l’agriculture et des services.
L’Algérie, qui participe à l’effort de lutte contre l’impact des changements climatiques, a déjà pris d’importantes mesures pour soutenir l’effort de développement des périmètres irrigués, à travers la réalisation de retenues collinaires, de barrages et de stations d’épuration des eaux usées. Pouvez-vous nous donner votre vision concernant la poursuite de cette démarche ?
Il faut savoir que les conditions climatiques difficiles que connaît notre pays, particulièrement l’insuffisance de précipitations et leur inégale répartition, font que les cultures pluviales ne peuvent se pratiquer sans de grands problèmes, d’où la nécessité de faire appel à une irrigation intégrale ou, dans le meilleur des cas, à une irrigation de complément. L’extension des superficies irriguées s’avère alors impérative.
Pour faire face à cette problématique et répondre aux besoins nutritionnels de la population, le gouvernement a adopté une stratégie mature, qui a commencé à donner des résultats à travers, notamment, la réalisation d’un équilibre en matière de disponibilité d’eau au niveau des régions et ce, grâce à la réalisation des grands transferts d’eau, à partir des zones excédentaires en faveur des zones déficitaires et ce, dans le cadre du principe cardinal d’«hydro-solidarité», l’équilibre saisonnier en matière de disponibilité d’eau par l’augmentation des capacités de stockage, la réalisation de nouveaux barrages et retenues collinaires partout où cela est possible, et, enfin, l’élargissement de nos potentialités en eau par la mobilisation des eaux non conventionnelles supplémentaires, à travers le dessalement d’eau de mer et l’épuration des eaux usées, comme je viens de l’indiquer plus haut.
A vrai dire, cette stratégie est appliquée à travers les programmes de développement successifs, dont la plupart ont été réalisés et commencé à donner des résultats positifs en matière de disponibilité d’eau pour l’AEP, l’irrigation et l’industrie.
La stratégie du secteur table présentement sur une optimisation de la consommation, à travers, notamment, une politique tendant à limiter le gaspillage des ressources en eau et la diversification des ressources. Pouvez-vous nous donner plus de détails ?
Permettez-moi de vous informer que tous les efforts de notre secteur sont orientés actuellement vers la satisfaction de la demande en eau, grâce à la rentabilisation des ouvrages et infrastructures réalisés, mais aussi à une rigueur poussée dans la gestion des réseaux, couplée à la modernisation des outils de gestion et la réhabilitation des systèmes d’AEP.
Reste maintenant un gros point noir, une véritable calamité, celui des fuites d’eau, qui altère nos efforts et pénalise l’usager. Paradoxalement, ces fuites se développent presque au même rythme que le degré de leur prise en charge en réparation. C’est une lutte continue que nous menons avec acharnement, et nous n’allons certainement pas baisser les bras. Mais je profite de cet espace que vous nous offrez pour renouveler l’appel aux citoyens, qui peuvent grandement nous aider dans notre tâche pour signaler toute fuite, notamment à travers les différents canaux mis en place à cet effet (réseaux sociaux et autres).
Maintenant, la solution de fond pour récupérer les volumes perdus à cause des fuites et des branchements illicites, l’autre calamité pénalisant le service public de l’eau, consiste à réhabiliter les réseaux de ville. Ce travail est en cours et contribuera à réduire les fuites de 7%, selon notre évaluation, par la rénovation des réseaux vétustes et l’introduction des techniques modernes de gestion. Ce programme de réhabilitation et de mise à niveau des réseaux d’AEP, qui sont dans un état général de vétusté avancée, est très important et bien engagé.
D’autres mesures sont mises en place, tel que le renforcement des brigades de surveillance de réseaux par la mobilisation de plus d’équipes, dotées de moyens adéquats pour intervenir sur les installations et réseaux de distribution : réparation des pannes et lutte contre le vol par l’éradication des branchements illicites.
Notre secteur a engagé d’autres solutions en matière d’économie de la ressource : sensibilisation des agriculteurs à l’utilisation de systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte, par exemple, ou bien le recyclage des eaux par les industriels. Sans oublier la précieuse contribution du citoyen dans la lutte contre le gaspillage.
Cette diversification de la palette des ressources en eau (superficielles, souterraines et dessalement d’eau de mer), couplée à l’important programme de mobilisation, a pour principaux objectifs de garantir la sécurité des approvisionnements en eau potable pour aujourd’hui (zones éparses et zones d’ombre y comprises), et préserver cette ressource rare tout en garantissant l’accès à l’eau pour les générations futures.
La sécurisation de l’approvisionnement en eau potable de la population pose actuellement une problématique à plusieurs variables, surtout qu’en plus de la raréfaction des ressources hydriques, il y a la croissance démographique et les changements climatiques qui compliquent la donne, en ce qui concerne l’accès à l’’eau potable pour une bonne partie des populations. Et là, se pose la question de la gestion de ce segment, surtout que nous avons déjà eu à faire face à des situations problématiques ayant conduit à la prise de décisions à l’encontre de certains opérateurs, à l’instar des sociétés de gestion de la distribution de l’eau potable. Qu’en est-il des mesures prises et des résultats escomptés ?
Tout d’abord, il faut rappeler que notre bataille se poursuit pour la mobilisation de nouvelles ressources à un rythme, qui est en rapport avec le développement économique et l’accroissement démographique et la demande d’amélioration du cadre de vie du citoyen.
A vrai dire, les efforts consentis par le secteur ont permis de réaliser un nombre important de barrages, grands transferts et infrastructures d’AEP, mais les changements climatiques, surtout dans la zone nord-africaine, ont eu un impact négatif sur les précipitions et, par voie de conséquence, nos réserves d’eau, superficielles notamment, ce qui a obligé notre secteur à arrêter une stratégie orientée, notamment, sur le dessalement d’eau de mer. Cette mobilisation a permis, d’une part, d’assurer une distribution continue et régulière pour l’ensemble des villes et localités situées sur le littoral et, d’autre part, de réserver principalement les eaux des barrages à l’agriculture. J’ai parlé, également, du volet important de la lutte contre les déperditions et les fuites d’eau. Par ailleurs, nous avons a mis en place un ensemble d’actions en coordination avec les autorités locales, dont l’objectif étant d’atteindre une amélioration significative de la qualité du service public de l’eau potable, tant dans les grandes agglomérations que dans le reste du territoire national, j’entends par là y compris les zones éparses et zones d’ombre et ce, afin d’assurer l’accès équitable à l’eau potable à toute la population sans distinction. Pour l’année 2020, à ma prise de fonction, l’objectif principal a consisté à assurer une distribution quotidienne en eau potable pour les 661 communes qui souffrent d’un manque sérieux d’alimentation.
Le dessalement d’eau de mer a été présenté, il y a quelques temps, comme une solution alternative à l’épuisement des ressources souterraines. Qu’en est-il actuellement des différents projets lancés, et de la maîtrise des coûts de production de l’eau dessalée ?
Par son appartenance géographique à la zone semi-aride et aride, notre pays est classé dans la catégorie des pays pauvres en ressources hydriques.
Pour y faire face, notre département a élaboré une nouvelle stratégie de mobilisation des ressources en eau non conventionnelles, couplée à une approche renouvelée en matière de gouvernance de l’eau. Le recours au dessalement d’eau de mer y figure comme option stratégique retenue par le gouvernement pour la sécurisation de l’AEP des villes côtières.
Actuellement, onze stations de dessalement d’eau de mer, réparties sur neuf (09) wilayas, sont fonctionnelles avec une capacité de production globale est de 2 110 000m3/j (soit 770 millions m3/an), afin de renforcer et de sécuriser l’AEP des grandes agglomérations d’Alger, de l’Oranie et de Skikda avec une contribution à l’alimentation en eau potable de près de 7 200 000 habitants en desservant, parfois, plusieurs wilayas : c’est le cas de la SDEM de Mactâa, par exemple.
Quant à la maîtrise des coûts de production de l’eau dessalée, par rapport aux années 1980, ces derniers sont passés de 10 dollars/m3 à 0.6-0.8 dollars/m3 soit 90 à 120 DA/m3, ceci grâce à l’évolution des technologies et à la concurrence.

L’Algérie amorce un changement qui se veut profond en matière énergétique, avec l’intégration des énergies renouvelables comme alternative aux ressources fossiles, mais si dans le passé la ressource hydrique était utilisée pour la production de l’électricité, il n’en est presque rien, aujourd’hui, cela sans oublier la possibilité de créer des fermes éoliennes et des panneaux photovoltaïques flottants, au niveau des barrages. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure le secteur des Ressources en eau serait en mesure d’apporter sa contribution dans ce domaine ?
La stratégie de développement sectoriel a, pour principal objectif, la satisfaction quantitative et qualitative de la demande en eau de la population et des activités productives consommatrices d’eau, tout en veillant à la préservation du cadre de vie et des ressources en eau à travers l’assainissement.
L’effort du secteur des Ressources en eau s’est résolument engagé dans une logique de développement durable et de préservation de l’environnement, à travers, par exemple, l’engagement d’un programme de développement de l’assainissement important sur l’ensemble du territoire national, visant l’amélioration du taux d’accès à l’assainissement et la protection des écosystèmes liés à l’eau et de l’environnement.
Maintenant, il est vrai que les infrastructures d’eau sont énergivores et la facture d’électricité des ouvrages d’eau augmente d’année en année, ce qui rend l’optimisation de la consommation d’énergie électrique indispensable. Ceci est tout à fait possible au vu du potentiel d’économie et d’efficacité dans l’utilisation de l’énergie, grâce à l’implantation de systèmes de récupération d’énergie, notamment (ERI), au niveau des installations. Je vous ferais remarquer, d’ailleurs, que cela se fait déjà. Maintenant, cette problématique d’efficacité énergétique au niveau des infrastructures de ce type se pose pour la filière du dessalement au niveau mondial. Pour notre part, nous restons attentifs, veille technologique aidant, au choix du meilleur compromis possible entre la satisfaction de nos besoins incompressibles en eau et la nécessité de préserver nos ressources énergétiques pour les générations futures.
Des solutions ponctuelles peuvent, également, aider à la nécessaire rationalisation des dépenses publiques. L’amélioration des performances des établissements et entreprises gestionnaires des services publics de l’eau, et la protection de l’environnement, passeront par la rationalisation de l’utilisation de l’énergie et le recours à l’utilisation des énergies renouvelables, en particulier l’énergie solaire, pour le besoin de fonctionnement des établissements et des infrastructures : éclairage solaire, implantation des panneaux photovoltaïques sur les toits des administrations des ouvrages, installation des chauffe-eaux solaires au niveau des stations d’épuration, remplacement d’une partie des transformateurs de puissance installés lors de la réalisation des projets de construction des barrages et dérivations, ainsi que la récupération et le traitement des huiles de refroidissement.
L. K.
Le ministre des ressources SANS eau, nous sommes presque en 2021 et jusqu’à présent nous manquons d’eau (la honte) !!!! Cédez la place à des gens plus compétents et plus dévoués que vous.